Dossier: Portraits d'hôteliers
Eloge de la modestie hôtelière
La Côte
A l'origine d'un «repaire de terroiristes»
Il règne une douce ambiance de fin de vacances dans le vaste jardin qui fait face au lac Léman et aux Alpes. Piscine, transats disséminés sur la pelouse, filet de volley et châteaux gonflables pour les enfants. «C'est ainsi que nous avons pu sauver notre été. Nous avons tout misé sur les familles. Un segment qui n'existait pratiquement pas avant», partage Christoph Zen Ruffinen, directeur de l'Everness Hôtel & Resort, à Chavannes-de-Bogis, depuis 2012. Récemment rénové, l'établissement de 171 chambres est passé 4 étoiles à la fin 2019. Il a aussi retravaillé son identité et son positionnement.
Situé à 15 kilomètres de Genève, l'ancien Hôtel Best Western (affiliation dont il s'affranchira à fin 2020) a toujours profité de cette proximité citadine, tout en offrant un cadre verdoyant et paisible pour les représentants des ONG, missions diplomatiques, entreprises et fédérations sportives internationales. Avec ses 15 salles de conférences, la clientèle de congrès et séminaires représentait jusqu'ici la majorité de ses hôtes. Mais l'établissement a dû apprendre à se diversifier.
Développer d'autres créneaux autre que le segment business
Cette réflexion a débuté il y a quelques années déjà, dès 2016. «La généralisation des OTA nous a fait du tort. Nous sommes sortis du radar de Genève, qui devenait en outre la proie à un développement hôtelier excessif. Il fallait trouver une solution pour regagner le volume perdu», explique Christoph Zen Ruffinen. Diplômé de l'Ecole hôtelière de Lausanne, le professionnel a notamment travaillé pour Accor avant de diriger durant 18 ans deux établissements du groupe Manotel, à Genève, les hôtels Epsom (devenu N'vY) et Auteuil. Une expérience qui fait de lui un fin connaisseur de ce marché très concurrentiel. Avec son adjoint Michaël Garnier, ils en concluent qu'«il faut faire évoluer le mix de clientèle». Une orientation qui prend tout son sens en cette année de pandémie.
Car si l'été fut finalement réussi, grâce aux familles suisses et européennes et à l'engagement de ses équipes, les mois prochains s'annoncent critiques. «En automne, notre taux d'occupation est habituellement de 85%. A ce jour, les réservations pour septembre, octobre et novembre sont faibles, de l'ordre de 20% à 30%. Nous sommes très vigilants au suivi de notre trésorerie que la crise rendrait critique si elle devait perdurer», confie Christoph Zen Ruffinen qui préside aussi la section d'HotellerieSuisse de la Côte.
«L'objectif consiste à mieux capitaliser sur la diversification de la clientèle. Intégrer la notion de Resort était un bon choix, c'est dans cette direction que nous devons poursuivre. Faire en sorte que notre situation en campagne devienne un vrai atout.» Créatif dans ses loisirs – il est passionné de photographie argentique et tailleur de pierres précieuses et fines – Christoph Zen Ruffinen l'est tout autant lorsqu'il s'agit d'imaginer des concepts. Il fourmille d'idées pour faire de ce gros porteur un lieu de villégiature, aussi durant les mois d'automne et d'hiver. Le premier projet consiste à transformer l'amphithéâtre de 300 places en patinoire. Il rêve aussi d'une piscine semi-couverte qui permettrait d'agrandir le spa et de vendre plus de forfaits. Des pistes qui devront d'abord obtenir l'aval de son conseil d'administration.
21 millions investis depuis 2008
Depuis sa construction en 1983, l'hôtel a beaucoup évolué, rajoutant peu à peu salles de réunions, courts de tennis, fitness, wellness, piscine extérieure. Depuis 2008, 21 millions ont été investis, dont six millions depuis fin 2017 pour rénover la façade (qui sera terminée en octobre) et les espaces en commun. «J'ai convaincu les propriétaires de refaire cette façade qui ne reflétait pas le niveau de nos prestations.» D'un même élan, ce sont des travaux d'envergure qui sont réalisés. Le lobby est agrandi et transformé en espace de coworking. «Il fallait sortir du classique, se donner une identité.»
Au restaurant, les origines valaisannes de Christoph Zen Ruffinen l'ont motivé à développer un concept bistronomique de terroir, qui ne propose que des vins suisses. Sur son site web, l'hôtel invite à découvrir un «repaire de terroiristes». «Tous les deux mois, nous valorisons une région viticole et des cépages autochtones». Ses choix sont parfois guidés par les conseils de son ami Jean-Marc Amez-Droz, ancien directeur de Swiss Wine Promotion. «Si je pouvais jouer le rôle de sommelier, je le ferais avec plaisir!» Et on le croit sur parole. Car Christoph Zen Ruffinen fait partie de ces hôteliers qui ont embrassé la profession pour le contact avec les hôtes. «C'est mon côté convivial et extraverti qui me confronte à toutes sortes de personnes. Et la plus belle chose qu'offre ce métier: il n'y a pas deux jours qui se ressemblent. Car je hais la monotonie!» Et que désire le dynamique directeur pour ses hôtes? «Qu'ils aient de belles histoires à raconter à leur retour!»
Porrentruy
Une retraite épanouie dédiée à l'hôtellerie
Des hôtels, cette patronne zougoise en a connu de multiples à travers le monde. Pas comme hôtelière, mais comme directrice d’une organisation internationale d’aide à l’enfance voyageant beaucoup. Hôtelière, cette sexagénaire ne l’est que depuis le 16 août 2016, date de la réouverture de l’Auberge du Mouton, après 18 mois de travaux. Une hôtelière qui adore sa nouvelle activité: «Surtout pour les contacts avec nos hôtes!», confie-t-elle. Propriétaire, elle a fait procéder à une rénovation respectueuse de la beauté des lieux tout en lui donnant une touche de modernité.
Une école devenue auberge à l'histoire agitée
Cette résurrection du Mouton a été plébiscitée dans le chef-lieu Ajoulot, tant ce bâtiment historique datant de 1715 est chargé d’histoire. Ce qui était au départ l’école primaire de la bourgade est devenu auberge et a connu une histoire agitée, pour devenir à la fin un restaurant chinois. Adieu l’auberge d’autrefois! Bonjour l’hôtel historique soigné depuis sa reprise par Elsbeth Müller: huit chambres doubles, toutes de configuration différente, de standard à supérieur, classées 3 étoiles. «Cette cotation me convient car je peux ainsi pratiquer des prix attractifs», dit l’hôtelière. Les prix varient entre 150 francs pour la chambre standard et 200 francs pour la suite familiale avec terrasse sur les toits. Chaque chambre offre une vue sur la vieille ville, certaines sur le château Bruntrutain.
Mais qu’est-ce qui a fait de cette manager une hôtelière-propriétaire d’une petite bourgade? «L’envie de faire tout autre chose durant ma retraite. Aussi mon affection pour cette région que je connais depuis mon enfance. Et un coup de cœur pour ce bâtiment», explique-t-elle. L’hôtel – avec une dépendance de 4 chambres également dans un bâtiment historique des hauts de la ville – s’accompagne d’un restaurant réputé dédié à la cuisine du terroir, dont le chef, David Hickel, est coté 12/20 au GaultMillau.
Le succès fut immédiatement au rendez-vous. Tant pour l’hôtel que pour le restaurant. «Mes hôtes viennent majoritairement de Suisse alémanique – environ 60%. Les Romands sont environ 30% et le solde sont des hôtes étrangers. Le week-end, nous accueillons surtout des randonneurs qui viennent profiter des beautés du Jura et en semaine, des collaborateurs de firmes de la région», commente Elsbeth Müller. Le taux de fréquentation atteint jusqu’à 80% en moyenne. «Cette année, nous sommes complets depuis mai, et je constate que les hôtes ont tendance à faire des séjours plus longs», se réjouit la patronne.
L'importance du label Swiss Historic Hotels
L’Auberge du Mouton a obtenu très vite son affiliation à la marque Swiss Historic Hotels. Le seul établissement du Jura membre de ce groupement sélectif de bâtisses authentiques. «Cette appartenance nous donne une visibilité précieuse et une belle promotion. Un label important car nombreux sont les hôtes qui recherchent de l’authenticité et à séjourner dans des lieux offrant un charme particulier», explique Elsbeth Müller. Au cachet du bâtiment, elle a ajouté quelques touches personnelles: des objets de designers et des tapis fabriqués par un groupe de femmes indiennes.
