Un constat implacable: la pénurie de personnel qui ressemble terriblement à celle d’aujourd’hui, mais thématisée en 1962 dans hotelrevue comme à la fois un lieu commun, mais aussi le principal souci et problème à résoudre: «Recrutement, formation, possibilités de conserver des collaborateurs qualifiés le plus longtemps possible, voilà ce que chaque exploitant, chaque industrie, chaque groupement professionnel étudie, soit pour faciliter sa propre tâche, soit pour faciliter celle des entreprises d'une même branche, soit enfin pour faciliter le travail de ses membres.»
Les constats se doublent d'inquiétudes d'époque: la crainte d'une vague rouge
La raréfaction de la main-d'œuvre sur le marché du travail semble à cette époque-là provoquée par une modification structurelle de l’économie et de la société. Le même analyste considère qu’il s’agit d’un problème qui deviendra durable. Mais évidemment, dans les années 1960, un mot que l’on ne connaît plus aujourd’hui s’imposait: le suremploi. «Au mois de mars 1961, pour 397 chômeurs enregistrés, il y avait près de 8000 emplois vacants, annoncés aux offices de travail. Cela représentait donc 200 emplois de libres pour un chômeur. Le suremploi s'exprime aussi dans le nombre constamment croissant des heures supplémentaires effectuées, ainsi que dans celui des travailleurs étrangers occupés dans notre pays.» Et toujours sur le même thème, d’autres éléments: «Mais il faut se rendre compte que le recrutement des travailleurs étrangers va se heurter à des difficultés croissantes. Seuls quelques pays méridionaux — Espagne, Portugal, Italie, Grèce — disposent encore des réserves de main-d’œuvre pour d'autres Etats.» Avec cette phrase tant entendue ces derniers temps: «Il faut donc s'attendre plutôt à une aggravation du déficit chronique de main-d'œuvre qualifiée.» Et les constats se doublent d’inquiétudes politiques, de la crainte d’une vague rouge et de la glorification d’un mouvement libéral aujourd’hui généralisé: «Devons-nous faire dépendre ces mutations d'une autorisation officielle ou, comme dans les Etats communistes, allonger simplement la durée du travail? Ce faisant, n'emprunterions-nous pas un chemin qui nous conduirait dans la direction du socialisme d'Etat oriental? Rappelons-nous les principes de l'économie libre et maintenons les envers et contre tout!»
«Nous devons trouver du temps pour nous détendre, pour muser»
Mais ailleurs, on peut aussi trouver des échos dans certaines considérations de 2022 sur la semaine de quatre jours par un groupe de travail de l’Association romande des hôteliers: «Il est important que les patrons offrent des modèles de travail différents tenant mieux compte des besoins des employés. L’idéal serait d’avoir un concept de travail séduisant, travaillé avec les employés.» En 1962, dans un style plus ample, Franz J. Dietrich, le nouveau collaborateur de la SSH chargé de s'occuper des cours de cadre, explique la situation ainsi: «A côté d'un sentiment de sécurité sociale, le collaborateur doit avoir la conviction que son établissement a un bel avenir devant lui et que la politique commerciale qui y est appliquée repose sur des bases solides. Nous devons aussi lui donner la possibilité d'avancer et, en cas de capacités spéciales, lui prouver notre volonté de le promouvoir.»
Mais évidemment, on se situait assez loin de la hiérarchie horizontale souvent défendue aujourd’hui. En 1962, le constat ne s’embarrassait d’aucune nuance: «Par contre pour donner de bons résultats, la formation doit se faire de haut en bas. Le centre de gravité d'une telle formation devrait se concentrer sur la philosophie de la gestion, sur l'attitude à adopter avec ses collègues et ses collaborateurs et sur certaines questions techniques en relation avec la gestion.»
Avec le recul de l’histoire, la langue peut paraître dogmatique et n’annonçait pas vraiment les mouvements de mai 68. «La pratique montre que les collaborateurs réalisent le plus de progrès dans leur travail sous l'influence directe de leurs chefs. Chacun de ceux-ci doit s'efforcer de parfaire la formation de ses subalternes.»
Plus loin, on trouve des remarques un peu plus libres sur l’évolution personnelle: «Nous devons, par tous les moyens, trouver du temps pour muser, nous détendre et faire en sorte que notre vie de famille se développe harmonieusement. Il est très important de savoir occuper ses loisirs et de faire modérément du sport.» Et même les premiers éléments de la nouvelle cuisine et des soucis diététiques autour de phrases assez amusantes, du type: «Les découvertes de la médecine moderne sur l'influence de l’alimentation sur la santé de l’homme ne doivent pas laisser les hôteliers indifférents.»
130 ans d’hotelrevue
Pénurie de personnel malgré le suremploi
En 1962, la thématique est traitée en tant que principal souci et problème
à résoudre. On demande aux patrons de trouver des modèles différents.
Alexandre Caldara
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image : Fred Mayer