Les Neuchâtelois montrent un attachement tout particulier pour leur Non Filtré. En témoigne la foule massive qui remplissait l’Hôtel de Ville de Neuchâtel hier soir et ses vénérables salles du conseil général de la Ville, autour du millésime 2019, de ce Chasselas à la couleur trouble. «Agréable de venir ici pour autre chose qu’une réunion publique, un procès ou un mariage», commentait un local de l’étape hilare. A la tête de Neuchâtel Vins et Terroir, Violaine Blétry de Montmollin, puis à sa suite Yann Künzi, ont fait de la sortie du premier vin suisse de l’année la deuxième date consacrée au vin la plus courue du canton, après la Fête des Vendanges. Puisque La Chaux-de-Fonds propose aussi une dégustation ce soir, dès 17 heures, aux anciens abattoirs. Une manifestation qui séduit bien au-delà des frontières cantonales, on notait la présence enthousiaste de Nicolas Joss, directeur de Swiss Wine Promotion. Il sera sans doute sensible à cet argument développé par Yann Künzi, directeur de Neuchâtel Vins et Terroirs: «Dans un contexte plutôt morose pour la vente des vins suisses, le Non Filtré peut se targuer d'être une exception avec une progression de 8% des ventes sur le millésime 2018.»
Rappelons brièvement la genèse de cette spécialité de Neuchâtel avant de plonger le nez dans le millésime 2019. En 1975, après une récolte réduite, une petite quantité de vin non filtré a été tirée par celui qui, aujourd'hui encore reste considéré comme le père du Non Filtré, le vigneron Henri-Alexandre Godet d’Auvernier. Il se distinguait par un caractère typé grâce aux lies de la fermentation alcoolique qui restaient en suspension, lui conférant sa couleur trouble.
Dégustation
Auvernier, ce petit village viticole du Littoral neuchâtelois qui présente la particularité de travailler son vignoble très majoritairement en biodynamie et en bio, présente toujours des Non Filtrés de qualité. En témoigne le millésime 2019, la cave de la Ruelle, de la famille Beyeler. Au nez les notes florales frappent. Puis en bouche ce beau sentiment de soyeux et âpre, avec des arômes de poire très plaisants. Et une envie de le boire immédiatement, une qualité importante pour des vins à la capacité de garde souvent assez courte. Dans le même village, le domaine de l’Etat de Neuchâtel conduit par Yves Dothaux continue sur sa belle lancée du millésime 2018, déjà gorgé de qualité, avec un 2019 peut-être plus discret, malgré une bouche puissante en agrumes. On apprécie sa fraîcheur.
Globalement la vingtaine de vins dégustés sur ce millésime nous frappe par leur vivacité presque électrique. Alors que certaines années certains vins n’exhibent que leur acidité, certains cette année encore, n’échappent pas à ce défaut, mais une minorité.
Le travail de trois vignerons nous a séduit pour l’équilibre de leur vin. Martin et Sophie Porret, sixième génération du Domaine des Cèdres, à Cortaillod, poursuivent le fantastique renouveau de la cave avec un Non Filtré soyeux et compoté, qui évoque le kaki et frappe par sa longueur en bouche. Alain Gerber, à Hauterive, reste une référence en matière de respect du Chasselas. Ici il propose une trame très rigoureuse qui donne une bouche d’agrume tout en rondeur. Chantal Ritter Cochand au Landeron se démarque aussi par son impeccable longueur en bouche.
Certains producteurs font le choix d’une vinification moins traditionnelle. Une modernité un peu caricaturale au domaine de la Grillette, à Cressier, avec un vin complètement orienté sur les fruits de la passion qui devient sur ce millésime pour nous presque écœurant. Mais qui peut combler les amateurs des premiers «Vinho Verde» portugais. Dans le même genre d’esprit nouveau, Louis-Philippe Burgat au domaine de Chambleau réussit un vin beaucoup plus orienté sur la minéralité, qui ne fait aucune concession sur l’amertume. Il accomplit son audacieux pari. Si vous cherchez de l’insolite, il ne faut pas hésiter à goûter la fantaisie, parfois excessive, de François Gasser au domaine du Pampre, à Boudry mais cette fois séduisante. Il propose un 2019 à la bouche de réglisse et de pain d’épice qui se mariera bien avec un morceau de Bleuchâtel.