La patronne s’est adjoint les services d’une gérante, Daniela Lachat, une enfant du coin, qui est au four et au moulin, et assure la réception, le service au restaurant, qui connaît tout le monde et qui fait le lien avec les organes touristiques du canton. Mais Elsbeth Müller ne reste pas inactive: elle met la main à la pâte, au propre comme au figuré! «Je suis présente au moins trois jours par semaine. Je m’occupe notamment de l’administration, j’assure des présences à la réception.»
Et elle remplace même en cuisine. Covid oblige, les mesures sécuritaires sont appliquées à la lettre. Conséquence, il ne peut y avoir qu’une personne à la fois dans la petite cuisine. Le chef concocte présentement une carte simplifiée, avec un menu complet de 4 plats, différent chaque jour. Mais lorsqu’il a congé, eh bien! c’est la patronne qui officie aux fourneaux. Elle dit qu’elle adore: «Durant le confinement, nous sommes restés ouverts, et j’ai assumé toutes les tâches», dit-elle sur un ton amusé.
Elsbeth Müller, une hôtelière heureuse? «Oh oui! Je ne regrette surtout pas d’avoir osé me lancer.» Son credo pourrait se résumer ainsi: qualité et souplesse. «Les hôtes veulent sentir une ambiance, une chaleur, un soin à l’accueil. Il faut donc y veiller en permanence. Et dans le contexte actuel, fait d’incertitudes, il faut constamment s’adapter, faire preuve de souplesse», explique l’hôtelière. Elle ne se départit pas de son optimisme, qui n’est pas feint: «On ne sait pas de quoi sera fait demain. Mais cet été spécial le montre bien: les gens apprécient de pouvoir venir séjourner quelques jours dans une belle région comme le Jura. A nous d’avoir des idées, d’innover pour faire au mieux pour les accueillir.»
dumouton.ch
Claude Jenny
Le Locle
Une fleur révolutionnaire renaît de ses cendres
La révolution neuchâteloise démarra de ce bâtiment au 1 de la Grand Rue, au Locle, en 1848. Mais la révolution qui se joue aujourd’hui concerne davantage l’hôtellerie. Depuis douze ans, la coopérative Savoir-Faire Le Locle se bat pour redonner du lustre à ce bâtiment patrimonial, parti en fumée en 1994, puis laissé à l’a-bandon. Elle a pu engager six millions et mobiliser la crème des architectes, artisans locaux. Depuis février, la Fleur de Lis se mue en nouveau joyau hôtelier d’une ville des montagnes neuchâteloises qui en manquait considérablement. Avec un seul 3 étoiles de 40 chambres recensé, les Trois-Rois, et plusieurs offres originales de petites capacités comme l'Auberge du Prévoux, la guesthouse de la Maison DuBois ou les cabanes dans les arbres Les Nids.
Des poutres d’origine, des murs à la chaux, du béton vivace dialoguent avec une literie moderne et des meubles chinés. Le goût sûr pour les aménagements intérieurs de l’architecte William Darbellay fait mouche à la Fleur de Lis. Après quelques mois de flottement, une première tentative d’un couple de directeur vite reparti, c’est le chef parisien Matthieu David qui désormais accueille. Une figure bien connue de la bistronomie de terroir qualitative en ville de Neuchâtel. Depuis fin avril, il reprend totalement la direction d’une équipe de 10 personnes avec décontraction et sérieux. Il met notamment tout son cœur dans le conseil à la clientèle, convaincu en riant que son style casquette et création vivante à l’encre sur l’avant-bras de l’artiste Tenko peut convaincre autant qu’un austère costard cravate pour vendre des chambres «où, si l’on entend un bruit, il s’agit de la fontaine».
Derrière son bureau de bois à l’entrée, Matthieu David semble se réjouir de ce challenge inattendu et peut faire profiter de son expérience tous azimuts: «Je suis parti travailler très tôt, il a bien fallu. Cela m’a emmené dans le monde des start-up informatiques. Mais le vendredi, je laissais tomber ma veste pour commencer mon apprentissage de cuisinier, pour arriver aux fourneaux d’un des meilleurs bistrots de Paris où j’ai appris la philosophie du fait maison. Et puis Le Cardinal, le Chauffage Compris, L’Interlope à Neuchâtel et tous les étés, les fourneaux de la Plage des Six Pompes à La Tchaux.»
Le voilà à la tête d’un hôtel-galerie de 22 chambres, toutes décorées par des plasticiens neuchâtelois, allant de l’audace grave et des couleurs virtuoses de Rolf Blaser à la loufoquerie débridée de Plonk et Replonk. L’établissement vise la classification 3 étoiles supérieur.
Matthieu David en parle avec passion: «On dispose de huit chambres de luxe, huit de catégorie supérieure et six studios dont deux équipés de cuisine, tout cela sur trois niveaux et demi comme dans le film ‹Dans la peau de John Malkovich›. Souvenez-vous la porte qui mène dans sa tête se trouve au septième étage et demi.» Matthieu David ne manque jamais une formule presque incantatoire.
Une terrasse et un espace pour les produits du terroir
La Fleur de Lis propose aussi deux salles de réunion de 10 et 30 places idéales pour le monde horloger, lorsqu’il retrouvera son rythme de croisière. «Oui, la clientèle horlogère reste une évidence dans le business plan de l’hôtel, nous avons de très bonnes relations avec Cartier, Zenith, Tissot et Swatch.» Ce qui peut offrir une complémentarité intéressante avec l’offre du Grand Hôtel des Endroits, à La Chaux-de-Fonds, un 4 étoiles très prisé par les orfèvres de la précision.
Depuis la fin de la crise, les touristes de Suisse alémanique commencent à se bousculer dans cette nouvelle adresse: «Oui, ces premiers week-ends de reprise affichent complet. Ils connais-saient déjà bien le Jura et commencent à ruisseler vers Le Locle. Ils découvrent notre nature ma-gnifique et les rives du Doubs. La Neuchâtel Tourisme Card et sa multiplicité d’offres gratuites nous aide à vendre cette belle région», explique Matthieu David. Il raconte cette famille en vélo venue pour deux nuits, qui prolongeait sans cesse pour finalement profiter d’un séjour de onze nuitées. Une terrasse et un espace consacré aux produits du terroir achèveront de construire l’offre ces prochains mois.
Un dessert de cerises et de lait d'amande
La passion première de Matthieu David reste les fourneaux où il officie toujours deux fois par semaine. Il donne aussi toute sa confiance au jeune chef Valentin Leuba, un touche-à-tout comme lui, passé d’études de chimie à l’EPFL à la pâtisserie de Châteauvieux, chez Philippe Chevrier à Genève, et à l’enseignement de son métier aux apprentis neuchâtelois. Une délicate joue de bœuf cuite quatorze heures, accompagnée d’incroyables pommes de terre et un joli dessert de cerises, lait d’amande achève de convaincre de la pertinence de ce duo en cuisine. Sur le secret de la patate, Matthieu David dit simplement: «Arrêtez de la tremper dans l’eau, juste à la vapeur et un final dans la sauce de cuisson de la joue.»
Quant aux vins, Matthieu David peut partager sa passion pendant des heures: «J’aime les vrais Pinots Noirs, ceux qui pinotent, dont on reconnaît immédiatement la matière.» Et rêve petit à petit de raconter la magie des vins nature aux clients de la Fleur de Lis. Pour l’instant, il partage presque en secret un Chardonnay Chapon Blanc du Bourguignon Vincent Talmot. A l’idée de nous le faire découvrir, il frémit et en humant dit délicatement: «Tu sais ce parfum de petit pot de crème acidulée.» Au Locle, jadis méprisé par les classements du magazine Bilanz, la vie semble douce au contact de cet homme raffiné que ses amis surnomment panda.
Portrait d'hôtelière
Guidée par l'éthique d'une maison historique
«Lors de mon cursus à l’EHL, je ne pensais pas devoir me préoccuper un jour de la quantité de fumier à commander!» Marie Forestier se lance dans un joyeux éclat de rire. Directrice de l’Hôtel Bon Rivage à La Tour-de-Peilz depuis 2013 et membre du comité exécutif d'HotellerieSuisse depuis le 1er janvier, la jeune femme a rapidement été séduite par cet établissement singulier 3 étoiles sup. de 52 chambres, propriété de la congrégation religieuse des sœurs de Saint Joseph d’Annecy.
