Si l’on rentre par l’arrière un brin distrait, on peut juste croire à un grand hôtel répondant aux codes du luxe international. Mais toutes les autres approches permettent de comprendre la singularité de l’Hôtel InterContinental de Lyon, en France, situé dans un des plus grands bâtiments de la presqu’île, classé monument historique en 2011. Par l’avant, on longe une gigantesque façade de pierre blanche de 360 mètres carrés, bordant le Rhône et datant du 18e siècle.

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On arrive dans un hall majestueux en hauteur, souligné par un néon contemporain, et on saisit tout de suite le rôle central que l’hôtel joue dans le projet de réhabilitation de l’Hôpital de l’Hôtel-Dieu en Grand Hôtel-Dieu, considéré comme la plus grande opération de reconversion privée d'un monument historique en France et en Europe. Un hôtel urbain avec en son cœur ce qu’un guide du patrimoine qualifie «du plus bel intérieur de Lyon», locomotive d’un modèle de financement mixte de 62 000 mètres carrés, le Grand Hôtel-Dieu. Un des modèles plébiscités dans les travaux entrepris sur le sujet par un projet Innotour en Suisse, qui donne envie de comprendre les arcanes de ce complexe faramineux qui attire une nombreuse clientèle suisse.

Carte de visite

Nom de l'hôtel: InterContinental Lyon – Hôtel-Dieu

Lieu: Lyon, France Marque et groupe: InterContinental par IHG

Classification: cinq étoiles

Années de construction: Ensemble du Grand Hôtel-Dieu en 2010, avril 2015 pour l'hôtel.

Investissement: Plus de 200 millions d’euros sur l’ensemble du Grand Hôtel-Dieu

Architectes: Didier Repellin, architecte en chef des Monuments historiques, et Jean-Philippe Nuel pour l’architecture intérieure

Nombre de chambres: 144 (113 chambres et 31 suites)

Nombre de collaborateurs: 160 collaborateursTaux d'occupation: hôtel ouvert toute l’année, 72% de taux d’occupation en 2024

Chiffre d’affaires: entre 22 et 24 millions pour 2024

Groupe cible: 40% business et 60% loisirs

Autres prestations: Le restaurant Epona propose une cuisine locale et de saison par le chef Mathieu Charrois. Le bar Le Dôme, sous l’impressionnante coupole Soufflot, est le centre névralgique de l’hôtel, élu meilleur bar d’hôtel au monde en 2021 au Prix Villégiature. Un centre de convention et de réception de 1500 m², L’Académie, avec 12 salles de réunion réparties sur 4 niveaux. Le Club Lounge, un espace offrant un service exclusif tout au long de la journée.

Directrice: Madelijn Vervoord, depuis l’ouverture.

Propriétaire: Predica

«Une visite de ce bâtiment prend du temps»
L’InterContinental, un établissement élu meilleur hôtel de France par les votes publics du World Travel Awards dès 2021 et cette année encore. «Il marque durablement la clientèle internationale par son ancrage unique dans un bâtiment historique d’envergure et permet d’amener de nouveaux marchés à Lyon, comme l’Amérique du Sud», commente Madelijn Vervoord, directrice de l’établissement dès le début du projet en juin 2018 et personnalité centrale de son ouverture en juin 2019.

A la réception de l’InterContinental, ce grand bureau noir, on trouve des objets contemporains et classiques à la fois, comme ces monumentaux paravents en soierie Verel associés dans leur réalisation au travail de l’artiste Véronique De Soultrait. Mais aussi une bibliothèque qui comprend des ouvrages de médecine de l’époque retrouvés pendant les travaux. Un style que le décorateur d’intérieur Jean-Philippe Nuel qualifie de «monacal et précieux». On prend une leçon de discrétion et on entre comme dans un sas de décompression austère mais noble. Loin du baroque de Jacques Garcia, à La Réserve de Paris, ou même des couleurs très vives des tableaux floraux d’Alessandro Twombly, à l’InterContinental Genève. Un choix que Jean-Philippe Nuel défend ainsi: «Lors de la construction de l’Hôtel-Dieu, le contraste entre l’architecture grandiose du bâtiment, semblable à un palais, et sa fonction de soins aux pauvres surprenait. Cette dichotomie a été conservée dans la décoration d’intérieur.» Pour Madelijn Vervoord: «Certains trouvent cela sombre, je leur dis qu’une visite de ce bâtiment prend du temps pour comprendre tous les détails. Avec l’architecte Didier Repellin, j’ai appris à comprendre l’alignement des fenêtres du bâtiment et la répétition des arches. A nous de le transmettre aujourd’hui.»

