Cela commence par vos mains qui se laissent humecter par un spray à l’eau de genièvre. Cela se poursuit par un kombucha en apéritif du Pays basque d’Ama Brewery, à la citronnelle. Au restaurant Anne-Sophie Pic, au Beau-Rivage à Lausanne, on peut voyager intégralement à travers un accord entre mets et boissons sans alcool, qui va crescendo et réserve bien des surprises. Le service sur mesure commence à peine, la prise de commande effectuée, on vous amène le menu fraîchement imprimé que vous venez de commander.

Après le vaporisateur, voici la fumée de cône de pin qui sort d’une cloche en verre et qui enrubanne la tomate entière rose de Berne, de Mathieu Cuendet, recouverte de fleurs. La fraîcheur et la longueur en bouche impressionnent, cela apporte une giclée de fraîcheur à la tomate. Pour l’accompagner, un thé vert genmaicha, aromatisé au géranium et adouci au sirop de sencha, recouvert d’une petite mousse blanche dans l’esprit d’un gin fizz.

Bio
Anne-Sophie Pic est propriétaire du restaurant la Maison Pic, à Valence. Elle totalise pour ses six restaurants dix étoiles Michelin, ce qui en fait la femme cheffe la plus étoilée au monde. Elle ouvre le restaurant Anne-Sophie Pic, à Lausanne, en 2009, qui totalise 18 points au GaultMillau et deux étoiles Michelin. Depuis 2018, elle collabore avec la sommelière Paz Levinson sur l’ensemble de ses établissements.

A Lausanne, Kevin Vaubourg occupe le poste de chef exécutif depuis l’été 2020. Le restaurant semble maintenant au sommet de son art, combinant l’inventivité de la cheffe avec la pureté des produits régionaux. Sans oublier de servir un classique créé par son père Jacques Pic en 1971, un bar de ligne au caviar, croquant et fondant, recouvert d’une émulsion, cela s’intègre parfaitement dans un menu audacieux.

Gruyère caramel et jus de poire
Dans l’autre plat, un très beau montage de haricots verts dressés en rosace. Une aromatisation à la lavande et au baume de Galaad du jardin de l’hôtel, l’encornet de Méditerranée et le brochet du lac Léman donnent un côté fondant à chaque bouchée. La lavande semble occuper la bouche entière tout en donnant de la vigueur aux étonnantes textures. L’équilibre de ce grand plat impressionne, le chef exécutif vaudois Kevin Vaubourg semble trouver parfaitement sa voie dans les saveurs d’Anne-Sophie Pic.

En accord, le Riesling sans alcool allemand de Leitz déroute, il amène de l’acidité et une sorte de compotée un peu amère. La boisson suivante va mobiliser l’attention par sa délicatesse: un thé de vigne composé par les bourgeons de vigne de Gilles Wannaz infusé à froid. Elle calme le palais que les berlingots à la fondue moitié-moitié agitent.

Comme dans un traditionnel accord mets et vins, le liquide peut calmer ou clamer haut et fort sa prise de risque. Voici un Negroni sans alcool à la camomille, au verjus et aux agrumes. Il ne se contente pas de son amertume, mais propose aussi une déflagration de sucre, un peu comme le boisé d’un vin. Cela électrise les papilles du retour de pêche du lac Léman, un mélange de poissons accompagné de feuilles de combawa puissantes. A l’inverse, un accord peut aussi prolonger le goût d’un plat par une saveur proche. Les betteraves et l’étonnante rhubarbe Victoria poursuivent leur élan sur un jus de grenade non filtré de la maison Retter, en Autriche.

Un kombucha maisonà l’aromatique franche
Autre grande trouvaille du repas, les fromages, avec une version brute du Gruyère caramel de Jacques Duttweiler, dont l’élégant service rappelle qu’il fut baptisé ainsi par le critique Jean-Pierre Coffe pour son côté cassant. Puis une fois le goût installé sur le palais, on peut goûter le crémeux de fromage à la légère sucrosité de la plante mélilot. Cela s’accompagne d’un jus de poire caramélisé.

Comme dans un traditionnel accord mets et vins, le liquide peut calmer ou clamer sa prise de risque.

Il faut attendre l’arrivée des desserts du pâtissier Thibaut Honajzer pour retrouver un kombucha, maison celui-ci, à l’aromatique très franche de tagette et de pêche blanche. On aime cette densité et ce côté iodé sauvage, qui fait l’effet d’une liqueur. L’abricot de Crissier, dans ses effluves assumées de safran et de café, peut laisser faire sa volupté. Cette série d’accords audacieux enivre par tant de parfums. Une telle diversité permet d’oublier l’heure, on voit à peine les équipes changer pour permettre le repos avant le service du soir.