Un passé riche, une situation de rêve face au lac Léman, avec accès direct au port et à la plage, un restaurant agrémenté d’un jardin de 4000 m2 permettant une «quasi autonomie» en fruits et légumes à la belle saison. Cet établissement familial détonne avec les précédentes expériences de Marie Forestier dans le luxe et l’hôtellerie de chaîne. Elle débute sa carrière chez Raffles à Singapour comme responsable des banquets avant de rejoindre Kempinski au Mont-Pèlerin en tant que vice-directrice F&B.
Au Bon Rivage, la Française d’Annemasse et Vaudoise d’adoption se sent comme à la maison. «J’aime la taille de cet hôtel, l’esprit qui y règne. Accueillir des clients réguliers, c'est très enrichissant. Nous ne recherchons pas des standards mais à donner de l’âme à notre accueil. Il est plus facile d’aller au-delà des attentes dans un 3 étoiles que dans un 5 étoiles.»
Une humanité récompensée par un faible taux de rotation
L’établissement veille à une forme d'éthique qui lui plaît. Dans le hall d’entrée, Marie Forestier tient à garder bien visible la charte des sœurs Saint Joseph, propriétaires et exploitantes de l’établissement jusqu’en 1999. «Accueillir l’hôte en ami» et «observer dans toutes nos prestations les valeurs d’honnêteté et de respect» en font partie. Ces valeurs guident le comité de direction dans ses décisions. «Traiter le personnel avec humanité fait partie de la philosophie», relève l’hôtelière. Une attitude qui, à ses yeux, explique le faible taux de rotation et la présence de huit personnes cumulant plus de dix ans de fidélité. Elle cite un autre exemple: «Il n'a jamais été question de passer en 4 étoiles, l'idée étant de rester modestes et accessibles. Pareil lors de la Fête des vignerons. Comme mes confrères hôteliers, nous avons majoré nos prix mais dans une certaine mesure. Il était important pour nous que le client ne se sente pas trompé.»
Marie Forestier intègre ces notions d’éthique à son management tout en insufflant son dynamisme et ses idées. Sensible à la longue histoire de cette maison datant de 1864, elle visite les archives qui la renseignent sur ses différentes affectations: hôtel jusqu’en 1904, école et pensionnat jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, avant de devenir pension et maison de repos. Dans les couloirs, l’hôtelière valorise des photos d’époque. Elle crée de petits salons entre les étages aux noms d'illustres hôtes à l’image de Gustave Courbet.
Sans se qualifier d’hôtel historique, le Bon Rivage reste attaché à son passé tout en vivant avec son temps. Entièrement rénové en 2001 et en 2013, l’hôtel subira encore d’autres modifications au rez-de-chaussée en 2016, peu après l’arrivée de Marie Forestier. «J’ai pu y mettre ma patte, se réjouit l’hôtelière qui explique sa volonté d’une réception ouverte. «Les clients arrivaient face à un mur, cela ne me plaisait pas. Nous voulions aussi qu’ils puissent voir le lac dès leur arrivée.»
Dans ce lieu qui fait office de petit salon, on mélange les styles ancien et contemporain avec goût. Marie Forestier sillonne les brocantes à la recherche d'un mobilier en adéquation avec l’esprit du lieu. Elle accompagne également la rénovation du restaurant The Garden on the lake ainsi que l’ancienne chapelle, désacralisée. L’hôtelière la transforme en pièce à vivre avec un coin enfants, lecture et des appareils de fitness. Et tient à préserver l’inscription au plafond «Dieu est ma tour et ma forteresse», clin d’œil à la devise de la commune.
Depuis son arrivée, la trentenaire est parvenue à augmenter le tourisme individuel et de loisirs de 20%. «J’ai commencé par réduire notre dépendance à Nestlé», raconte celle qui multiplie les initiatives pour attirer d’autres publics. Les vélos électriques, les paddles et les transats mis à la disposition de sa clientèle de loisirs séduisent aussi sa clientèle d’affaires. Très active localement, elle coopère avec les prestataires touristiques, organise des dégustations avec des vignerons, une activité très appréciée de petits groupes à l’affût d’une expérience plus que d’un seul lit. Pas pour rien non plus qu’elle a rejoint la catégorie «hôtels séminaires avec source d'inspiration» de Suisse Tourisme.
Motiver les collaborateurs «par l'envie» et rester à l'écoute
Marie Forestier représente cette nouvelle génération de managers qui cherchent à motiver ses collaborateurs «par l’envie», en restant flexibles et à l’écoute. Cette maman d’un garçon de 3 ans a déjà suggéré à un collaborateur confronté à un problème de garde d’emmener son enfant à l’hôtel, le temps de trouver une solution. Mais elle-même n’a jamais envisagé de réduire son temps de travail. «Je travaille du mardi au samedi, mon fils a vite été habitué à venir à l’hôtel.» Dès son congé maternité, elle a appris à déléguer, à nommer des responsables pour chaque département, à mettre en place des processus. «La question féminine n’est pas mon combat, je privilégie les compétences, indique l’hôtelière. Mais j’estime que la présence de femmes apporte une mixité dans la façon de penser qui ne peut que bénéficier à une entreprise.»
bon-rivage.ch
Val d'Hérens
Le sens de l’accueil coule dans leurs veines
Deux canaris colorés nous accueillent gaiement, contrastant avec les frimas de l'hiver et les cimes enneigées. Pour ceux qui connaissent l'Hôtel Les Mélèzes aux Haudères (VS), les deux oiseaux leur rappelleront Pipeau, le Merle des Indes doué de langage. Durant de nombreuses années, c'est lui qui saluait les clients une fois passés le seuil de la porte. Une attraction connue loin à la ronde et qui deviendra l'USP de l'établissement 3 étoiles.
Construit en 1965, l'hôtel a gardé son atmosphère chaleureuse et familiale, tout en sachant se réinventer. A la tête de l'hôtel bâti par ses parents, Claudia Métrailler-Anzévui y a grandi et transmet avec chaleur et naturel son attachement au Val d'Hérens. Elle s'exprime d'ailleurs couramment en patois et porte le costume traditionnel à la belle saison.
Hôtel, camping, magasin de sport et compagnie de taxis
«Comme Obélix, je suis née dans la marmite. Je viens d'une famille d'hôteliers. Mon grand-père avait plusieurs hôtels sur la commune d'Evolène. Mes parents ont construit Les Mélèzes et géraient une entreprise de transports. Ma mère adorait l'hôtellerie et m'a confiée de petites tâches dès l'âge de 6-7 ans.» Le sens de l'accueil coule aussi dans les veines de son époux Michel Métrailler. A la tête du camping d'Evolène fondé par son père, il y est également propriétaire d'un magasin de sport. A l'hôtel, il endosse la casquette d'homme à tout faire et de joker sans rechigner.
«Nous avons rapidement compris qu'il valait mieux ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier. La polyvalence fait notre force.» Claudia et Michel Métrailler sont capables aussi bien de divertir leurs hôtes avec des notes d'accordéon, que de régler des skis, poser des chaînes à neige, cuisiner, assurer un service de taxis ou encore de rénover de fond en comble leur hôtel.
Depuis qu'ils ont repris l'établissement familial en 2004, ils l'ont rénové progressivement jusqu'à fin 2017. «Nous avons tout fait nous-mêmes. Le sauna et le jacuzzi installés sur la terrasse en 2018 sont la cerise sur le gâteau», relève Claudia Métrailler-Anzévui. D'une quinzaine de chambres, l'établissement est passé à neuf chambres chaleureusement décorées par l'hôtelière dans un style alpin. Il compte également un restaurant de 60 places.
[IMG 2] «Notre petite taille suscitait la méfiance des banques. Il a fallu persévérer. Et cela en a valu la peine. Cette rénovation nous a sauvés et a même incité d'autres hôteliers a en faire de même», estime l'hôtelière. Originellement plus actif à la belle saison, l'hôtel bénéficie de la tendance du ski de randonnée, qui a permis d'accroître son chiffre d'affaires hivernal. «Le regain d'intérêt pour une nature préservée et le développement durable joue en notre faveur. C'est notre revanche sur les stations», estime la patronne.
Toutefois, être établi dans une vallée n'a rien d'évident et dépend étroitement de l'activité qui s'y passe. Les Métrailler voient d'un bon œil les projets d'investisseurs d'y développer de l’hôtellerie haut de gamme et une clinique (htr du 3 mars 2019). «Nous avons besoin d'une locomotive, disent-ils en chœur. Ce projet donnera de l'oxygène à la région, créera des emplois.» Eux-mêmes sont très impliqués dans la vie locale: elle est membre du groupe folklorique, tandis que lui siège dans les conseils d'administration des remontées mécaniques, de l'office du tourisme et du comité du Grand Raid.