Pour Madelijn Vervoord: «L’entrée de notre hôtel génère beaucoup d’allées et venues, car elle est aussi considérée comme un lieu public, nous devons nous adapter à cette cohabitation qui globalement marche bien, les visiteurs restent très respectueux de la situation, ce bâtiment compte beaucoup dans le cœur des Lyonnais, on participe à sa vie, notamment en organisant des offres spéciales pour les habitants pendant la semaine de leur anniversaire.» Ou comment un hôtel cinq étoiles d’une marque internationale ancrée dans le luxe parvient à s’intégrer dans une histoire mythique, celle du Grand Hôtel-Dieu. Fondé au 12e siècle, à son emplacement actuel, ce centre d’accueil pour les pauvres, pèlerins et voyageurs évolue au fil des siècles, connaît de nombreuses aventures et catastrophes, notamment des incendies, mais se profile aussi comme l’hôpital des Lyonnais jusqu’à sa désaffection puis sa fermeture définitive pour cause de vétusté et manque d’efficience fin 2010, les derniers espaces hospitaliers se vident progressivement jusqu’en 2015.

Des projets finalistes avec des géants hôteliers
Patrick Muller, responsable de l’ensemble du site Grand Hôtel-Dieu, aime donner rendez-vous devant la chapelle du 17e siècle pour ensuite rentrer dans le bâtiment plus contemporain de l’architecte Albert Constantin par un angle qui débouche sur une place abritée par un grand plafond en verre. «Nous ne devons pas créer une marque, l’identité existe déjà.» Puis, il explique comment se met en place, dès 2010, les premières réflexions pour l’avenir du bâtiment: «L’impulsion du projet a été donnée par Gérard Collomb, maire de Lyon et président de la métropole, puis ministre de l’intérieur et à nouveau maire de Lyon. Dès le départ, il s’agissait de réfléchir à un hôtel, des restaurants, des zones de repos, dix logements et des surfaces commerciales sur 32 000 mètres carrés, une cité de la gastronomie publique et deux musées privés. Nous avons l’obligation d’ouvrir l’ensemble du site tous les jours de l’année.» Le bâtiment reste propriété de l’Hospice civil de Lyon, qui cède son bail pour 99 ans avec obligation de rénovation à l’assureur vie Predica, une structure du Crédit Agricole, et un mandat au promoteur Eiffage Immobilier. «Une structure mixte assez classique en France», assure Patrick Muller. Quant à la marque InterContiental, elle rentre rapidement dans la danse pour un contrat de management hôtelier «grâce notamment à son expérience avérée dans la réhabilitation d’un autre monument historique, l’Hôtel-Dieu de Marseille, depuis mars 2012, déjà sous l’égide de Madelijn Vervoord et de ses équipes», explique Patrick Muller. En juin 2010, quatre projets sont finalistes avec trois autres géants de l’hôtellerie mondiale, Fairmont, Four Seasons et Hyatt; leur intérêt montre le côté hors du commun de l’aventure. Mais le projet de l’équipe Eiffage, Generim et InterContinental est retenu car «il touche moins à la structure de l’Hôtel-Dieu», expliquait alors Gérard Collomb.

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Epona, un resto dédié à une déesse du voyage
Aujourd’hui, Patrick Muller et Madelijn Vervoord se rappellent certaines résistances citoyennes au début du projet: «Nous devons laisser nos portes ouvertes pour que tout le monde vienne voir et partage ses émotions.» Les deux parlent aussi de l’amélioration urbanistique pour l’ensemble du quartier, notamment la rue de la Bellecordière, qui a retrouvé son attractivité et permet selon l’expression lyonnaise de «trabouler» à travers les multiples entrées du site. Patrick Muller, qui dit tout faire en termes de marketing, «de l’impression d’un petit sticker à l’organisation du marché de Noël», vante les chiffres de fréquentation de 100 000 personnes par semaine du site. «Notre choix de travailler avec des commerces plutôt premium reste le bon. Nous comptons tout de même, en plus de l’InterContinental, plusieurs commerces haut de gamme, ce qui offre un bon mix.» Mais l’aventure du Grand Hôtel-Dieu débouche aussi sur l’échec des Halles, qui comprenaient neuf enseignes de métier de bouche lyonnaises, et celui d’une première version de la Cité internationale de la gastronomie, qui vient de rouvrir fin octobre sous une autre forme. Face à une presse lyonnaise qui lui reproche des loyers élevés, Patrick Muller répond avoir subi de plein fouet les crises des gilets jaunes, puis celle du Covid et se dit confiant pour la reprise des opérations.

