Les auberges de jeunesse et les hostels peinent à étendre leur offre en Suisse romande. Il y a cinq ans, les responsables affirmaient la volonté d'y renforcer leur présence. Mais l'objectif semble plus difficile à atteindre que prévu. On constate même un recul du nombre de lits chez les Auberges des jeunesses suisses (AJS) et une diminution des membres chez les Swiss Hostels. A l'étranger pourtant, les concepts d'hôtellerie économique et communautaire destinés aux routards se développent à toute allure.
En cinq ans, les auberges de jeunesse suisses (AJS) sont passées de neuf à huit adresses romandes, soit de 1226 à 946 lits. La fermeture de l’auberge de jeunesse de Fribourg en automne 2016 pour des raisons de locaux, précédée en 2014 par le départ de l’association de l’AJ de Genève pour rejoindre les Swiss Hostels n'ont été que partiellement compensés par l’ouverture de l’auberge de Crans-Montana en 2017. Si des projets existent, ils prennent du temps à se concrétiser (lire ci-dessous).
Auberges de jeunesse suisses
Les Auberges de jeunesse suisses comptent 51 adresses (45 propres et six franchisés), dont 8 en Suisse romande. Selon le rapport annuel, les 45 AJ ont généré 723 030 nuitées en 2018 pour un taux d'occupation de 44,7%. Le record remonte à 2008, avec 785 209 nuitées (52,4%). En 2018, le produit d'exploitation de 45,5 millions «n'a pas permis de couvrir entièrement les coûts». En Romandie, les auberges de Lausanne (320 lits) et Château-d'Œx (50 lits, groupes) sont ouvertes à l'année. Les autres sont saisonnières: Avenches (84 lits), Delémont (74 lits), Le Bémont (85 lits), Montreux (106 lits), Crans-Montana (145 lits) et Sion (82 lits).
«Il est vrai que nous sommes toujours sous-représentés en Suisse romande, cela avant tout pour des questions historiques, le concept d'auberge de jeunesse venant d'Allemagne. Nous ne poursuivons pas de stratégie d'expansion à tout prix. Nous nous orientons en fonction de la demande. Il y aura toujours des ouvertures qui compenseront des fermetures», expose René Dobler, CEO de la Fondation suisse pour le tourisme social qui gère le volet immobilier des AJS. Il cite notamment les deux auberges du Jura, de plus en plus difficiles à exploiter, notamment avec la disparition progressive de la saison d'hiver.
Le constat est un peu plus grinçant du côté de l’association Swiss Hostels. Très enthousiaste à l’idée d’étoffer le réseau en Suisse romande il y a encore cinq ans, Andreas Kappeler a revu ses objectifs à la baisse. «Cela devient effectivement de plus en plus difficile d’ouvrir et d’exploiter des hostels indépendants. Le problème n’est pas propre à la Suisse romande, mais à la Suisse en général. Cela a à voir avec la rentabilité, les normes et législations, la situation immobilière.» Le responsable de Swiss Hostels pour la Suisse romande aurait voulu gagner deux nouveaux membres par an. Au lieu de cela, il est passé de cinq établissements membres en 2014 à trois. S’il a récupéré le Geneva Hostel (sorti des AJS), il a perdu le Lausanne Guesthouse, le Vevey Hotel & Guesthouse et le Petit Baroudeur de Champéry.
Eric Fassbind a repris le Lausanne Guesthouse pour rapidement changer de concept, faisant de lui l’Hotel Lausanne by Fassbind. «Le guesthouse situé sous-gare était un vrai succès, mais cela n’était plus le cas lorsqu’il a dû déménager au centre-ville. Les propriétaires n’étaient pas préparés. L’établissement attirait des clientèles trop différentes: des pèlerins, des fêtards, de la prostitution, du deal, des sans-abris. Nous avons rapidement changé pour un 2 étoiles. Mais le produit va encore évoluer.» Estelle Mayer, directrice de l’Hôtel Vevey House, a renoncé aux dortoirs de son ancien guesthouse pour des raisons similaires, mais aussi économiques. «A moins de 30 chambres, c’est difficile. En montant en gamme, on peut aussi attirer un autre type de clientèle, plus respectueuse.»
Ces problèmes citadins ne concernent pas Le Petit Baroudeur, sorti des Swiss Hostels en 2016. «La cotisation était trop élevée par rapport au nombre de clients que cela m’amenait, déplore Catherine Exhenry, gérante-propriétaire de cet établissement de 32 lits (5 chambres). Elle confirme le potentiel de croissance de ce segment. «Je suis sidérée qu’il n’y ait pas davantage d’établissements de ce type en Valais, vu le prix du ski. En revanche, je dois souvent expliquer le concept, encore peu connu en Suisse romande.»
Swiss Hostels
L'association Swiss Hostels compte actuellement 29 établissements membres, contre 32 en 2018. Ceux-ci ont réalisé 528 827 nuitées l'an dernier (sans les nuitées du Lausanne Guesthouse de septembre à décembre). En Suisse romande, les trois membres sont: le City Hostel Geneva (103 lits), le Geneva Hostel (336 lits, sorti des AJS fin 2014) et le Nyon Hostel (128 lits, ouvert depuis 2017).