Trois fils impliqués dans la vision stratégique de l'hôtel
Lorsqu'il s'agit de décider de l'avenir de l'hôtel, la vision s'écrit à cinq, avec leurs trois fils de 26, 24 et 21 ans. Tous trois apportent leur savoir-faire. L'aîné, Dylan Métrailler, dirige l'OT d'Evolène, le second, Dany, formé en tourisme à la HES-SO de Sierre, travaille à l'hôtel entre deux voyages, tandis que Lucas étudie l'économie après une formation bancaire. «Nous organisons régulièrement des colloques familiaux où chacun présente ses idées pour l'hôtel», explique l'hôtelière. Ceux qu'elle nomme les «garçons» ou «ses gardes du corps» réfléchissent à des solutions pour augmenter la capacité d'hébergement. De préférence des structures légères, pourquoi pas insolites comme des Pods, afin de minimiser les coûts. «Je suis une féministe à l'ancienne, plaisante Claudia Métrailler-Anzévui. Je laisse les hommes décider. Ou du moins leur donne le sentiment que l'idée vient d'eux!»
Présent sur les OTA, l'hôtel subit les désistements qui rendent la planification de plus en plus ardue. «Pour la période entre Noël et Nouvel-An, nous avons enregistré 40 annulations de réservations en dix jours, que nous avons finalement récupérées.» Le couple d'hôteliers défend une nature proactive et optimiste. Michel Métrailler parle de vocation: «Nous travaillons dans le service, car nous aimons les gens. Pareil lorsque Claudia joue de l'accordéon le soir. Nous le faisons parce que nous en avons envie.» Ce sens de l'accueil vrai et authentique plaît. Il a été récompensé par le Prix Bienvenu en 2016 et se ressent sur leur classement Trustyou (95 points). Claudia Métrailler-Anzévui s'inspire de ses propres expériences hôtelières et cherche à se mettre à la place de ses hôtes: «Nos clients doivent se sentir comme chez eux. Nous voulons rester flexibles et humains. Moi-même je ne supporte pas d'être un numéro. Je me souviens de nos clients, même s'ils ne sont venus qu'une fois.»
Portrait d'hôteliers
Théâtre de 35 ans d’expériences
«Nous n'avons pas repris, mais créé un hôtel. C'est très différent.» Pour raconter cette singularité, Pierre-André Michoud, propriétaire et exploitant de l'Hôtel du Théâtre à Yverdon (3 étoiles supérieur, 36 chambres), ressent tout d'abord le besoin de remonter le temps. Peut-être parce que les fragments de vie et d'expériences cumulés au fil des 35 dernières années se retrouvent dans cette demeure patricienne transformée en 2005 en établissement de charme.
Diplômé de l'Ecole hôtelière de Lausanne (EHL) en 1984, Pierre-André Michoud fait partie de ces alumnis qui, après deux ans d'expérience comme assistant de direction à l'Hôtel Rivesrolle à Rolles, choisit de changer de cap. Il rejoint American Express comme vendeur. «J'ai toujours dit que je quittais l'hôtellerie avant d'en être dégoûté. Cette expérience m'a permis aussi de découvrir le milieu sous un autre angle: celui des fournisseurs.»
Un tour du monde plus tard, suivi de deux postes de direction dans des cliniques vaudoises et de deux ans en Indonésie dans le monde industriel de la chaussure, l'Yverdonnois ressent le besoin de retrouver ses premières amours. «Retourner à l'hôtellerie me titillait. Le contact avec les gens, la maison me manquaient.» Pierre-André Michoud déchante, il peine à trouver son bonheur. «Je ne voulais pas recommencer au bas de l'échelle. J'étais déçu que l'on ne me fasse pas confiance.» Il n'a jamais été attiré par les grandes chaînes hôtelières, ni à Jakarta ni en Suisse. Il recherche un style familial, à taille humaine, proche des clients et des collaborateurs.
[IMG 2] Le hasard (ou la chance) en fait l'homme qui rouvre l'emblématique Ecusson Vaudois, l'une des plus vieilles auberges d'Yverdon. Nous sommes en 1994. «Nous n'avions que neuf chambres, mais ne souhaitions pas nous présenter comme un restaurant avec des chambres à l'étage, mais bien comme un hôtel avec un restaurant.» Il convainc sa future épouse rencontrée en Indonésie de le rejoindre.
Elle en maîtresse de maison, lui engagé sur tous les fronts
Active dans l'exportation de meubles, Ninik Michoud devient son bras droit. «Ninik est devenue hôtelière malgré elle et elle le fait très bien! Nous sommes très complémentaires», glisse-t-il avec un regard complice pour celle qui assume avec naturel le rôle de maîtresse de maison. Elle se charge autant du design intérieur que du yield management ou de la formation du personnel de maison. Des missions qu'elle endosse d'autant plus souvent que son époux augmente ses engagements: au sein de l'association hôtelière locale, de l'office du tourisme puis d'Expo.02 où il gère l'hôtel modulaire Art & Plage. En 2011, il rejoint le comité exécutif d'HotellerieSuisse dont il devient vice-président en 2015. Il est aussi vice-président de l'EHL («cette école me fascine!», dit-il) et administrateur du Crédit hôtelier à Zurich. «Plus vous vous engagez, plus on vient vous chercher», justifie l'hôtelier.
Trois candidats pour lui succéder
Membre du comité exécutif d'HotellerieSuisse depuis 2011 et vice-président depuis 2015, Pierre-André Michoud doit céder sa place pour des raisons de limitation de mandats. Les délégués de l'association éliront son ou sa successeur(e) le 28 novembre 2019 à Zurich. Une femme et deux hommes se présentent: Marie Forestier, directrice de l'Hôtel BonRivage à La Tour-de-Peilz; Nicolas Ming, propriétaire de l'Astra Hotel à Vevey et Peter Butler, GM de l'Hôtel de Rougemont.
La reprise de l'Ecusson vaudois confirme sa passion pour l'hôtellerie. Il se sent un peu à l'étroit avec neuf chambres. Et il manque de lits à Yverdon, il s'en était aperçu lors de l'Expo.02. Intrigués par une demeure patricienne endormie située à deux pas du Théâtre Benno Besson, de la gare et du centre-ville, Pierre-André et Ninik Michoud y entrevoient un potentiel hôtelier. Né en 2003, le projet de l'Hôtel du Théâtre met deux ans à éclore. «J'ai voulu créer un endroit où l'on se sente bien, grâce à des couleurs et une circulation harmonieuse», explique Ninik Michoud.
Dans les chambres, on privilégie les tonalités naturelles, des lumières douces, du parquet au sol. Avec ses briques rouges et ses mosaïques bleues, la cour intérieure donne le sentiment de dépaysement. Après l'ajout de huit chambres spacieuses «côté jardin» et de trois salles de conférence entre 2014 et 2017, l'hôtel a atteint sa forme définitive.
La foi dans le service humain et personnalisé
Son taux d'occupation avoisine les 65% en moyenne sur l'année, reposant largement sur les entreprises. Pierre-André Michoud concède: «Nous profitons de notre situation centrale et de la faible capacité hôtelière à Yverdon.» Côté loisirs, la classification «bike» de l'hôtel lui assure régulièrement la venue de cyclistes. «Yverdon a un peu perdu son statut de ville thermale», regrette l'hôtelier qui estime que le potentiel touristique de la ville est sous-exploité.
Parent de deux filles de 22 et 23 ans, dont une étudiante à l'EHL, le couple se dit confiant pour l'avenir. Et reste fidèle à ses valeurs. «Nous sommes conscients des changements de modes de consommation, mais ne voulons pas perdre notre âme. Nous croyons au service humain, personnalisé. Nous offrons des prestations qu'il faut enrober dans du plaisir.» Bientôt allégé de ses mandats auprès d'HotellerieSuisse, Pierre-André Michoud investira le temps retrouvé pour sa clientèle. «J'aimerais devenir leur guide, leur proposer des balades ou des virées sur notre bateau.»
hotelyverdon.ch
Portrait d'hôteliers
Quatre chambres qui cajolent les cinq sens
Pour voyager sans quitter ses terres et assouvir sa curiosité, sa grand-mère avait ouvert une maison d’hôte dans le couvent Klostergut Paradies, à Schlatt dans le canton de Schaffhouse. Elle y accueillit même Churchill. «Enfant, les couloirs me paraissaient immenses! Il y flottait une odeur de thé noir qui m’a profondément marquée. Ma grand-mère faisait tout à la main. Elle me racontait la provenance de ses hôtes avec qui elle gardait contact avec des cartes postales. Cela me fascinait.» C’est de ses souvenirs d’enfant qu’Anna Neil-Raduner a puisé l’envie d’ouvrir un jour son établissement. Depuis 2012, elle exploite avec son compagnon architecte, Francis Rulence, Le Coq Chantant, dans le charmant village viticole de St-Livres (VD). Un havre paisible de quatre chambres qui balance entre la maison d’hôte haut de gamme et le boutique hôtel classifié Swisslodge.