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Il nous reste encore à plonger dans l’endroit le plus majestueux de l’ensemble du site du Grand Hôtel-Dieu. Il se situe au cœur de l’Hôtel InterContinental, au premier étage, et il s’approche avec pudeur. Marie Bouthier, directrice du marketing et de la communication, donne quelques détails sur la créativité de l’équipe du bar, qui ouvre chaque jour à 15 heures, avant d’entrer dans l’espace sacré: «Car ensuite, vous serez subjugué, vous n’entendrez plus rien.» On pense qu’elle exagère, on fait quelques pas et là, une hauteur de 32 mètres et le génie du décor sombre et puissant de Jacques-Germain Soufflot époustoufle. Il hypnotise. Tous les regards vont au ciel. Le designer Jean-Philippe Nuel l’a compris avec ses fauteuils Soufflot conçus avec la marque Ligne Roset pour offrir une inclinaison parfaite de la tête vers la lumière du Dôme. On le voit ici dans les plans initiaux de Soufflot, au 18e siècle, ses collaborateurs avaient modifié les plans pendant qu’il s’occupait de la construction du Panthéon, à Paris, mais après les bombardements sur Lyon pendant la Deuxième Guerre mondiale, le Dôme fut reconstruit dans sa première vision.

Le défi pour un hôtel restait donc d’exploiter la beauté viscérale de ce lieu en lui laissant la vedette. Le bar se place donc à l’arrière, presque en coulisse. D’ailleurs, selon de nombreux locaux, les Lyonnais peinent encore à l’adopter pleinement malgré sa reconnaissance internationale: il rafle en 2021 le titre de meilleur bar du monde du grand prix Villégiature, attribué par des journalistes. Et le travail réalisé par son directeur Wylliam Perrin-Deliry reste admirable, il nous sert une étonnante vodka beluga à la feuille d’huître, aux dimensions florales, pensée dans l’esprit d’un dry martini, et si on lui demande l’inverse, il pencherait pour un long drink fruité avec une jolie sucrosité. L’équipe du bar prolonge l’excellence de celle de la cuisine où sous l’enseigne d’Epona, déesse de l’équitation et du voyage, Mathieu Charrois propose une cuisine de produits étonnante de franchise, attentive aux détails comme ce morceau de cerf délicieusement fumé.

A la fin du repas, si on veut rencontrer ce chef talentueux, il faut passer par sa cuisine où il dit: «C’est toute l’équipe qui a travaillé pour vous, et on vous retrouve demain matin pour le petit-déjeuner.» Alors quand le chef concierge Cyrille Jombart dit que «la beauté historique du site fait déjà 50% du travail», on le croit, mais on admire aussi l’engagement total des équipes pour le reste qu’il fallait encore conquérir.

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La voix de l'expert

Changement de paradigme hôtelier: la collaboration comme pilier de l'expérience client

L'hôtellerie urbaine en Suisse se prépare à une transformation radicale. C'est le résultat des réflexions menées au cours du projet Innotour «Avenir des hôtels urbains» au plus fort de la pandémie, en collaboration avec des hôteliers indépendants de Suisse romande et divers experts tels que designers, architectes et urbanistes. Quatre grandes tendances se dégagent et dessinent l'avenir de l'hôtellerie urbaine.   [IMG 5]

Tout d'abord, l'hôtel devient un «cœur de quartier», tissant des liens étroits avec les entreprises locales, créant une osmose bénéfique à la vie collective et à l'économie locale. Cette intégration offre aux clients des expériences authentiques, renforçant le positionnement central des hôtels.

Une destination en soi
Parallèlement, le concept d’«hôtel hybride» permet d’évoluer vers plus de flexibilité stratégique. Ce nouveau concept favorise les partenariats avec les entreprises d'événementiel et les start-up technologiques. Des espaces modulaires et adaptables peuvent être utilisés pour des événements variés, et même des pop-up stores, rendant les hôtels plus attractifs et diversifiant leurs sources de revenus. Par exemple, l'hôtel collabore avec des start-up pour offrir une application permettant aux clients de découvrir virtuellement les attractions locales depuis leur chambre.

