Guy Ravet vient de finir son service, tout sourire. Au restaurant, une longue table bien animée accueille encore une dizaine de convives, détendus et repus. «La saison a commencé plus vite que prévu, c’est une bonne nouvelle et un challenge aussi, notamment en termes de personnel. L’incertitude fait aussi la beauté de notre métier.» Le chef de 41 ans a repris en janvier 2023 la direction opérationnelle des cuisines du Grand Hôtel du Lac à Vevey (5 étoiles, membre de Relais & Châteaux et Swiss Deluxe Hotels). A la surprise générale, il n’avait pas souhaité reprendre le restaurant gastronomique de ses parents, Bernard et Ruth Ravet, à Vufflens-le-Château (19 points Gault Millau et 1 étoile Michelin), qui a fermé à l’été 2022, après plus de 30 ans au firmament.
Guy Ravet, chef du Grand Hôtel du Lac à Vevey, interviendra lors de l'Hospitality Summit, le jeudi 13 juin 2024, à 13h30 (Break-Out 1). Il donnera sa vision d'un concept gastronomique innovant et réussi.
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«Je suis très content de ce choix et le travail au Grand Hôtel du Lac correspond tout à fait à mes attentes. J’avais besoin d’un nouveau défi, je n’aime pas stagner, j’aime créer, changer, et cet établissement m’offre tout à fait cette possibilité.» Guy Ravet apprécie la taille de l’hôtel, plutôt modeste avec 50 chambres, 35 couverts à la brasserie et 20 au restaurant gastronomique Emotions. Ouvert du mercredi au samedi soir, ce dernier affiche 17 points GaultMillau. «Je suis en parfaite entente avec le directeur de l’hôtel Luc Califano. Il reste à l’écoute, nous discutons et prenons les meilleures décisions ensemble. Il n’y a pas de jeu de pouvoir.» Tous deux poursuivent le même objectif: récupérer l’étoile Michelin qu’avait obtenue son prédécesseur, le chef Thomas Neeser.
Une sécurité de revenu
Guy Ravet fait partie de cette jeune génération de chefs qui préfère l’hôtellerie comme employeur plutôt que le statut d’indépendant. «L’hôtellerie m’offre une relative sécurité de l’emploi, ou du moins une sécurité de revenu. Tout le métier a changé, nous n’avons plus les mêmes certitudes que nos parents. Il y a trop d’inconnues pour se lancer seul dans la haute gastronomie, il est aussi beaucoup plus difficile de trouver des employés.»
Au Grand Hôtel du Lac, son équipe compte une quinzaine de collaborateurs en entre-saison et monte à une petite vingtaine en haute saison. Il a dû créer son équipe et trouver une régularité. «Il y a effectivement moins de main-d’œuvre sur le marché, mais quand on cherche, on trouve. Nous essayons aussi de respecter la qualité de vie de nos employés et de tenir les horaires. Nous voulons éviter que tout le monde se fatigue avec des heures supplémentaires.» L’établissement veveysan offre deux jours de congé consécutifs et fixe des journées de travail à 8h42. Les horaires peuvent être coupés ou continus. «Nous restons à l’écoute, cela aide beaucoup. Certains collaborateurs continuent d’apprécier l’horaire coupé.»
Ce qui change le plus par rapport au restaurant de ses parents: «L’hôtel est ouvert à l’année, sept jours sur sept. A l’hôtel, les réservations tombent encore souvent à la dernière minute, tout est en mouvement perpétuel. Le restaurant de Vufflens nous offrait ce cadeau d’être toujours plein.» Autre particularité: en été, le Grand Hôtel du Lac exploite un restaurant franchisé Buddha Bar, concept de référence en matière de cuisine néoasiatique, de musique et de mixologie. «Nous recevons les recettes de base de Paris que je retwiste un peu», indique Guy Ravet. Le concept est particulièrement apprécié par la clientèle locale, adepte d’une cuisine de partage et d’une ambiance décontractée au bord de la piscine.