Pour tous les deux, l’aventure hôtelière rime avec seconde carrière. Anna Neil-Raduner, physiothérapeute devenue thérapeute, continue d’exercer à Bâle et se consacre à l’accueil de ses hôtes en deuxième partie de semaine. «L’hôtellerie est une autre façon de côtoyer des gens: le contact humain sans le but thérapeutique.» Le bien-être se situe cependant au cœur de la démarche. «Nous voulions un lieu qui satisfasse les cinq sens.» Du jardin au choix du mobilier, les propriétaires accordent beaucoup de soin aux matériaux. Ils chinent à la recherche du mobilier rare, original ou réalisé sur mesure. De la porte d’entrée en mélèze ancien venu du Tyrol du Sud aux abat-jour en caoutchouc coloré d’un designer suédois, en passant par l’armoire peinte de 1793 et le poêle en fer forgé. «Tous les objets ont une histoire», assure Anna Neil-Raduner. Elle aime raconter celle des têtes de lit en bois d’arole d’Engadine. «Un matériau connu pour offrir des rêves magnifiques...»
Recours à une étudiante de l'EHL et à un hôtelier expérimenté
Après avoir racheté la bâtisse qui abritait l’ancienne «Croix fédérale» ainsi que la ferme attenante qui deviendra leur domicile, le couple s’attèle au projet de maison d’hôte. L’ancien bâtiment est rasé et refait à neuf en gardant les mêmes proportions. La priorité est donnée à de beaux espaces, de beaux volumes. «J’ai par endroits dû m’adapter au mobilier qu’avait choisi Anna, notamment pour quelques fenêtres... », relève Francis Rulence. Il s’occupe de l’enveloppe, conforme aux standards Minergie, elle d’en faire un intérieur douillet en privilégiant les tons naturels. L’extérieur est confié à un architecte paysagiste. «Le jardin était mort énergétiquement. En le voyant, je me suis dit: ici, il faut créer. Nous ne voulions pas d’un jardin à la française, mais de quelque chose de sensuel, qui ouvre le cœur», raconte Anna Neil-Raduner.
Une fois le nid bâti, la difficulté consistait à le faire connaître. Jamais à court d’idées et de contacts, Anna Neil-Raduner fait appel à une étudiante de l’Ecole hôtelière de Lausanne qui consacre à l'établissement son Student Business Project. Elle recourt ausi au réseau d’experts Adlatus qui la met en contact avec une figure de l'hôtellerie de la Riviera, Bernard Tschopp. Il aide le couple à professionnaliser leur marketing. Leurs chambres atteignant les 40 m² et étant dotées de kitchenettes, il leur propose de les nommer «junior suites» et d’approfondir le côté thématique. Faisant écho au Coq Chantant, elles s’appellent Gréco, Brel, Gainsbourg et Piaf, des grands noms de la chanson française que l’hôte peut écouter en chambre ou découvrir en feuilletant des ouvrages à leur sujet. Leur coach les invite aussi à valoriser leur engagement en faveur de l’environnement, tout comme leur histoire personnelle. Sur Facebook, ils racontent que Le Coq Chantant fait écho à l’auberge que tenaient les grands-parents de Francis Rulence dans le Pas de Calais, avant qu’une bombe ne la détruise durant la deuxième guerre mondiale.
Le couple s’émerveille à l’idée de recevoir des hôtes du monde entier. Mais reconnaît la difficulté du métier d’hôtelier. Le Coq Chantant atteint un taux d’occupation annuel de 50% et de 75 à 80% l'été. Une clientèle autant loisirs que business, à 45% helvétique. Pour étoffer sa fréquentation, Anna Neil-Raduner envisage de développer ses workshops bien-être, tels que cours de cuisine ou yoga. Elle confie avoir accueilli récemment des personnes «avec de hautes fonctions, qui ont apprécié la discrétion du lieu». Petite fierté de la propriétaire qui s’en va chercher le Livre d’or de l’établissement. Il contient la trace de ses hôtes ravis, comme le prolongement de la collection de cartes postales de la grand-maman de Schaffhouse.
Portrait d'hôteliers
La vision à long terme d’un Grand Chalet
Le nom de la famille Bonelli, propriétaire des lieux depuis trois générations, est inscrit en petites lettres dorées sur la porte d'entrée. Ce qui peut apparaître comme un détail raconte déjà un fragment d'histoire, celle de la continuité. Le Grand Chalet fait partie de la poignée d'hôtels à avoir survécu à Leysin. De la quinzaine d'établissements qui existaient encore dans les années 1990, il n'en reste à peine le tiers aujourd'hui.
Sanatorium, pension, hôtel 2 puis 3 étoiles, passant de 15 à 30 chambres. La bâtisse a bravé les époques et su se réinventer. D'un bâtiment carré, construit en 1896 avec les restes du Grand Hôtel, la pension Sylvana s'est muée dans les années 1990 en Grand Chalet lorsqu'on lui rajouta deux ailes et un toit à deux pans.
«Nous avons la chance d'avoir hérité d'un établissement bien entretenu, avec une vue magnifique. Mes beaux-parents ont beaucoup investi», raconte Lysiane Bonelli. Assise sur la terrasse qui surplombe le village avec vue sur les Dents du Midi, le glacier d'Argentière et même le Mont-Blanc, l'hôtelière reconnaît sa chance. Pourtant, cette situation sur les hauts du village n'a pas toujours fait rêver. «Dans les années 1970, c'était un endroit éloigné, desservi par une route plus étroite où personne n'aurait imaginé réaliser un hôtel 3 étoiles avec restaurant. Dans ce sens, on peut dire que mes parents Claudine et Livio ont été visionnaires lorsqu'ils ont décidé de transformer la pension Sylvana», explique Jacky Bonelli. Il reprend les rênes de l'établissement familial en 1997. Sa future épouse, alors employée de commerce, le rejoint en 1999 après s'être formée auprès de son beau-frère, lui aussi hôtelier.
Un espace bien-être sur la terrasse en passe de s'étoffer
Lysiane et Jacky Bonelli poursuivent la tradition, améliorent l'existant. Ils rajoutent en 2004 un jacuzzi extérieur, aménagent un salon-bar avec cheminée, avant de rénover entièrement l'hôtel entre 2011 et 2014. «C'est par hasard que j'ai découvert l'existence de ce beau mur en pierre, réalisé par mon père. Il l'avait plâtré et peint en vert», relate amusé Jacky Bonelli. Ils privilégient le vieux bois de la région afin de donner un style alpin authentique à l'établissement. Depuis juin 2018, ils ont aménagé une salle de massage et proposent des cours de yoga – deux disciplines confiées à des professionnelles. Cet automne, un sauna extérieur viendra compléter leur offre bien-être. «Nous envisageons aussi d'agrandir la terrasse du restaurant ainsi que notre espace jacuzzi», énumère avec entrain Lysiane Bonelli. Le dynamisme et la soif de projets du couple leur réussissent. L'hôtel se porte bien et son chiffre d'affaires est en augmentation depuis cinq ans, grâce notamment à sa présence sur les OTA et le recours à un software de channel manager.
Mais l'optimisme de l'hôtelière se voile un peu lorsqu'elles évoque les exigences croissantes de la clientèle et les nouvelles habitudes: toujours plus de last minute, moins de demi-pension, des séjours plus courts. Une vision à court terme qui complique la gestion du personnel (en l'occurrence 8,5 personnes). «Recruter reste compliqué et l'obligation d'annoncer les postes vacants aux ORP une catastrophe. En haute saison, nous avons besoin de quelqu'un tout de suite.»
