Les deux nouvelles ont fait grand bruit dans le monde hôtelier. Jean-Jacques Gauer de retour au Schweizerhof, à Berne, l’hôtel de sa naissance au sens propre comme au figuré. Et plus étonnant encore son arrivée au Royal Savoy, à Lausanne, principal concurrent du Palace, qu’il dirigea pendant 20 ans et aujourd’hui propriété de la fondation Sandoz, à Lausanne. Dans les deux cas comme membre du conseil d’administration: «Quand Bruno H. Schöpfer, directeur général de Bürgenstock Selection m’a proposé ces deux nouveaux challenges mes sentiments se sont bousculés. J’éprouve une émotion pure à l’idée de revenir au bercail à Berne, l’hôtel de mes parents que j’ai dirigé pendant 20 ans. Quant au Royal Savoy cela m’amuse de me retrouver dans un hôtel qui a chamboulé le marché des cinq étoiles, à Lausanne et dont l’arrivée a entraîné la vente du Palace. Je crois que je peux donner un coup de main à ces deux établissements», explique Jean-Jacques Gauer.

«Je peux donner un coup de main aux deux hôtels 
à Berne et 
à Lausanne.»
Jean-Jacques Gauer, hôtelier à Cully

Tout cela amuse certes l’hôtelier, mais d’un rire un brin ironique par rapport à la fondation Sandoz: «Je ne suis pas parti de mon propre gré, probablement que je ne correspondais plus au goût du jour», déclare-t-il encore touché. Selon nos informations d’autres collaborateurs ont été remerciés. Contacté, François Dussart, CEO de Sandoz Hotels, ne souhaite pas s’exprimer pour l’instant. S’il doit définir l’ambiance qui doit régner dans un hôtel de luxe Jean-Jacques Gauer s'exprime ainsi: «On doit constituer une bonne équipe. De loin on peut nous considérer comme des gens qui se marrent, qui savent faire preuve de légèreté, mais quand il s’agit de marquer des buts, les performances d’équipe restent toujours au rendez-vous.» Il défend ses méthodes que certains jugent un peu vieille école: «Il s’agissait simplement de proposer à tous nos collaborateurs de se développer, d’inventer. Jamais je n’ai contrôlé quand les gens venaient travailler et repartaient, parce que je connaissais très bien l’engagement de chacun.» Stefano Brunetti, président d’hôtellerie lausannoise, loue la capacité hors norme de Jean-Jacques Gauer. «En termes d'implication personnelle, de volonté de choyer le client et de son dynamisme au niveau des points de ventes F&B.» Mais Stefano Brunetti relativise aussi le rôle d'un administrateur, le pouvoir direct d’un conseil d’administration comme celui du Royal Savoy, se réunissant quatre à cinq fois par année sur le fonctionnement opérationnel d’un hôtel: «L’influence au quotidien dépend avant tout du directeur général.»

«Un engagement pour toute la région comme celui de Jacques Staempfli.»
Stefano Brunetti, président d'hotellerie lausannoise

Jean-Jacques Gauer, lauréat du Milestone pour l’œuvre d’une vie 2016, n’hésite pas à chanter les louanges du Royal Savoy: «Un hôtel ni en ville, ni au bord du lac, avec un spa splendide et de très belles chambres calmes.» Il veut aussi partager son admiration face à la politique de rénovation du Schweizerhof et du Royal Savoy: «Je déteste ces hôtels ou on veut tout remettre à neuf sans se soucier du passé. A Berne, que voulez-vous changer à la brasserie Jack’s? Il n’y a rien à améliorer, tout fonctionne, comme Emeline mon épouse l’a aménagé à l’époque. Par contre l’entrée, le lobby ont été revus et améliorés avec goût.»

