TripAdvisor comble un vide sur la toile pour devenir le premier réseau social spécialisé dans le voyage. Cette mutation, actuellement expérimentée en version bêta, sera effective d'ici la fin de l'année. Aux avis et opinions qui ont jusqu'ici constitué l'assise de la plateforme, s'ajouteront des contenus d'influenceurs, de créateurs ou de voyageurs que l'utilisateur aura décidé de suivre. En un mot: TripAdvisor doit devenir une communauté du voyage person­nalisée, connectée et inspirante. «Il était très important de donner une nouvelle impulsion à la plateforme. En 18 ans d’existence, elle n’avait subi que de légères adaptations», justifie Susanne Nguyen, attachée de presse de TripAdvisor pour la Suisse.

Créée en 2000 par Stephen Kaufer, la société américaine TripAdvisor a bâti son succès sur les opinions des consommateurs en matière de loisirs. Elle se targue de réunir 661 millions d'avis; 7,7 millions d'hébergements, de restaurants, de compagnies aériennes et d'expériences dans le monde et de compter 150 millions de membres. La plateforme a réalisé un chiffre d'affaires de 1,6 milliard de dollars en 2017. Le site accueille 456 millions de visiteurs par mois en moyenne.

Selon plusieurs experts, cette mutation était nécessaire si Trip­Advisor souhaitait maintenir sa position de leader sur le marché. «Trip­Advisor est en perte de vitesse, concurrencée par d'autres plateformes qui, à l'origine, n'avaient pas cette fonction d'avis. Booking, Google, Facebook: aujourd'hui, tout le monde fait des avis clients. Sans oublier Instagram qui confirme que la force de l'image l'emporte sur le texte.» Laurent Thévin, CEO et co-fondateur de la start-up Socialease, estime que cette mutation doit être suivie de près, car elle pourrait bien «redistribuer les cartes». Il connaît particulièrement bien la problématique des avis clients puisque l'outil qu'il a créé permet de regrouper les opinions reçues sur les différentes plateformes et d'y répondre plus facilement avec l'aide de l'intelligence artificielle. Il a remarqué une évolution en conseillant les hôteliers-restaurateurs: «Avant, les avis de consommateurs ve­naient à 75-90% de Trip­Advisor. Aujourd’hui, c'est plutôt la moitié. Les avis Google ont explosé ces derniers mois.»

«TripAdvisor est en perte de vitesse. Aujourd'hui tout le monde fait des avis clients.»
Laurent Thévin, CEO et co-fondateur de Socialease

La montée en puissance de Google s'explique notamment ainsi: les détenteurs d'un smartphone Androïd sont invités à évaluer leur visite après avoir été géolocalisés. Trip­Advisor n'avait jusqu'ici pas intégré cette option. La nouvelle plateforme devrait rectifier le tir, comme le promet une vidéo promotionnelle: «Mon travelfeed (comparable à un agenda de voyage, ndlr) me prévient lorsque je suis près d’un endroit sur lequel mes amis ont écrit un avis.» TripAdvisor pourra dès lors privilégier le contact direct avec ses utilisateurs. «C'est le nerf de la guerre: vous connaître pour vous proposer des publicités ciblées, avec l'objectif de monter en puissance», analyse Laurent Thévin.

La nouveau Trip­Advisor suscite davantage l'intérêt des observateurs que des hôteliers, toujours plus nombreux à la critiquer (lire ci-dessous). «La nouvelle plateforme n’a pas pour but de s’attaquer au problème des faux avis, indique Susanne Nguyen. Cette problématique nous a toujours préoccupés, nous y répondons de plusieurs manières, mais c’est un thème à part». Claudia Benassi-Faltys, consultante et formatrice en stratégie 
digitale, à la tête de la-digital-room.com, considère l’orientation choisie par TripAdvisor comme un changement majeur: «Les réseaux sociaux sont devenus un domaine stratégique. TripAdvisor possède déjà une base gigantesque d'utilisateurs qu'il s'agit maintenant de fédérer en communauté.» La spécialiste remarque l'intérêt de Trip­Advisor de toucher à l'ensemble du cycle du voyage: l’inspiration, la planification qui passe par la comparaison, la réserva­tion, l’expérience et finalement le partage qui doit influencer d’autres utilisateurs. «Le but consiste à capter la personne et à la garder sur la plateforme le plus longtemps possible.» Laurent Thévin voit l'avantage dans le fonctionnement viral d'un réseau social, comparativement à un site d'avis qui se limite à un échange.