Malgré les difficultés, le couple se dit confiant en l'avenir. Parents de trois enfants, ils espèrent leur transmettre le virus. «Avant aucun d'eux ne s'imaginaient devenir hôtelier. Actuellement tous les trois l'envisagent», sourit Lysiane Bonelli. Et son époux d'ajouter: «Quand ils contemplent la vue, ils se disent aussi que ce serait dommage d'arrêter…»
Série d'été
La douceur d'un accueil comme à la maison
L'effervescence du festival de musique classique et la canicule passées, Verbier savoure une journée pluvieuse qui donne envie de se réfugier à l’intérieur. A l’Hôtel Mirabeau, un jeune couple de retour de promenade commande un chocolat chaud et s’installe dans les moelleux fauteuils donnant sur la baie vitrée. L’accueil doux et avenant de la directrice de ce 3 étoiles de 23 chambres donne rapidement le sentiment de se sentir chez soi. Peut-être justement parce que cet hôtel est une maison.
«Ma maman a loué l’hôtel dès 1974, un an après sa construction. Seule avec ses quatre enfants, elle a travaillé jour et nuit pour subvenir à nos besoins et parvenir à acheter le bâtiment, dix ans plus tard. Cet hôtel a été sa bouée de sauvetage et notre maison durant de nombreuses années», raconte Sylvie Carlucci. Cet attachement particulier aux lieux a rapidement donné envie à la cadette de la fratrie de reprendre un jour le flambeau. Après avoir fréquenté l’Ecole de tourisme de Sierre puis l'Institut d'études sociales de Genève et exercé comme éducatrice spécialisée, son tour est venu en 2008. Lorsque sa maman a ressenti le besoin de lâcher un peu.
Des souvenirs d'enfance essaimés dans chaque pièce de la maison
«Ce n’est pas le métier de l’hôtellerie qui m’intéressait, mais cet hôtel en particulier. Parce que j’y suis profondément attachée, c’est ici que j’ai grandi.» Elle se souvient avoir occupé les chambres en fonction de leurs disponibilités. «Nous aidions au petit-déjeuner, à plier les draps. Je n’avais pas les bras assez longs pour joindre les deux bouts», raconte-t-elle en mimant le geste.
Cette baroudeuse a toujours «adoré» rencontrer ces voyageurs du monde entier, se souvient de l'animation du village en haute saison. Elle garde en mémoire un moment particulier: l’accueil durant un mois des acteurs de la comédie suédoise «Sällskapsresan II – Snowroller», lors du tournage à Verbier en 1985. Un succès comparable aux «Bronzés font du ski» en France. «Cette année-là, je me suis dit que je reprendrais un jour l’hôtel. J'avais 16 ans.»
D’origine norvégienne, sa maman Chris Stuckelberger est arrivée à Verbier à la fin des années 1960. On lui avait parlé de la station comme «d’une mine d’or». «J’ai un grand respect pour ce que ma maman a créé. Elle est partie de rien, raconte Sylvie Carlucci. J'aimerais préserver l'âme de cet hôtel tout en l'adaptant aux exigences de la clientèle actuelle. Mais nous ne partageons pas toujours la même vision, c'est une autre génération.»
Il a fallu par exemple quelque temps pour que sa maman, propriétaire, apprécie les rénovations entreprises en 2015, portant sur le rez. Sylvie Carlucci désigne avec enthousiasme les objets historiques qu'elle a souhaité valoriser dans cette pièce à vivre: une ancienne luge devenue table, le piano de sa grand-mère transformé en table à pain pour le petit-déjeuner, l'ancienne centrale téléphonique dont elle reste fascinée. Les tables et les chaises d'époque ont été récupérées et sablées pour leur donner une touche de modernité.
«Ce n'est pas l'hôtellerie qui m'intéressait, mais cet hôtel en particulier.»
Sylvie Carlucci
Directrice de l'Hôtel Mirabeau, Verbier
Elle rêve aussi de créer «un vrai spa» et, quand les moyens le permettront, de refaire les salles-de-bains, malgré le charme «vintage» du carrelage d'origine. Les chambres se veulent «cosy» avec leurs draps de lits à carreaux vichy, bleu ou rouge. La directrice tient à préserver ce charme douillet et authentique, de plus en plus absent de la station.
Elle regrette le luxe et la surenchère immobilière
Présidente depuis deux ans
des hôteliers de Bagnes, soit 18 établissements, Sylvie Carlucci suit avec intérêt le développement de la station. «Verbier a beaucoup changé. Je regrette cette prolifération du luxe, assez impersonnel. Les établissements se muent en clubs privés, en restaurants gastronomiques. Il est de plus en plus difficile de conseiller à nos clients un endroit où déguster une bonne fondue ou une raclette.»
Elle se dit «attristée» par la disparition progressive de l'hôtellerie familiale, la surenchère immobilière et la guerre des prix qui règne entre les hôteliers. «Je ne pensais pas que les 5 étoiles nous concurrenceraient un jour…» Idéalement situé au cœur du village et à quelques mètres de la télécabine, l'Hôtel Mirabeau a déjà suscité l'appétit des promoteurs. «Je ne vous dis pas combien on m'a proposé pour cet hôtel. Mais il n'est pas à vendre et n'a pas de prix, leur ai-je répondu.» Pour sa part, elle a décidé de s'établir au Châble pour offrir à ses deux enfants «une vie plus régulière». «Habiter en station n'est pas toujours évident. Très vivant et international en haute saison, puis Verbier devient ville fantôme.»
Elle se souvient, avec peut-être un peu de nostalgie, des belles années de Verbier. Lorsque sa maman louait à des tour-opérateurs scandinaves à la semaine. Et à ses débuts en tant qu'hôtelière, en 2008, 2009, 2010. «A ce moment-là nous ne louions pas moins de deux semaines entre Noël et Nouvel-An. Aujourd'hui, nous acceptons un minimum de cinq jours. Notre clientèle fidèle, qui restait longtemps, vieillit. Les séjours de 10 jours se raréfient. Les hivers sont plus difficiles.» La directrice estime que son établissement est complet l'équivalent de cinq mois par an, pour une exploitation de neuf mois.
Depuis l'an dernier, l'Hôtel Mirabeau est classifié «Bike Hotel», en espérant drainer un nouveau public cible. Sylvie Carlucci répond à une clientèle toujours plus exigeante par un service généreux. «Au petit-déjeuner, nous proposons du saumon, des confitures maison, des fromages de la laiterie. Cette générosité doit être étendue à l'ensemble de la station. L'accueil à Verbier peut être amélioré. On peut servir des olives à l'apéritif ou verser un décilitre qui ne s'arrête pas forcément à la ligne du verre», illustre-t-elle.
Sylvie Carlucci reçoit ses hôtes avec une sincère bienveillance. «J'adore ce métier. Je suis curieuse de la vie des gens. Nous les accueillons durant leurs vacances, ils sont reconnaissants, nous remercient.» L'hôtelière cumule les petits détails qui témoignent d'un accueil soigné. A l'image de ces petits casiers en bois contenant une bouteille en verre où on y lit: «Enjoy our mountain water». Par touches successives, elle sublime l'hôtel dont elle a hérité. Pour l'offrir comme un vrai cadeau.
Laetitia Grandjean
Série d'été
Belle simplicité de jeunesse
Dans son Hôtel Suisse du milieu du village de Champéry, au cœur de la baie vitrée qui donne sur les Dents-du-Midi, Lara Berra s’amuse de ce petit poêle à bois qu’elle qualifie de «top cool». Il permet aux clients de se rapprocher en hiver pendant le tea-time construit autour des gâteaux maison. «J’aime un hôtel pour ses sourires et ses défauts.» Elle lorgne sur un petit coin en bois près de la réception, qu’elle aimerait progressivement transformer en lieu de vie chaleureux rempli de livres.
Avec ses deux frères et sa sœur, elle a grandi ici, même si la famille habitait plus haut dans le village: «A sept heures, avant l’école on aidait à préparer les petits-déjeuners et réveillait les clients par téléphone. On aimait aussi monter au galetas, dans notre caverne d’Ali-Baba, on jouait avec des chandeliers, des vieilles lampes, on mettait des mini-cristaux autour du cou comme nos bijoux.»
A 26 ans, après ses études à l’Ecole hôtelière de Lausanne et après avoir testé tous les métiers de l’hôtellerie en Autriche et en Norvège, la voilà de retour depuis une année et demi dans cet hôtel familial de 40 chambres «toutes différentes, réparties en cinq catégories». Elle tente de reprendre progressivement la direction du trois étoiles de ses parents mais pas toute seule, elle propose à Pauline Clerc une de ses camarades d’études à l’EHL de la rejoindre: «Je savais qu’avec elle, je pouvais discuter sans que l’on s’énerve. J’avais besoin de m’entourer de quelqu’un qui n’a pas grandi dans le milieu. Moi je m’occupe beaucoup des chiffres, du backoffice. J’aime bien les idées qu’elle amène. L’autre jour de la lavande poussait ici en bas, Pauline en a fait des tresses, des bouquets. On a pu les disposer autour de la réception, cela sentait bon.»
