Lundi 11 mai, la vie publique retrouvera un semblant de normalité avec la réouverture des magasins et des marchés, des écoles, des centres de sport, des musées et bibliothèques, des agences de voyages et des restaurants. Pour la branche de la gastronomie qui a été trop longtemps ignorée par le Département fédéral de l’intérieur, la nouvelle a été accueillie avec soulagement. Quelque 35'000 entreprises et 260'000 collaborateurs se remettront petit-à-petit au travail dans le respect des règles sanitaires en vigueur.
Pour la branche du tourisme, la situation est simplement catastrophique. Certes les hôtels n’ont jamais été fermés par décision politique, mais la fermeture des frontières, des activités de sports et de bien-être intra muros si importantes en montagne, l’annulation des grands événements culturels et sportifs, de congrès et de foire en ville a conduit à un plombage de facto de l’hébergement. Durant les deux derniers mois, seuls 10% des hôtels sont restés ouverts en Suisse. Selon un sondage publié en fin de semaine dernière par la HES-SO, 75 % des réservations de chambres ont été annulées pour mai et juin pour des établissement pleins à 8% de leur capacité en avril accusant un effondrement du chiffre d’affaires de 91%, record historique garanti. Et l’avenir immédiat n’est pas non plus particulièrement réjouissant, puisque l’état des réservations pour juillet-août est d’un quart des chambres disponibles.
La branche est évidemment reconnaissante au Conseil fédéral d’avoir su agir si rapidement. Elle estime cependant que les aides transitoires décidées par ce dernier ne permettront pas d’alléger la charge des entreprises à long terme. En particulier les milieux touristiques se montrent soucieux d’assurer la survie des exploitations saines qui pourraient se voir entraînées dans une spirale de dettes. Durant la session extraordinaire, le parlement a rejeté une proposition des milieux touristiques qui demandait l’octroi sans intérêt pour toutes les entreprises des crédits simples Covid jusqu’à 500'000 francs et ce, sur toute la durée du crédit. Le Conseil fédéral proposait l’octroi sans intérêt pour un an seulement avec un taux appliqué aux conditions du marché par la suite. Cet appel d’air, certes bien léger, aurait été bienvenu pour libérer les entreprises de charges financières additionnelles. Soyons cependant reconnaissants à ce même parlement d’avoir fait pression sur le gouvernement pour une reprise rapide et ordonné de la vie publique, pour un agenda concret d’ouverture des frontières et pour la suppression des obstacles aux voyages à l’intérieur de l’Europe. Enfin des moyens supplémentaires ont été alloués à Suisse Tourisme pour remettre notre pays en orbite sur la carte des vacances mondiales.
A moyen terme cependant, les acteurs du tourisme demandent au Conseil fédéral de mettre en place un instrument d’amortissement partiel de la dette, toute branche confondue. Les critères restent à définir. Les exploitations hôtelières, par exemple, sont sorties exsangues de la crise du franc fort. Elles n’ont pu procéder durant les dix dernières années aux investissements nécessaires, entre autres parce qu’elles ont dû baisser leurs prix. A partir de 2017, grâce à l’embellie qu’a connue le tourisme en Suisse et aux perspectives mondiales de la branche, les entreprises saines se sont endettées pour rattraper leur retard. Bien que compétitives, ces exploitations sont aujourd’hui menacées. Ce serait un autogoal pour la compétitivité de notre place économique que de les perdre en chemin.
L’amortissement n’a pas besoin d’avoir lieu aujourd’hui, mais les critères d’octroi doivent être connus dès le départ. Il en va de la sécurité de planification des exploitations. Tous les partis s’accordent à reconnaître que nombre d’entreprises seront dans l’impossibilité de rembourser la totalité des prêts consentis. Pourquoi alors craindre de donner de faux signaux à l’économie en décidant déjà aujourd’hui d’un amortissement plus que probable ? La branche touristique, elle, attend du parlement des décisions claires pour la session d’été. Compte tenu de la chaîne de valeur ajoutée, il en va du développement de régions entières.
D’ici là, la préoccupation principale du secteur est donc la relance immédiate de la demande. L’ouverture des restaurants dès lundi prochain constitue un premier pas. Toute la gastronomie n’ouvrira pas en même temps et il n’y aura pas de rush non plus de la part du public. Chaque exploitant doit d’une part calculer si une ouverture en vaut économiquement la peine. D’autre part, la méfiance est encore grande dans une partie de la population. A cet égard, les campagnes officielles du style « restez chez vous » sont contreproductives dans une phase de normalisation. Le Conseil fédéral serait bien avisé de changer son discours très rapidement s’il ne veut pas péjorer davantage le climat de consommation et réduire à néant ses efforts pour remettre l’économie en marche. L’appel sympathique d’Ueli Maurer à découvrir la Suisse cet été à la tribune du Conseil national mercredi n’y suffira pas.
Ce qu’il faut en revanche, c’est une ouverture de toutes les activités touristiques avant la saison d’été. A l’heure qu’il est, le Conseil fédéral n’a encore donné aucuns signaux pour la mise en exploitation tant des remontées mécaniques, des compagnies de navigations que des campings. Assurer la transversalité de l’offre est une condition sine qua non pour attirer les hôtes dans nos destinations.
La branche du tourisme est prête et se réjouit déjà d’accueillir ses hôtes en été. La réouverture des restaurants n’est que l’entrée. Beaucoup de décisions politiques doivent encore être prises d’ici le 8 juin pour que le menu de vacances réussies en Suisse nourisse toute la chaîne de valeur du secteur touristique.
Ce texte a aussi paru dans «Entreprises romandes» du 8 mai 2020
Christophe Hans est Responsable Public Affairs chez HotellerieSuisse