La nouvelle version de TripAdvisor n’a pas pour objectif de lutter contre les faux avis et l’anonymat, malgré les critiques récurrentes à ce sujet. TripAdvisor répond pouvoir distinguer un comportement normal d’un comportement anormal. «Chaque avis passe par notre système de suivi, puis nous recueillons pour chacun un certain nombre d'informations répondant à une liste de questions. Notre système est combiné à une équipe de plus de 300 spécialistes de contenu qui travaillent 24h/24 et 7j/7 pour préserver la qualité de nos avis», explique son service de presse. La plateforme invite les hôteliers ou les restaurateurs a signaler les avis douteux via l'Espace Propriétaire. «Notre équipe de contenu ouvrira une enquête et si cet avis est jugé en violation avec nos règles, nous le retirons.» Le service de presse ajoute qu'il n'est pas possible de faire disparaître une page existante. «Si l'établissement a été complètement rénové ou qu'il y a un changement de direction, nous pouvons effacer les précédentes évaluations.»

TripAdvisor n'est pas la première plateforme à sortir de son domaine de prédilection. «Google, Facebook en font de même. Ils viennent chacun avec leur force, sortent de leur cœur de métier pour ga­gner en puissance dans le domaine du voyage», poursuit Claudia Benassi-Faltys.

La concurrence s'aiguise et Trip­Advisor compte bien rester pionnière en la matière. Sa porte-parole Susanne Nguyen refuse de parler concurrence: «Nous sommes bien positionnés par rapport à Booking. En termes de rating, nous ne défendons pas le même modèle.» Laurent Thévin estime malin d'avoir opté pour le réseau social. «Trip­Advisor a trouvé un créneau dans lequel les OTA ont pris du retard. TripAdvisor va petit à petit se subs­tituer aux services des offices du tourisme et des agences de voyage. Sa communauté sera prête à répondre 24h/24 et prendra la fonction de guide personnel.»

«Le but consiste à garder la personne sur la plateforme durant tout le cycle du voyage.»
Claudia Benassi-Faltys, consultante et formatrice la-digital-room.com

La nouvelle version de Trip­Advisor est actuellement testée par 500 partenaires parmi lesquels des médias comme le National Geographic, des marques comme GoPro, des influenceurs de voyage comme Lily Rose. Trip­Advisor assure que «non, le contenu des influenceurs n'est pas payé». Et que les acteurs du tourisme devraient aussi en bénéficier: «Les hôteliers pourront aussi créer leur profil afin de rester en contact avec leurs clients, générer du contenu, suivre les influenceurs. Le tout devrait devenir 
beaucoup plus dynamique», indique Susanne Nguyen.

Le nouveau pas que franchit TripAdvisor ne fait que confirmer la nécessité pour les acteurs du tourisme de se former aux plateformes sociales, estime Claudia Benassi-Faltys. Elle-même propose des séances de conseil-coaching pour gérer sa e-réputation et reprendre la main sur une plateforme que les hôteliers ont davantage l'impression de subir. «Il est important que les destinations entrent dans cette logique de guide de voyage, ce qui leur permettra d'avoir une longueur d’avance. Beaucoup se jouera sur la création de contenu sexy et inspirant, la force de la recommandation, l'intervention des influenceurs, qui vont encore monter en puissance.» Selon elle, les acteurs du tourisme ont tout intérêt à trouver leur place sur cette plateforme revisitée. «En jouant le rôle de guides locaux, ils généreront plus de visibilité et de réservations.»