Lara Berra sentait que ses parents qui ont repris l’hôtel en 1996 sous la gestion de Golden Tulip, puis franchisé NH pour finalement le racheter en 2003 «voulaient lâcher un peu, ne pas se brûler.» Pendant un voyage ensemble au Sud des Etats-Unis, Pauline se laisse convaincre: «Vas-y Lara, on essaie…» La jeune femme hésite un peu: «Je voyageais depuis trois ans, découvrais des gens incroyables, mangeais des trucs de fou, je me sentais bien en Norvège. Je n’étais pas sûre de vouloir rentrer à la maison dans ce petit trou que je connais.» Avec Pauline, elles arrivent d’abord à la réception, puis commencent à former un petit groupe de direction avec: «Maman et Papa qui ont souvent raison, c’est eux les vrais chefs.» Sa sœur Camillia, championne de ski freestyle, complète cette équipe depuis cet hiver: «Des jeunes avec de l’envie qui reprennent un établissement familial, je ne vois pas beaucoup d’autres exemples autour de moi.» L’établissement emploie sept personnes l’été et onze l’hiver.
En toute sincérité elle confie aussi ses doutes: «Au début le soir, je ressentais comme un boulet au pied, je coulais, je ne découvrais rien de neuf. Mes parents ne m’ont pas forcée, ils ne voulaient pas revendre l’hôtel, mais cherchaient aussi à me faire plaisir, me rendre fière. Petit à petit, j’ai rencontré des nouvelles personnes, mon papa m’a laissé des mandats dans les associations professionnelles, j’ai vu que je pouvais bouger depuis mon village. L’année passée j’ai skié presque deux heures par jour comme prof ou pour moi. C’est une chance.»
Elle aime le service informel. Si quelqu’un lui demande où aller manger elle n’hésite pas à l’emmener en voiture à la Cantine sur Coux, chez Claudine: «Des Américains racontaient sur un site qu’ils n’étaient jamais montés dans une si petite voiture», s’amuse-t-elle. Elle aime aussi voir des hôtes d’Asie et d’ici se mélanger autour d’une partie de carambole: «Ils se sentent à la maison.»
A l’EHL, Lara Berra ne se sentait pas fascinée par les gros hôtels de luxe: «Où on vous donne même pas une clef spéciale et on peut tout ouvrir avec des cartes de crédit.» Elle explique: «On a grandi simplement, dans un petit hôtel pas prétentieux.» Elle s’entoure d’étudiants un peu différents, loin des comités de découverte d’hôtels et des bars à champagne: «J’ai un pote qui fait de la bière artisanale.»
Lara Berra s’amuse en entendant encore souvent des clients demander Monsieur et Madame Berra: «Ils continuent à passer la main, on s’entend bien. On a abattu un sacré travail l’hiver dernier et cet été s’annonce chouette. On a la tête dans le guidon, à la fin de cette saison on pourra penser aux améliorations ou aux projets d’investissements.»
Elle songe notamment au potentiel des séminaires avec deux salles lumineuses qui peuvent les accueillir: «On pourrait agrandir en bas, proposer un espace en longueur avec un écran et un projecteur.» Elle loue la bonne collaboration avec leur voisin Châteauform’, uniquement spécialisé en séminaires: «On peut proposer des espaces de même standing en plus informel.» Pour l’heure, l’Hôtel Suisse accueille entre 15 et 20 séminaires par année ce qui permet une bonne occupation annuelle.
Ces dernières saisons, l’établissement ouvrait toute l’année, cette saison une pause d’un mois en octobre lui semble envisageable. Il reste aussi de l’espace sous le toit, la caverne d’Ali-Baba d’enfance pourrait se transformer en appartements pour les clients ou pour eux les enfants.
Elle ne regrette pas, il y a quelques années, la fermeture du bar de nuit les Mines au pied de l’hôtel, sourit: «On vend du sommeil en premier.» Après une journée de boulot très prenante, elle apprécie désormais ce village où cinq personnes s’arrêtent pour lui parler: «C’est pas n’importe où, je me sens chez moi.»
Série d'été
Engagé pour une hôtellerie artisanale
On retrouve Gilles Montandon à La Chaux-de-Fonds, lors d’une chaude après-midi de juillet. Dans la ville aux avenues rectilignes, les citadins frôlent les murs à la recherche de fraîcheur. L’arrivée à l’Hôtel-Resto-Bar Chez Gilles se présente comme un souffle dans le bitume. L’établissement est agréablement bordé d’arbres qui ombragent la jolie place des Lilas attenante. Des enfants y jouent, tandis que les clients terminent tranquillement leur plat du jour en terrasse. Les souvenirs de l’ancienne boucherie se lisent sur la façade de la bâtisse. Si le temps de la cité horlogère semble s’écouler avec douceur, Gilles Montandon nous fait comprendre qu’il court. «En tant que petite structure, ce n’est pas facile. Le marché est plus fragile depuis deux ans.»
La fin de grosses rénovations réparties sur plusierurs années
«Vous voulez visiter pour commencer?» Le propriétaire et gérant des lieux se confiera plus tard. Il monte énergétiquement les escaliers pour nous dévoiler ses 16 chambres, dont la moitié de catégorie supérieure au style contemporain. Il est sur le point de terminer une grosse période de rénovation, échelonnée sur plusieurs années. «Nous avons investi tout ce que nous pouvions. Nous avons procédé par paliers afin d’améliorer la fonctionnalité du bâtiment. La cuisine se trouvait avant à l’étage. Elle a été déplacée au niveau du restaurant pour plus de fluidité. La prochaine étape portera sur la façade extérieure.»
Dans les combles, des ouvriers terminent les dernières chambres. Toutes les salles de bains ont été refaites en 2017-2018. Certaines de ses nouvelles chambres offrent de petites surprises: une baignoire dans la chambre «dans un style boutique hôtel» ou une douche hammam «pour sa clientèle cycliste». Actuellement classifié deux étoiles auprès d’hotelleriesuisse, il devrait bientôt passer trois étoiles.
Gilles Montandon est né dans ces murs qui abritaient jadis la boucherie de son père. Il en est aujourd’hui propriétaire et y vit avec sa famille. Boucher de formation, il reprend l’affaire paternelle dans les années 1980, puis en 1992, le restaurant. Un moyen de diversifier ses activités, ses marges ayant «fondu» suite à l’introduction de la TVA. Pendant 16 ans, il exploite en parallèle le restaurant et la boucherie. Et l’hôtellerie? «Je louais alors cinq chambres au mois. Au moment d’Expo.02, l’office du tourisme m’a approché car il manquait d’hôtels dans la région.» Il crée alors de nouvelles chambres, passant à 11 unités. En 2006, il abandonne la boucherie pour des questions de rentabilité.
«La reprise horlogère ne nous a pas apporté autant qu'imaginé.»
Gilles Montandon
Au sous-sol, il a gardé un laboratoire. Il lui arrive encore de couper la viande. «Je le fais de moins en moins. Les tâches administratives m’accaparent.» Il relève encore le temps que nécessitent l’informatique et les nouvelles technologies. Il vient de passer une demi-journée à apprendre comment gérer son nouveau site internet. «On doit se former à tout. Des systèmes de cartes de crédit aux fours de cuisine, tout est piloté par des ordinateurs. Cela devient triste.» Bercé par la nostalgie, l’hôtelier-restaurateur déplore certaines évolutions susceptibles, selon lui, de menacer à long terme l’artisanat. Il pointe du doigt «les shops des stations-essence qui se muent en boulangerie et en bistrot du coin. Une grave concurrence pour les cafés de campagne, les métairies. Il est urgent de faire marche arrière, d’octroyer des patentes, de sauver ces savoir-faire.»
Face à la généralisation des fast-foods, seule une offre de qualité permettra de se démarquer, estime-t-il. Une cuisine soignée et responsable, tel est le créneau qu’il souhaite emprunter. «J'ai encouragé l'un de mes trois fils à devenir cuisinier d’abord. Si le restaurant marche, l’hôtel suivra.» Il considère les deux activités comme intimement liées, sait que rien n’est jamais acquis. Il aimerait encore dynamiser le bar et le restaurant, en créant des événements. En cuisine, le bio, notamment avec des légumes du marché, devrait être introduit par touches. «On peut toujours s’améliorer et se remettre en question. Il ne faut pas rater le train de la modernité.»
