A l’initiative de la Fondation pour la Promotion du Goût, six Villes suisses du Goût ont signé, le 28 avril dernier à Fribourg, le Pacte de Milan de politique alimentaire urbaine (voir encadré). Par cette adhésion, les villes en question s’engagent entre autres à favoriser des systèmes durables et équitables de production des matières premières agricoles. Cette volonté politique peut-elle se traduire en stratégie de marketing touristique? La gastronomie et les produits du terroir constituent depuis longtemps l’un des principaux leviers de communication au service de l'image d’une destination. Mais comment capitaliser sur les choses du quotidien et inclure les circuits courts, la régionalité ou encore la production durable de produits agricoles?
«Ces éléments doivent être aujourd’hui intégrés dans la promotion d’une destination, d'autant plus que les jeunes générations sont très attentives à ces problématiques-là. On ne peut plus l’ignorer, c’est un argument à faire-valoir», avance Thierry Steiert, syndic de Fribourg, désignée Ville du Goût 2023.
A l'image de Thierry Steiert, les édiles des Villes suisses du Goût ont bien conscience de l’importance croissante de l'alimentation durable pour l’image de leur destination respective. «La signature du Pacte de Milan est l’aboutissement de notre stratégie de valorisation de l’alimentation durable dans notre ville», explique Philippe Varone, président de Sion. «Nous voulons mettre en avant le goût chaque jour de l’année. Notre marché, qui a lieu chaque vendredi dans la vieille ville, en est un bon exemple. C'est un véritable produit touristique qui attire des gens de loin et nous communiquons là-dessus», ajoute-t-il.
Une démarche qui touche aussi le haut de gamme
Précurseur, le réseau Slow Food Travel dans le Valais avait déjà permis de valoriser les circuits courts et la production locale à travers de nombreuses offres touristiques. Mais cette démarche ne touche pas seulement les écotouristes, elle concerne également les destinations haut de gamme, dont on pourrait pourtant supposer que la clientèle est a priori assez peu réceptive aux problématiques de la durabilité.
«Les gens veulent vivre en lien avec le patrimoine, l’histoire, le terroir, pour donner du sens à leurs expériences. On vient certes à Verbier pour le fun, mais aussi pour le local. Verbier – Val de Bagnes s’inscrit dans un environnement où l’agriculture, la culture et la tradition jouent encore un rôle très fort. Cela donne plus de valeur au séjour», analyse Simon Wiget, directeur de Verbier Tourisme. Une tendance qui selon lui se développe depuis une vingtaine d’années. «Notre clientèle est de plus en plus demandeuse de produits locaux, et au-delà, les gens veulent savoir ce qu’ils mangent. Alors qu’avant, on était souvent dans le consumérisme pur, la signification du séjour gagne désormais en importance. Et tout ce qui est développement durable, alimentation locale, circuits courts y contribue», précise-t-il.
Il est clair qu'avec leurs produits-phares souvent labellisés en AOP ou IGP, tels que la raclette de Bagnes ou le Gruyère, les destinations de montagne peuvent communiquer plus facilement à partir de ces spécialités culinaires que les métropoles, qui en sont pour la plupart dépourvues. «Mais avec certains grands chefs comme ambassadeurs, les villes peuvent de leur côté insister sur la régionalité et les circuits courts, et s’en servir aussi comme atouts touristiques», souligne Anne-Sophie Fioretto, géographe et professeur associée à l’Institut du Tourisme de l’HES-SO Valais-Wallis.
En collaboration avec l’Office cantonal de l’agriculture et de la nature de Genève et la centrale de vulgarisation agricole Agridea, elle mène actuellement une étude sur le tourisme rural du canton. «Genève Tourisme a la volonté de mettre en avant les produits maraîchers, agricoles et viticoles issus de la campagne genevoise. Pour ce canton très fortement associé au monde urbain, se poser la question du positionnement rural est riche de potentialités», relève Anne-Sophie Fioretto.
