L'arrivée à Ossona se fait en douceur. On y accède à pied, le temps de s'imprégner de la nature paisible environnante, portés par les clochettes des chèvres et le cliquetis du bisse. «Vous êtes libre ici. Les gens qu'on accueille sont souvent en quête de calme.» Stéphane Spiess, employé au service et «homme à tout faire», nous emmène jusqu'au gîte qui nous hébergera pour la nuit.
Le plateau d'Ossona fête les dix ans de sa renaissance. Le hameau de la commune de St-Martin, dans le val d'Hérens en Valais, avait été abandonné par ses derniers habitants au milieu des années 1960. Il a retrouvé aujourd'hui sa vitalité grâce à un projet agritouristique, porté par la commune, le canton, la Confédération et le Fonds suisse pour le paysage. Au-delà de la renaissance de l'exploitation agricole et de la biodiversité, quatre habitations du 18 et du 19e siècle ont été entièrement restaurées. Elles abritent aujourd'hui sept gîtes soit une capacité de 34 lits. Elles sont toutes équipées d'une cuisinette et d'une salle-de-bain, cette pièce ayant été rajoutée au bâti existant. Les gravures dans les poutres rappellent l'histoire du lieu. Tout comme le portrait couleur sépia de Victorine, ancienne habitante de ce mayen, qui nous tient compagnie dans la salle à manger.
«Dans les années 1980, un projet de remontées mécaniques avait été imaginé, mais la concession nous a été refusée. Une décision plutôt mal perçue à l'époque, mais maintenant on se dit: heureusement!» Gérard Morand a été l'une des chevilles ouvrières du projet d'Ossona, en tant que président de commune durant 16 ans. Il préside aujourd'hui la Fondation pour le développement durable de St-Martin. A ceux qui qualifient la démarche de pionnière du tourisme doux, celui-ci répond: «Nous n'avions pas tellement le choix…»
Dix millions investis pour redonner vie au site
Le site puise sa force dans son étendue, 35 hectares de terrain, propriété de la commune depuis 1999. Celle-ci a investi dix millions (dont la moitié provenant d'aides et de subventions) dans la rénovation des habitations, la construction d'une route, de la chèvrerie et de l'auberge qui abrite un restaurant et une salle de conférence. Des 64 bâtisses subsistantes, une cinquantaine seraient potentiellement exploitables. Pour l'heure, elles témoignent du passé et servent d'abris pour les quelque cent chèvres qui gambadent librement. «Nous les avons temporairement sauvées de la ruine en leur remettant un toit. Les 50 prochaines années devraient être assurées. Après on verra. Une chose est sûre: nous ne les vendrons pas.»
Circuits courts du paiement en farinets à la dégustation du vin Solaris
Ossona vise la durabilité à tous les échelons. Les gérants de l'auberge et des gîtes privilégient les circuits courts et les ressources locales. Ici, on paie en espèces, en farinets (la monnaie locale) ou sur bulletin de versement. Pas de carte de crédit. On ne souhaite pas davantage rejoindre les plateformes de réservation en ligne. «Cela ne colle pas à notre éthique», justifie Bénédicte Dubuis.
A l'auberge, Félix Racot s'approvisionne prioritairement auprès de l'exploitant agricole. A commencer par la viande: de bœuf, de veau, de cabris, d'agneau et de porc. «Nous travaillons tout le bœuf, soit 150 kilos de viande ce qui demande une certaine organisation. La clientèle comprendra que nous ne proposons pas tous les jours du filet de bœuf.» Les fromages sont issus de la production laitière locale, les tartes en dessert valorisent les fruits du verger, sans oublier le Solaris, le vin blanc de la maison, vinifié par la cave du Paradou, à Nax.
La vie s'écoule paisiblement à Ossona et c'est cette carte de visite que tous s'engagent à préserver. Situé à 950 mètres d'altitude, orienté plein sud, loin de la circulation avec vue sur les pyramides d'Euseigne, le site veut rester un «vrai» coin de paradis. Et c'est là le plus grand défi.
«Le but consiste à pérenniser le lieu sans trop le changer. Nous voulons garder un site à échelle humaine, un équilibre entre le développement agricole et touristique et l'esprit d'origine», estime Gérard Morand.
L'agriculteur contraint de déléguer la partie touristique
La réussite du projet tient pour beaucoup à l'énergie d'hommes passionnés. Le Jurassien Daniel Beuret et sa compagne Maria Pires ont jusqu'à l'année dernière assuré les deux volets, l'exploitation agricole et l'accueil touristique, donnant extrêmement de leur personne pour réhabiliter ce vaste site. La charge de travail étant devenue trop lourde, ils ont décidé de sous-traiter la partie hébergement et restauration. Ils ne servent peut-être plus les petits-déjeuners et les repas de midi, mais les visiteurs peuvent toujours assister à la traite à la chèvrerie.
La Valaisanne Bénédicte Dubuis et Félix Racot, cuisinier originaire de Montpellier, ont rejoint le projet au printemps 2017 le cœur plein d'entrain. Le jeune couple, parent de deux petits enfants, terminera sa seconde saison le 4 novembre, non sans une certaine fatigue. Ils avouent que ce n'est pas tous les jours facile. La création récente d'une association doit permettre de réunir tous les amoureux du projet, parmi lesquels d'anciens civilistes et d'autres visiteurs acquis à la cause, pour assurer à Ossona un développement harmonieux. Le couple défend une approche durable et locale, s'approvisionne à la ferme ou auprès des producteurs régionaux. «A terme, nous aimerions devenir autonomes, éviter si possible de nous rendre dans un supermarché.» Pourquoi pas aussi réhabiliter le jardin potager, en impliquant la population, comme c'est le cas avec la vigne, entretenue par les aînés du village.
«Nous ne voulons pas privilégier la masse, mais la qualité. En même temps, il y a la réalité économique. Le projet est rentable mais guère lucratif. Même si l'argent n'est pas notre moteur, nous devons vivre.» Bénédicte Dubuis estime qu'il y a une marge de progression sur les gîtes, qui ont enregistré 850 nuitées en 2017, ainsi que sur l'accueil de séminaires.
Le couple reste attaché à l'accès sans voiture, refuse de transformer le lieu en un centre de loisirs ou un parc animalier. «Nous voulons avant tout offrir du temps de qualité à notre clientèle.» Les gîtes resteront sans wifi ni télévision. «Revendiquer l'authenticité sans en faire un argument marketing. Une prise de conscience plutôt», nuance Félix Racot. Ce qui n'empêche pas le chef d'imaginer des ateliers ponctuels liés au bien-être, pourquoi pas de la cuisine ayurvédique, tandis que sa compagne privilégiera les animations culturelles et sociales. Bénédicte Dubuis tient à une vision durable, en adéquation avec le lieu. «Nous avons plein d'idées mais ne voulons pas nous brûler les ailes trop vite.» A Osssona, la croissance doit avoir du sens.
Laetitia Grandjean