La reprise de l'horlogerie avec un impact modéré
Depuis deux ans, Gilles Montandon remarque un ralentissement de la consommation. Même si le taux d’occupation de son hôtel se situe «au-dessus de la moyenne nationale» qui, elle, s’élevait à 52,9% en 2017 selon l'OFS. «La cherté du franc suisse a provoqué un sacré coup de frein. Et la reprise horlogère ne nous a pas autant apporté que ce que l’on s’était imaginé.» Conséquence: il a dû ajuster ses effectifs. Son équipe compte quatre à six personnes à temps plein.
L’hôtel tourne principalement grâce au tourisme d’affaires. La clientèle loisirs progresse, pour un ratio d’environ deux-tiers, un tiers. «On devrait pouvoir faire encore mieux. Nous bénéficions de l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco, notre héritage Art Nouveau draine un public de niche. Le Corbusier attire aussi du monde. Les architectes viennent au moins une fois dans leur vie visiter la Maison blanche.»
L’envie d’aboutir, «de finir l’objet», le motive au quotidien. Pourtant, la lassitude le gagne. «Je cumule 80 années de travail effectif.» Oui, il aimerait récompenser les réservations qui évitent les «intermédiaires superflus». Oui, il continue de croire à l’avenir de la petite hôtellerie indépendante. «En Suisse, le nombre de petits bouchers est passé de 5000 à 1200. J’espère qu’il restera un créneau pour l’hôtellerie familiale, que le client ne se laissera pas uniquement guider par le prix, mais par la richesse de l’accueil.»
Laetitia Grandjean
Série d'été
Seule capitaine de bateau à bord
L’Hôtel du Marché, à Lausanne: une charmante maison rose avec des volets rouges. Quelques palettes de chantier qui s’inventent une vie de banc animées par une jeune femme blonde comme sortie d’un conte d’Andersen. A quelques pas de la place de la Riponne, dans un quartier qui fleure bon l’artisanat: fromagerie au logo d’antan, insolite cabinet d’architecture, café nommé pointu dans l’angle d’une rue. Cet élan simple de douceur en ce jour de canicule, accompagne notre arrivée dans un hôtel qui ressemble à sa carte de visite où un M élégant se conclut par quelques feuilles d’une plante que l’on imagine domestique.
Les réalités sous-estimées d'une patronne de ptetit hôtel
Catherine Künzler-Gloor nous reçoit dans l’appartement où vivait sa grand-maman Claudine Gloor, tout près d’une machine à coudre à l’ancienne, dans cet espace mis à disposition des clients. «Notre équipe de huit personnes essaie de se distinguer par un accueil souriant, personnel, par de la disponibilité, de la souplesse», explique-t-elle.
Mais elle tient aussi très vite à nous sensibiliser aux soucis quotidiens de seule capitaine à bord: «On ne se rend pas toujours compte des réalités d’une patronne d’un petit hôtel, on nous demande aujourd’hui de très larges connaissances dans le business hôtelier, comme dans les nouvelles technologies. Ma réceptionniste part bientôt, je dois organiser des auditions d’embauches, des essais, je ne peux pas m’appuyer sur un service de ressour- ces humaines.» Elle donne cet exemple étonnant et touchant: «Je demande à mes femmes de chambres de préparer le petit déjeuner le matin, l’une d’elle ne sait ni lire ni écrire. Si un client est allergique au lactose, nous devons anticiper la situation, en prévoyant un affichage ou une information à la réception.»
Catherine Künzler-Gloor regrette aussi certaines lourdeurs administratives demandées aux entreprises, comme les procédures d’impôts à la source, qu’elle doit remplir elle-même et qui lui paraissent intrusives pour ses employés.
Série d’été: Eloge de la
modestie hôtelière
Cet été, hotel revue rend visite et donne la parole à quatre hôtels romands de 0 à 3 étoiles. Nous raconterons leur histoire, leurs modèles économiques. Les hôteliers évoqueront leur fierté de petits entrepreneurs indépendants et exposeront leurs préoccupations. Ils restent trop souvent dans l’ombre des fleurons de l’hôtellerie 4 et 5 étoiles. Moins puissants que les établissements liés à des chaînes internationales, pas toujours rompus aux codes de la communication, ils creusent
un sillon et méritent d’être entendus. (htr/aca)
Depuis 1974, date où elle racheta le bâtiment, sa grand-maman louait des chambres d’étudiants. Catherine Künzler-Gloor y venait en vacances: «Je me souviens d’une femme très occupée, on nous demandait de ne pas la déranger et nous on jouait dans l’ascenseur et on s’ébattait au sous-sol où elle avait installé une piscine et de la tapisserie», s’amuse-t-elle…
Diplômée d’une école de commerce, elle part ensuite pendant deux semestres perfectionner son anglais à l’Université de Pennsylvanie, puis étudie à l’Ecole hôtelière de Genève, mais commence par travailler dans la comptabilité: «Au début mon truc c’était plutôt les chiffres.»
«On nous demande aujourd'hui de très larges connaissances dans le business hôtelier.»
Catherine Künzler-Gloor, Directrice de l'Hôtel du Marché
Ce n’est qu’en 2004 que Catherine Künzler-Gloor reprend l’établissement, qui sous le mandat d’un gérant, se transformait petit à petit en hôtel 2 étoiles de 27 chambres et 28 chambres au mois. Aujourd’hui elle se retrouve à la tête d’un hôtel de 55 chambres, elle en loue 15 au mois. Jusqu’en 2015 il affiche 2 étoiles, elle pense qu’il peut satisfaire aux exigences d’un 3 étoiles. Mais avec la nouvelle classification d’hotelleriesuisse entrée en vigueur et comme certaines de ses chambres ne possèdent pas de salle de bains, elle n’appartient plus au monde des étoiles. Mais reste classifiée: Swiss Lodge Garni. Pour elle, finalement, cela n’a pas eu de grands impacts: «Aujourd’hui les clients réservent beaucoup par des OTA, ils se soucient surtout des prix et des commentaires.» Une clientèle venant essentiellement de Suisse et des pays limitrophes, surtout business, mais qui se développe bien sur le segment loisirs notamment l’été. Elle remarque aussi une plus grande diversification des visiteurs: «Des personnes de tous horizons, depuis deux ans nous accueillons même nos premiers clients du Moyen-Orient et de Chine, la clientèle américaine revient un peu à Lausanne.»
Engagée auprès du comité de l’Association romande des hôteliers (ARH), elle salue la façon dont hotelleriesuisse reste d’une façon générale à l’écoute de ses membres, mais elle travaille aussi pour rendre attentif l’association: «A nos petits besoins.» Par exemple dans le dossier récent de nouvelles règles européennes en termes de protection des données: «Je dois les prendre, les lire, les comprendre. Je me sens parfois assez désemparée, comme avec le nouveau droit alimentaire. J’utilise souvent l’appui très utile du service juridique de l’association, mais on pourrait peut-être aussi nous préparer des documents types. J’aimerais depuis longtemps rédiger des conditions générales, que je pourrai faire signer à mes clients, mais je ne trouve pas le temps de le faire.»
L'idée d'une plateforme commune pour assurer la sécurité nocturne
Elle trouve les projets de l’ARH intéressants. Elle estime qu'ils pourraient contribuer à négocier des tarifs pour les petits hôtels: «Notamment en termes de centrale d’achats avec laquelle je n’ai jamais travaillé. Cela serait sans doute intéressant pour plusieurs d’entre nous.» Elle rappelle qu’aucun établissement entre 0 et 3 étoiles, à Lausanne ne dispose de Night Audit, qu’ils travaillent tous avec des sociétés comme Protectas ou Securitas: «Créer une plate-forme commune qui permette de répondre en hôteliers à nos clients la nuit serait une belle idée.»
Et puis il y a cette conscience écologique à laquelle, Catherine Künzler-Gloor tient: «On utilise des produits qui ne sont pas dévastateurs pour la nature, on fait nos confitures et nos yaourts nous-mêmes, privilégie les projets régionaux et frais.»
On repasse par le quartier, revoit les mêmes petits commerces avec le regard simple et nécessaire de notre hôte du jour, on comprend mieux par quoi passe leur vitalité, parfois leur survie.