La cérémonie bien huilée de remise des distinctions du GaultMillau touche à sa fin lundi à l’école primaire de Crissier, parfois interrompue par la sonnerie de la récréation. Franck Giovannini s’avance sur le podium. Sa distinction en main, il hésite puis prend la parole: «Je voulais souligner la force et la qualité de cette maison malgré tous les malheurs traversés.» Il cite le maître d’hôtel légendaire Louis Villeneuve, sa directrice Brigitte Violier, ses quatre mousquetaires en cuisine Jérémy Desbraux, Damien Facile, Filipe Fonseca Pinheiro et le pâtissier Jocelyn Jacquet, sans oublier sa femme Stéphanie. Une manière de valoriser les 60 collaborateurs de l’établissement, il n’oublie pas non plus les cent clients qu’il sert midi et soir.

Il devient le quatrième chef de l’Hôtel de Ville à recevoir le titre prestigieux de chef de l’année après Frédy Girardet, Philippe Rochat et Benoît Violier. Quatre dans le même restaurant, une réalité unique au monde. «Frédy Girardet m’a engagé et m’a appris à reconnaître un goût immédiatement, je considérais Philippe Rochat comme mon papa, Benoît Violier comme mon frangin. J’ai passé ma vie avec eux. Ils m’ont formé, j’étais prêt.»

Quelques heures après la cérémonie, le palais doucement empli de fleur de poivre et de jus aux fruits des bois vinaigré, étonné par cette cuisine très directe, parfois rustique dans ses goûts mais hyper travaillée techniquement, on retrouve le chef dans sa cuisine apaisé après un service réalisé dans un grand calme: «J’ai horreur des cuisines où on gueule, je ne crie pas, je ne pense pas que l’on peut rester ensemble dans un espace quinze heures en étant guidé par la peur. Il faut préserver la convivialité. Mais par un seul regard mes gamins savent qu’ils ne doivent pas me décevoir.»

Une somme considérable de travail en dressage
En lui parlant un goût revient en bouche, les haricots parchemin de Vinzel légèrement poudrés et recouverts de caviar Osciètre. On a adoré ce côté très frais presque cru accompagné d’une majestueuse crème. On se souvient des haricots cueillis à la main dans le jardin, relent d’enfance, pour nous cette déclinaison d’haricots ne nécessitait pas de caviar. «Beaucoup de gens restent marqués par ce plat, je voulais travailler une seule saveur. Tout a le goût du haricot. Le caviar m’amène le côté salin, noble», explique le chef 19 points GaultMillau et trois étoiles Michelin. Voilà une de ses touches: amener deux plats purement végétaux sur un menu.

«J’apprécie les légumes, les odeurs de l’automne en forêt. Cet hiver on va travailler la truffe blanche avec des racines, comme le salsifis. Mais évidemment je ne ferai jamais une cuisine uniquement végétale, je veux respecter le style de Crissier où on reconnaît immédiatement le produit, la saveur, ça doit être bon et joli.» La garniture légumière du chevreuil demande une somme considérable de travail en dressage: «Une bande de céleri, de la purée, un petit morceau de pomme de terre, tout doit rester précieux, minutieux, élégant.» Cela nous semble parfois venu d’un autre temps, comme un peintre trop méticuleux sur l’harmonie des couleurs qui en oublierait sa folie créatrice. On reste loin de la fureur éclatée de certains plats d’Andreas Caminada ou d’une esthétique plus brute à la nordique. Pourtant Franck Giovannini ne tarit pas d’éloges sur le Grison: «J’adore sa vision du produit, son côté cool, détendu, il devrait faire du cinéma.»

Il ne renoncera pas à certains aliments de luxe venus de la mer
Autre élément qui singularise Franck Giovannini, il fait le choix de rester dans sa cuisine au milieu de sa brigade et pas au passe comme les chefs précédents. On se souvient que Benoît Violier n’adorait pas non plus cette position de correcteur d’assiettes, le nouveau chef a résolu le problème: «J’ai placé un de nos amis l’expérimenté Benoît Guichard au passe, il m’aide aussi le matin à gérer toutes les normes, les règles qui régissent notre métier en termes d’achat, d’hygiène ou d’allergies.»

Son identité culinaire, il la défend à travers davantage de produits suisses comme le veau ou le poulet, mais pour l’instant ne renoncera pas à certains aliments de luxe venus de la mer. Il développe aussi les tests de calories pour favoriser une cuisine saine et allégée sans beurre. On apprécie particulièrement la manière dont son turbot se nappe intégralement dans l’orange, mais regrette que l’endive de Penthéréaz soit un peu décorative. En partant Didier de Courten remercie chaleureusement le chef de Crissier et lui glisse: «Fais attention y a pas que ça dans la vie.» (htr/aca)

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A la parution du guide: «Nous vivons toujours un moment particulier»

La publication du guide Gault Millau permet aussi à la grande famille de la gastronomie de se retrouver, notamment tous les chefs à 19 points. «Nous fêtons nos 25 ans au sommet de ce classement et nous vivons toujours un moment particulier», confie Ruth Ravet, de l’Ermitage, à Vufflens-le-Château. Ceux que le palmarès a honoré cette année affichaient aussi de larges sourires.

La cuisinière de l’année Virginie Basselot, à La Réserve, à Genève, obtient 16 points et distille cette jolie phrase: «Il importe de ne jamais agresser le poisson en le cuisinant.» Franck Reynaud devient le promu romand de l’année avec 18 points à l’Hostellerie du Pas de l’Ours, à Crans-Montana, il dit en souriant: «Pour une fois que l’on peut venir manger tranquillement chez un collègue.»

Florian Carrard, découverte au Valrose, de Rougemont se sent déjà rempli d’une mission de qualité pour l’année à venir. Enfin le guide n’a pas oublié Pierrot Ayer, 18 points au Pérolles, à Fribourg, qui arrête son activité à la fin de l’année. Il repart avec sa Toque d’or et au sujet de son futur projet dit: «Pour l’instant je rentre à Fribourg avec ma femme.» Et Françoise Ayer de préciser: «Vous n’allez pas nous perdre.»