Nouveau projet d'auberge de jeunesse à Genève
Hostels ou auberges de jeunesse, la question de la rentabilité reste centrale et fragile. Selon Andreas Kappeler, entre 60 et 80 lits sont nécessaires pour tourner, si l’on engage du personnel. La faisabilité d'un projet repose désormais beaucoup sur la capacité des destinations à trouver des alliés, financiers et politiques. La réussite du Nyon Hostel, partenariat public-privé, est cité en exemple. Il pourrait inspirer des villes comme Fribourg, qui recherche toujours des locaux pour remplacer son auberge perdue. Les AJS se sont fixés un cadre: elles n’investissent que dans des infrastructures pouvant générer 25 000 nuitées annuelles, avec un minimum de 150 lits. «Il n’y a pas beaucoup de lieux qui répondent à ces critères en Suisse romande», note René Dobler. On pense à Genève, sans AJ depuis 2015. «Nous avons effectivement un projet, il s'agirait d'une nouvelle construction», confie le CEO.
Le marché de l’immobilier tendu à Genève rend la tâche difficile. «Du fait de la pénurie de logements, il est interdit de changer l’affectation d’un bâtiment. Dès lors, deux solutions se présentent: reprendre un ancien hôtel ou en construire un nouveau, chose pratiquement impossible pour une petite structure», relève Andreas Kappeler.
Des poids lourds du secteur arrivent en Suisse
Les Swiss Hostels connaissent bien le marché genevois, puisque deux de ses membres s’y trouvent. «Airbnb est aussi devenu un concurrent important, note Andreas Kappeler. Ainsi que l’hôtellerie classique, notamment les chaînes budget. Certains hôtels genevois cassent leur prix le weekend au point de devenir moins cher qu'un lit dans un hostel.»
L’arrivée de la chaîne allemande Meininger à Genève et à Zurich en 2021 promet de corser encore la situation. «Impossible pour nous de rivaliser avec des prix à 12 ou 15 € le lit comme en Europe», prévient Andreas Kappeler. Selon lui, d’autres gros acteurs du secteur lui emboîteront le pas. «Ce créneau est de plus en plus exploité par des chaînes, il suffit de voir le concept Jo & Joe du groupe Accor. La Suisse est encore peu concernée, mais cela viendra.»
A Genève, Meininger sera présent à la rue de Lyon avec 368 lits, dans un nouveau bâtiment. René Dobler se montre prudent et relativement confiant. «Ce type de chaînes ne s'intéresse qu'à Zurich et à Genève, éventuellement Berne. L’arrivée de nouveaux concurrents nous inquiète toujours un peu, mais finalement ce segment low budget n’est pas surreprésenté, ni à Genève, ni à Zurich. C’est plutôt l’offre générale qui risque d’être trop abondante.» Il craint surtout un dumping des prix contre lesquels les AJS pourront difficilement rivaliser. «Les marges de l’hôtellerie sont petites et encore plus dans le segment low budget. Je ne pense pas que des chaînes comme Meininger puissent maintenir cette politique tarifaire sur le long terme.»
Une auberge dans une ancienne prison ou une école
«Nous avons beaucoup de demande de destinations romandes. Sur la douzaine de projets, seul un tiers ou un quart aboutira», annonce René Dobler, CEO de la Fondation suisse pour le tourisme social. L'un d'entre eux émane de la ville de Bulle, en Gruyère. Celle-ci propose de réaffecter son château et ancienne prison en hébergement insolite et bon marché. «Cette idée répond à notre volonté d'ouvrir le château à la population. Nous avons déjà commencé en proposant une offre culturelle», indique Patrice Borcard, préfet de la Gruyère. [IMG 2]
La douzaine de cellules logées dans l'aile nord du château (400 m²) pourraient donc changer d'affectation pour accueillir environ 37 lits touristiques. «La dernière restauration remonte au début des années 2000. Les prisonniers ont quitté ce lieu peu de temps après, en 2005, les cellules se trouvent donc en bon état. Il s'agira avant tout de créer une ambiance chaleureuse tout en gardant les éléments historiques, propres à la vie carcérale, pour en faire un hébergement thématique insolite, à l'image du Jail Hotel de Lucerne», détaille Patrice Borcard. Il en va des barreaux par exemple ou encore des lourdes portes à verrous. «Ce projet est envisageable, attrayant pour son emplacement historique, mais très petit en termes de capacité. A la ville de trouver des solutions pour l'exploiter», indique René Dobler. Le projet devra encore convaincre les politiques pour le volet financier.
A Neuchâtel, un projet concret qui a pris du retard
Plus concret, le projet de nouvelle auberge de jeunesse à Neuchâtel prend forme, après moult rebondissements. La Ville de Neuchâtel a trouvé une solution avec l’ancienne école des Sablons. Le projet d’architecte ayant été désigné ce printemps, il devra encore être validé par le Conseil communal, puis le crédit accordé par le Conseil général. La future auberge prévoit une capacité de 100 lits pour un budget estimé entre 6 et 6,5 millions de francs. «Le calendrier est subordonné aux travaux du nouveau collège, qui ont pris du retard. Si bien que nous imaginons une ouverture plutôt en été 2024, qu’en 2022», précise Thomas Fachinetti, conseiller communal en charge du tourisme. (lg)