Se faire un prénom
Diplômé de l’Ecole hôtelière de Lausanne, Guy Ravet a effectué son apprentissage auprès de son père. «C’était un souhait de sa part. Il craignait que le passage dans d’autres cuisines n’éteigne ma flamme.» Dans le cadre de ses études à l’EHL, il saisira de belles opportunités, comme celle de travailler avec Alain Ducasse au Plaza Athénée et Thomas Keller au Per Se, à New York. Ces deux profils similaires de chefs-entrepreneurs suscitent son admiration et l’inspirent, aussi pour leur capacité à transmettre leur savoir-faire. «J’ai toujours considéré mon nom comme une chance, cela m’a ouvert des portes.»
L’héritage familial représente aussi une certaine pression. «Les attentes sont permanentes. Beaucoup de clients viennent ici tester ”la cuisine du fils”. Cela me fait sourire, car ils ont déjà goûté à ma cuisine, à Vufflens.» Sans chercher à rompre avec l’héritage familial, Guy Ravet défend son style, une cuisine qu’il aime qualifier «de plaisir et d’émotion»: «Je ne ressens pas le besoin de me démarquer à tout prix de mon père. J’aimerais que Ravet reste un nom dans le monde de la gastronomie. Je ne dois pas me faire un nom, mais plutôt un prénom.»
Plats emblématiques de son papa
Adepte de nouveaux défis et avide de changement, il fuit la routine. Et bannit les plats signatures. «Mon papa avait quelques plats emblématiques comme sa dînette des quatre foie gras ou le jarret de veau rôti à la broche. Cependant, cela faisait bien quelques années que nous étions sortis des plats signatures, même si cela déplaisait à certains clients. Je ressemble pour cela à mon papa: on s’ennuie si on ne peut plus rien changer, on a l’impression de régresser.»
Au Grand Hôtel du Lac, Guy Ravet maintient cette vision. Il reconnaît que certains plats ont bien fonctionné, comme le chou laqué aux cacahuètes avec une bisque de légumes et coriandre. «Un plat végétarien et très gourmand. Les clients nous ont demandé de le garder au menu, mais je n’en ai pas envie…» Le chef le remettra à la carte cet automne peut-être, dans une version 2.0. Surtout ne pas reposer sur ses acquis, oser sortir de sa zone de confort pour sans cesse se renouveler. Et garder la passion du métier intacte. Voici comment pourrait se résumer l’esprit Ravet. Guy, de son prénom.
Il représente une nouvelle génération de chefs qui sort de l’ombre
Guy Ravet a repris la présidence des Grandes Tables de Suisse il y a quatre ans et s’attache depuis à attirer les jeunes chefs au sein de l’association. «Cette génération de trentenaires amène une approche du métier différente, ils bouillonnent d’idées, sont avides d’échanges avec leurs pairs. Beaucoup travaillent dans l’hôtellerie. Cela n’a plus rien à voir avec les chefs enfermés dans leurs cuisines.» Les questions du végétarisme, du véganisme, du gaspillage sont par exemple prises au sérieux dans la pratique.
Lui-même a renoncé au brunch du dimanche au Grand Hôtel du Lac, alors qu’il fonctionnait très bien. «Le brunch est une vision du passé: soit le surplus finit à la poubelle, soit dans les assiettes du personnel.» Il suggère désormais un autre concept, clin d’œil aux repas du dimanche en famille: un plat unique et plusieurs entrées à partager. «Il y a une attente sur le dimanche midi. Je trouve sympathique de revenir à ces plats mijotés, posés au centre de la table.» A chaque dimanche ses saveurs. Il a déjà eu l’occasion de proposer la blanquette de veau aux morilles de sa grand-mère ou la souris d’agneau confite, aussi selon une recette de famille.
Guy Ravet ose aussi les sollicitations de toutes sortes, tant pour sortir de la routine que pour gagner en visibilité. Grand amateur d’automobile, il a signé un partenariat avec Mercedes Benz. Il figurait ce printemps parmi les trois chefs invités à cuisiner les invendus lors d’une soirée caritative de gala au Swiss Tech Convention Center. On l’a aussi vu membre du jury dans l’émission culinaire «Oui Chef! Académie» de la chaîne locale La Télé. Il fut aussi le premier chef à tenter le concept de QChef, lancé par Qoqa. «Dès qu’il y a une proposition novatrice, je suis partant. J’y vois un côté ludique et divertissant, mais aussi le moyen de défendre la profession. Je le perçois comme un devoir. Il faut donner un peu de son temps, si l’on veut récolter.»