L’hôtelier dit les choses avec franchise, mais semble aussi apaisé à Cully, où il gère 24 chambres entre ses deux trois étoiles Le Raisin et Au Major Davel, ainsi que les deux restaurants d’hôtel, plus le café de la Poste. Il raconte son plaisir de ne plus travailler en cravate et de défendre ses trois adresses, qu’il définit comme simples et de qualité. Il rit quand certains clients du Palace lui tendent les clefs de leur Bentley, comme à un voiturier: «Je veux bien tenter de la leur parquer, mais ils doivent aussi comprendre que nous sommes dans un petit village vigneron avec des places de parc publiques.» Ou quand il va chercher certaines relations d’affaires avec sa Fiat 500 à la gare. Ou encore lorsqu’il leur propose de déguster un saucisson vaudois et des lentilles. «Je suis authentique, je ne veux pas jouer un jeu, plutôt toujours mettre en avant ce sentiment qu’on formule si bien en langue allemande, ‹Menschlichkeit›. Je me sens moins à l’aise dans les magasins de marque, j’aime les endroits où tout le monde se mélange.» Stefano Brunetti apprécie cet engagement pour toute la région lémanique qu’il compare à celui de Jacques ­Staempfli, ancien directeur ad­joint du Palace, actuellement à l’Auberge de Rivaz.

Il veut fuir le plus possible les choses futiles
Même s’il continue à siéger dans des conseils d’administration de palaces prestigieux comme l’American Colony à Jérusalem, le Raffles à Varsovie, le Park Gstaad, les hôtels Seiler, à Zermatt ou même Chalet Gruyère SA. En tant que président pendant 20 ans du Conseil d’administration des ­Leading Hotels of the World il semble en avoir vu d’autres, en tout cas il se fait philosophe: ­«Partout je recherche à donner des conseils, à trouver des solutions sans m’imposer. Je ne serai jamais un flic.» Puis l’humour revient: «Je n’oublie jamais que je reste plus proche du cimetière que du service militaire.» Plus sérieusement, il pense surtout pouvoir: «Amener du bon sens, je peux dynamiser les rapports avec les clients, faire l’interface avec les ressources humaines, sais interpréter des chiffres, peux créer des réseaux, comprends assez rapidement la sensibilité d’un groupe hôtelier.» Quand on lui demande ce qu’on peut lui souhaiter: «Pourvu que ça dure, que je continue à approcher des gens intéressants, que j’arrive à continuer à fuir le plus possible les choses futiles. Que j’éprouve toujours du plaisir à regarder la BBC et des émissions innovantes comme Talents of Africa.»

 

Un marché dynamique et sain

La capacité hôtelière des quatre et cinq étoiles à Lausanne se structure ainsi: environ 500 chambres pour la fondation Sandoz (Beau-Rivage Palace, Angleterre & Résidence, Château d’Ouchy et Lausanne Palace); 200 pour le Royal Savoy, 337 pour le Mövenpick et 112 pour l’Hôtel de la Paix.
Pour Stefano Brunetti, président d’hôtellerie lausannoise: «La concurrence reste forte et saine avec des standards élevés.» Il se réjouit de la nouvelle dynamique apportée par le Royal Savoy depuis deux ans. Notamment avec sa grande salle pouvant accueillir 380 personnes, auparavant seule la salle Sandoz du ­Beau-Rivage Palace offrait ce type de prestation. «Cela permet à la destination de conforter sa position par rapport à des événements dans le domaine sportif et médical et d’accueillir des tables rondes sur l’immobilier qui se concentraient auparavant, à Genève.» Son Hôtel de la Paix a dans ce sens rénové ses salles de ­conférences voilà trois ans et le Château d’Ouchy va moderniser son restaurant. Il voit surtout une concurrence en termes de dynamique de prix entre le Royal Savoy et le Mövenpick. Pour Stefano Brunetti, le Royal Savoy attire une clientèle un peu différente, «appelons-la la jeunesse dorée». Sous l’impulsion de Nathalie Seiler-Hayez, le Beau-Rivage Palace se diversifie notamment en ayant proposé sa bulle pop-up. La zone d’Ouchy ne se concentre pas ­uniquement dans les mains des hôtels Sandoz et du Mövenpick, le trois étoiles Au Lac tire son épin­gle du jeu. Quant à l’esprit du Lausanne Palace, il perdure sous l’impulsion de son directeur Ivan Rivier.
Toutes ces énergies couplées à l’arrivée d’Aquatis, permettent à Lausanne de se profiler sur de nouveaux marchés comme les groupes indiens l’été. Il pense que la fondation Sandoz amène une diversité dans le monde hôtelier par sa parfaite connaissance des institutions théâtrales et des festivals. (htr/aca)