Resserrer les liens entre ville et campagne
Aux yeux de Mélanie Wyss, syndique de Morges (qui fut la première Ville suisse du Goût en 2002), l’une des missions importantes des villes est de créer un lien fort avec la campagne et servir de vitrine aux producteurs. «Thématiser la durabilité dans la production des produits alimentaires classiques, c’est répondre à une attente du public. Et donc des touristes», fait-elle remarquer.
Je suis convaincu que le choix d’une destination touristique se fait de plus en plus sur la base d’un package dans lequel la durabilité joue un rôle central.
Lukas Ott, Responsable du développement cantonal et urbain de Bâle-Ville
Une opinion partagée par Lukas Ott, responsable du développement cantonal et urbain de Bâle-Ville, qui siège régulièrement avec des représentants de la restauration, du commerce, de l’agriculture et du tourisme au sein d’un comité. «Nous travaillons ensemble toute l'année pour développer les liens entre ville et campagne, repérer les produits régionaux et les amener au cœur de la ville», explique Lukas Ott. «Non seulement on crée ainsi de la valeur ajoutée qui reste sur le territoire, mais nous cherchons aussi à avoir plus de saisonnalité, de régionalité et d'aliments issus de cultures durables dans nos assiettes», ajoute-t-il, insistant sur l'importance de la mise en réseau de tous les acteurs économiques. Et de souligner l’action de la cheffe étoilée Tanja Grandits, qui réunit une équipe de 11 chefs de grandes tables bâloises pour s'informer sur les meilleurs produits régionaux. «Je suis convaincu que le choix d’une destination touristique se fait de plus en plus sur la base d’un package, dans lequel la durabilité joue un rôle central», conclut Lukas Ott.
Evénement
Fribourg, Ville du Goût 2023
Lors de la première rencontre du réseau des Villes suisses du Goût, qui s’est tenue à Fribourg le 28 avril dernier, Fribourg, Morges, Sion, Bulle, Onex et Moutier ont signé leur adhésion au Pacte de Milan de politique alimentaire urbaine. Celui-ci, lancé en 2015, rassemble toutes les villes dans le monde, quelle que soit leur taille, qui veulent développer des systèmes alimentaires durables pour fournir des aliments sains et abordables à tous, dans le respect des droits fondamentaux des humains et des animaux.
Les six villes suisses susnommées ont ainsi rejoint Genève, Lausanne, Bâle et Zurich, qui avaient déjà adhéré au Pacte.
Désignée Ville du Goût en 2023 par la Fondation pour la Promotion du Goût, dirigée par Josef Zisyadis, Fribourg s’engage ainsi à respecter la Charte du Goût et à promouvoir le plaisir de manger, créer des échanges et des liens dans la communauté de la nourriture, susciter l'organisation d'événements et mettre en avant des produits locaux, authentiques, sains et durables.
«A travers notre signature du Pacte, nous témoignons d'une volonté politique. Celle de nous affirmer comme une ville responsable sur l’alimentation saine, qui s'emploie entre autres à favoriser la réduction de pesticides dans l'agriculture», a expliqué Thierry Steiert, syndic de Fribourg.
La cité des Zaehringen aura la tâche d’organiser la 23e édition de la Semaine du Goût, qui aura lieu du 14 au 24 septembre 2023, et dont le parrain est le chef Pierrot Ayer. Une série d'événements liés à la gastronomie et au savoir-faire culinaire de la région s'égrèneront ainsi tout au long de l'année. Les organisateurs souhaitent également élargir le champ thématique et approfondir les questions autour de l’alimentation en abordant ce qui se passe avant et après le repas, mais aussi imaginer l’assiette de demain avec considération pour la nature.
«Au vu des retours de nos partenaires, on constate un véritable engouement. Tous les acteurs économiques que nous avons approchés sur ce sujet ont tout de suite joué le jeu, ils en ont vu l’intérêt. C’est quelque chose de très positif pour notre image», se réjouit Thierry Steiert.