Pour de nombreux producteurs suisses la situation du marché du vin suisse reste critique. Ils doivent retourner travailler leur vigne alors que leurs caves débordent de millésime 2018. Une minorité doit vendre son vin60 centimes le litre. Bien que geste extrême et médiatique, la grève de la faim de dix jours du Genevois Willy Cretegny semble marginale. Mais paradoxalement à ce sombre tableau, le vin suisse affiche la qualité d’ensemble la plus haute de son histoire.

«Une ambiance tendue, une situation préoccupante pour tous types de producteurs. Même si le niveau des concours nationaux et internationaux n’a jamais atteint de tels sommets et que les vins distingués attirent l’attention du consommateur», explique David Genolet, président de l’association Vinea qui organise un salon et des concours de référence.Madeleine Mercier, vigneronne valaisanne et présidente de la Mémoire des vins suisses décrit la situation ainsi: «Une ambiance morose, des copains qui ne possèdent plus le feu sacré, cela m’attriste. Cet été fut difficile avec des attaques de mildiou. Certains collègues travaillent sans aucun revenu, je trouve cela intolérable. Mais à la Mémoire, je côtoie aussi des jeunes producteurs qui cultivent la vigne avec passion et aiment les vins différents.»

Nicolas Joss, directeur de Swiss Wine Promotion, synthétise le propos ainsi: «Une situation économique difficile, mais malgré leur difficulté je tire mon chapeau à la très grande majorité des vignerons de ce pays qui ne lâchent rien sur la qualité, qui continuent leurs recherches poussées et produisent des vins par passion. J’ai goûté des moûts 2019 d’une grande qualité.» Selon nos trois interlocuteurs, des solutions existent. Nicolas Joss n’hésite pas à tenir un discours plus offensif: «Nous n’avons pas attendu la réaction médiatique du 5% de vignerons conservateurs de notre pays, pour piloter une mission de promotion d’urgence. Nous bénéficions de la collaboration directe du Département fédéral de l’économie dirigé par Guy Parmelin, en lien étroit avec l’Interprofession de la vigne et des vins suisses et la Fédération suisse des vignerons. Elle ciblera les acteurs de la grande distribution.» Rappellons que 60% des vins suisses se vendent en grande surface. Mais Swiss Wine Promotion ne se bat pas sur le même terrain que Willy Cretegny, président des vignerons encaveurs indépendants qui a remis en juin à Guy Parmelin, une liste de mesures à appliquer en urgence pour diminuer les mesures d’importation. Nicolas Joss s’explique ainsi: «Les demandes de Willy Cretegny restent d’ordre politique. Je pense que fermer les frontières ne va rien résoudre à court terme. Swiss Wine Promotion veut redynamiser la consommation de vin suisse, sans distinction de canton et de région en valorisant le travail des vignerons. Il faut rendre plus visible leur action, redonner envie de boire du vin suisse.»

«Nous produisons du vin
selon la qualité que l'on désire»

Du côté de Vinea, David Genolet pense aussi qu’il faut arrêter de se battre contre le consommateur par des mesures protectionnistes: «On doit le sensibiliser à la qualité indigène sur de beaux vins dans toutes les gammes de prix. Comme avec la vague verte impulsée par les jeunes, on peut penser que le changement passera par la volonté du consommateur, sa réaction.» Nicolas Joss le rejoint. Mais reste surpris par le décalage dans notre société entre un discours locavore affirmé sur la nourriture et des prises de positions encore très libérales dans le domaine du vin: «On doit inciter à boire local. Cela concerne tous les partis et il ne s’agit pas d’un discours élitaire. Sur des vins entre 6 et 10 francs, la qualité et la traçabilité restent largement supérieure à celle des vins étrangers. Parce que nos vins, qu’ils soient d’AOC ou de Pays, nous assurent une vraie qualité et une origine certifiée. Quand on consomme un vin bio du Chili, on doit penser à son bilan carbone.» Madeleine Mercier pense qu’il faut sensibiliser la population: «On peut lire ces jours-ci sur les réseaux sociaux que si chaque Suisse achetait deux bouteilles de vin de son pays chaque année les problèmes seraient derrière nous…» Elle a proposé à des enfants de six ans de la classe de sa fille de venir effectuer les vendanges au domaine: «Plusieurs parents viennent ensuite naturellement déguster nos vins.»

Madeleine Mercier tient à parler de sa situation personnelle: «Nous sommes des vignerons encaveurs qui régulons nous-mêmes notre récolte et produisons du vin selon la qualité que l’on désire.» Elle évoque des Cornalins et des Syrahs limités à 400 grammes au mètre carré et 800 grammes pour les autres vins. «Une manière de garantir la personnalité de nos vins et de défendre une politique de qualitéinitiée par mes parents, voilà 35 ans».

Cette année en Valais, l’Interprofession de la vigne et du vin a communiqué les rendements maximaux par surface. Ils baissent pour tous les cépages, à l’exception du fendant, dont le quota reste fixé à 1,4 kg/m2. Le quota des autres blancs est de 1,1 kg. Celui des rouges de 1 kg. Pour Nicolas Joss, il reste important de préciser que la Suisse produit à 20% en dessous de ses rendements et qu’elle pourra donc toujours répondre à une consommation plus accrue. «Je trouve cocasse quand certains parlent d’un vin générique de Toscane comme un vin parcellaire avec des étincelles dans les yeux. On peut leur rappeler que la surface viticole de la Toscane se monte à 62 000 hectares, pour 14 793 en Suisse.» Le vin suisse reste un secret bien gardé et si certains crient leur légitime désarroi avec force, l’ensemble de la profession gagnerait à communiquer avec une même voix, selon nos interlocuteurs. Et quand jeudi dernier le Grand Prix du vin suisse, dévoile un nombre de participants record avec 3254 vins présentés et quelques 955 vins décrochant une médaille d’or ou d’argent, cela n’a rien d’anecdotique. Pour Madeleine Mercier: «Ceux qui envoient des vins à des concours montrent leur fierté de producteur et contribuent à la visibilité positive de notre vignoble.»

swisswine.ch

alexandre caldara