Laetitia Grandjean


 

La plateforme ne fait pas l'unanimité parmi les hôteliers

«J'aimerais avoir la possibilité de ne pas être sur TripAdvisor», partagent Louis Papadopoulos, directeur du Maya Boutique Hôtel de Nax, et Philippe Zurkirchen, directeur de l'Art Boutique Hôtel Beau-Séjour de Champéry. Pourtant, tous deux sont de très bons élèves, avec la note maximale 5, sur 201 avis pour l'Hôtel Maya et 232 pour le Beau-Séjour.

«Nous pouvons être victimes de n’importe qui et nous n'avons aucune chance de nous défendre», critique Louis Papadopoulos. Il cite l’exemple d’un avis mentionnant des prix qui n’étaient pas les siens. «Les gens voyagent, donnent leur avis à leur retour et mélangent les hôtels.» L'hôtelier a déjà écrit à plusieurs reprises à TripAdvisor concernant des avis inappropriés ou incorrects. «Dans 99,9% des cas, TripAdvisor répond que l’avis est conforme à leurs rè­gles. On nous invite toujours à répondre aux commentaires, car ce que veut TripAdvisor, c'est avoir le plus d'opinions possible. C’est aussi pour cela que la plateforme refuse de les retirer», juge-t-il.

Au nom de la liberté d'expression
TripAdvisor défend sa pratique: «A partir d'un moment où un établissement est public, les consommateurs ont le droit de donner leur opinion. Il en va de la liberté d’expression. On ne peut pas empêcher à quelqu'un de donner son avis, de partager son expérience. C'est pareil sur Facebook», explique Susanne Nguyen, attachée de presse de Trip
Advisor. Philippe Zurkirchen estime que TripAdvisor est une «obligation malheureuse»: «C'est une plateforme publique, qui parle de nous, de notre identité. Il en va de notre propriété intellectuelle. Légalement, nous devrions pouvoir choisir d'y figurer ou pas.»

Les hôteliers critiquent aussi l'opacité du système de classement, pointant du doigt les algorithmes qui changent souvent, pouvant faire basculer rapidement l'ordre d'apparition des établissements. La consultante-formatrice Claudia Benassi-Faltys conseille de répondre aux commentaires, ce qui participe à améliorer les classements.

Louis Papadopoulos estime quant à lui que la tendance de laisser des commentaires est passée. «Trop sollicités, les consommateurs ont de moins en moins envie de laisser un commentaire. Ou s'ils le font, ce sont des commentaires négatifs. De manière générale, les commentaires négatifs ont augmenté par rapport aux positifs, générant une perte d'équilibre de la plateforme», analyse l'hôtelier.

Moins remonté contre le système, Sébastien Cheneval, directeur du Grand Hôtel des Bains de Lavey (note 4,5 pour 708 avis) considère TripAdvisor comme un partenaire. «Cela ne sert à rien de vouloir aller à l’encontre, estime-t-il. Notre motivation repose sur la qualité et la satisfaction de nos clients. Chaque personne a une perception et des attentes différentes. Leurs remarques nous obligent à nous remettre en question, même si certaines sont plus légitimes que d’autres. Dès lors, nous nous obligeons à répondre aux commentaires.»

Supprimer la fonction de réservation auprès des OTA
Aucun des trois hôteliers interrogés n'ont adopté les services payants de TripAdvisor, les estimant trop coûteux. Par défaut, les tarifs des OTA partenaires de Trip­Advisor s'affichent sur la page de l'établissement recensé. Il y a de fortes chances que le visiteur opte pour une réservation en un clic, plutôt que de se rendre sur le site de l'hôtel.

Une situation qui a fait bondir Louis Papadopoulos, lui qui a en­tièrement renoncé aux OTA. Il 
explique qu'il est possible de refuser cette fonction: «Il est possible de faire retirer les boutons des OTA sur la page de TripAdvisor, en s'adressant aux OTA en 
question. Les hôteliers peuvent ainsi réaliser des économies énormes. Et favoriser la réservation en direct.» 

Laetitia Grandjean