Dans son Hôtel Suisse du milieu du village de Champéry, au cœur de la baie vitrée qui donne sur les Dents-du-Midi, Lara Berra s’amuse de ce petit poêle à bois qu’elle qualifie de «top cool». Il permet aux clients de se rapprocher en hiver pendant le tea-time construit autour des gâteaux maison. «J’aime un hôtel pour ses sourires et ses défauts.» Elle lorgne sur un petit coin en bois près de la réception, qu’elle aimerait progressivement transformer en lieu de vie chaleureux rempli de livres.
Avec ses deux frères et sa sœur, elle a grandi ici, même si la famille habitait plus haut dans le village: «A sept heures, avant l’école on aidait à préparer les petits-déjeuners et réveillait les clients par téléphone. On aimait aussi monter au galetas, dans notre caverne d’Ali-Baba, on jouait avec des chandeliers, des vieilles lampes, on mettait des mini-cristaux autour du cou comme nos bijoux.»
A 26 ans, après ses études à l’Ecole hôtelière de Lausanne et après avoir testé tous les métiers de l’hôtellerie en Autriche et en Norvège, la voilà de retour depuis une année et demi dans cet hôtel familial de 40 chambres «toutes différentes, réparties en cinq catégories». Elle tente de reprendre progressivement la direction du trois étoiles de ses parents mais pas toute seule, elle propose à Pauline Clerc une de ses camarades d’études à l’EHL de la rejoindre: «Je savais qu’avec elle, je pouvais discuter sans que l’on s’énerve. J’avais besoin de m’entourer de quelqu’un qui n’a pas grandi dans le milieu. Moi je m’occupe beaucoup des chiffres, du backoffice. J’aime bien les idées qu’elle amène. L’autre jour de la lavande poussait ici en bas, Pauline en a fait des tresses, des bouquets. On a pu les disposer autour de la réception, cela sentait bon.»
Lara Berra sentait que ses parents qui ont repris l’hôtel en 1996 sous la gestion de Golden Tulip, puis franchisé NH pour finalement le racheter en 2003 «voulaient lâcher un peu, ne pas se brûler.» Pendant un voyage ensemble au Sud des Etats-Unis, Pauline se laisse convaincre: «Vas-y Lara, on essaie…» La jeune femme hésite un peu: «Je voyageais depuis trois ans, découvrais des gens incroyables, mangeais des trucs de fou, je me sentais bien en Norvège. Je n’étais pas sûre de vouloir rentrer à la maison dans ce petit trou que je connais.» Avec Pauline, elles arrivent d’abord à la réception, puis commencent à former un petit groupe de direction avec: «Maman et Papa qui ont souvent raison, c’est eux les vrais chefs.» Sa sœur Camillia, championne de ski freestyle, complète cette équipe depuis cet hiver: «Des jeunes avec de l’envie qui reprennent un établissement familial, je ne vois pas beaucoup d’autres exemples autour de moi.» L’établissement emploie sept personnes l’été et onze l’hiver.
En toute sincérité elle confie aussi ses doutes: «Au début le soir, je ressentais comme un boulet au pied, je coulais, je ne découvrais rien de neuf. Mes parents ne m’ont pas forcée, ils ne voulaient pas revendre l’hôtel, mais cherchaient aussi à me faire plaisir, me rendre fière. Petit à petit, j’ai rencontré des nouvelles personnes, mon papa m’a laissé des mandats dans les associations professionnelles, j’ai vu que je pouvais bouger depuis mon village. L’année passée j’ai skié presque deux heures par jour comme prof ou pour moi. C’est une chance.»
Elle aime le service informel. Si quelqu’un lui demande où aller manger elle n’hésite pas à l’emmener en voiture à la Cantine sur Coux, chez Claudine: «Des Américains racontaient sur un site qu’ils n’étaient jamais montés dans une si petite voiture», s’amuse-t-elle. Elle aime aussi voir des hôtes d’Asie et d’ici se mélanger autour d’une partie de carambole: «Ils se sentent à la maison.»
A l’EHL, Lara Berra ne se sentait pas fascinée par les gros hôtels de luxe: «Où on vous donne même pas une clef spéciale et on peut tout ouvrir avec des cartes de crédit.» Elle explique: «On a grandi simplement, dans un petit hôtel pas prétentieux.» Elle s’entoure d’étudiants un peu différents, loin des comités de découverte d’hôtels et des bars à champagne: «J’ai un pote qui fait de la bière artisanale.»
Lara Berra s’amuse en entendant encore souvent des clients demander Monsieur et Madame Berra: «Ils continuent à passer la main, on s’entend bien. On a abattu un sacré travail l’hiver dernier et cet été s’annonce chouette. On a la tête dans le guidon, à la fin de cette saison on pourra penser aux améliorations ou aux projets d’investissements.»
Elle songe notamment au potentiel des séminaires avec deux salles lumineuses qui peuvent les accueillir: «On pourrait agrandir en bas, proposer un espace en longueur avec un écran et un projecteur.» Elle loue la bonne collaboration avec leur voisin Châteauform’, uniquement spécialisé en séminaires: «On peut proposer des espaces de même standing en plus informel.» Pour l’heure, l’Hôtel Suisse accueille entre 15 et 20 séminaires par année ce qui permet une bonne occupation annuelle.
Ces dernières saisons, l’établissement ouvrait toute l’année, cette saison une pause d’un mois en octobre lui semble envisageable. Il reste aussi de l’espace sous le toit, la caverne d’Ali-Baba d’enfance pourrait se transformer en appartements pour les clients ou pour eux les enfants.
Elle ne regrette pas, il y a quelques années, la fermeture du bar de nuit les Mines au pied de l’hôtel, sourit: «On vend du sommeil en premier.» Après une journée de boulot très prenante, elle apprécie désormais ce village où cinq personnes s’arrêtent pour lui parler: «C’est pas n’importe où, je me sens chez moi.»