La transformation en «centres de coworking» représente une avancée significative, encourageant des collaborations fructueuses avec des institutions éducatives et des entreprises. Les hôtels ne sont plus de simples lieux de séjour, mais deviennent des centres d'innovation et d'apprentissage, créant une synergie qui profite à l'industrie hôtelière et à d'autres secteurs. Par exemple, les cours de formation organisés en partenariat avec des écoles de commerce peuvent enrichir l'expérience des clients et des employés.

Enfin, l'hôtel devient une destination en soi, en établissant divers partenariats avec des attractions touristiques, des restaurants, des centres de bien-être et des centres commerciaux. Cette intégration complète permet aux clients de vivre une expérience immersive sans quitter l'établissement. Par exemple, un hôtel peut collaborer avec un musée local pour proposer des visites exclusives, créant ainsi une proposition de valeur unique pour les clients.

Comme indiqué précédemment, la réflexion sur «l'avenir des hôtels urbains» a souligné l'importance de la collaboration et du travail en commun, en particulier à la lumière des défis posés par l'ère post-Covid. Aborder les questions complexes du financement de l'innovation, de la gestion du temps pour la planification stratégique, de l'acquisition de talents et de l'attraction de la clientèle nécessitent une approche «contrefactuelle» afin de se projeter dans les futurs possibles à moyen et long termes. Cette approche permet d'anticiper les attentes des futurs voyageurs lorsque des points de bascule sont attendus, en reconnaissant les grandes tendances («mega-trends») et en agissant sur les leviers qui assurent la viabilité à long terme des hôtels urbains.

Des revenus durables
Les études prospectives sur le tourisme réalisées pendant les années 2020-2022 ont correctement prédit le retour des touristes après la crise sanitaire. Ces mêmes touristes accordent toutefois une place plus importante à la sécurité. Dans le contexte actuel de polycrise, les hôtels sont confrontés à de multiples situations d'urgence (canicule, blackout, etc.). Dès lors, il est essentiel de collaborer avec d'autres secteurs pour améliorer la préparation et la réponse aux incidents, tout en préservant la satisfaction des clients. Des approches de «service recovery» mutualisées seront donc nécessaires pour maintenir la confiance des clients et restaurer la qualité des services après un problème. Par exemple, le fait de traiter rapidement une plainte d'un client et de la résoudre de manière satisfaisante peut prévenir d'autres dommages. 

En conclusion, je suis donc fermement convaincu que la nécessité de collaborer se fondera davantage sur les besoins de rétablissement des services de «service recovery» pour assurer le confort et la sécurité des clients dans le secteur hôtelier et donc maintenir des revenus durables, que sur des objectifs d'innovation pure pour se différencier de la concurrence.


D’autre concepts réunissant des hôtels urbains et d’autres partenaires

Un établissement pour les congrès et un aquarium

Situé dans les hauts de Lausanne, à la sortie de l’autoroute A9 et accessible en transports publics, l’Aquatis Hôtel, du groupe romand Boas propose 143 chambres  toutes décorées sur le thème de l'eau. Ce quatre étoiles, dirigé par Brice Lavedrine, classé en catégorie congrès, dispose aussi d’un centre de conférence de 330 m2, un restaurant avec terrasse, un spa et un fitness. Il vise également une clientèle familiale. Mais son originalité réside surtout dans son lien direct avec Aquatis Aquarium Vivarium, le plus grand aquarium d’eau douce d’Europe. Un parcours de 3500 mètre carrés comprenant 46 aquariums et vivariums; 10’000 poissons, ainsi que 100 reptiles et amphibiens. Après des années plus compliquées, en 2022 Aquatis parvenait à sa vitesse de croisière: «Avec 228’500 entrées. On trouve une clientèle fidèle à 80% locale», explique Bernard Russi, le fondateur du groupe Boas. [IMG 2]
aquatis.ch


Un lieu de rencontre pas une prison 

L'ancienne «prison la plus dure de Suisse» s’est transformée en Swisslodge et surtout en un lieu de liberté, de créativité et d'échange social. Des hôtes du monde entier passent la nuit dans les vingt-cinq cellules de prison réaffectées du Sennhof, à Coire. Dans l'espace public de co-working de l'auberge Bogentrakt, dans la tour historique, les gens travaillent. A côté des locaux sobres de l'auberge, le restaurant Kostbar semble exubérant et coloré. Les salles de restaurant situées dans les anciens murs jouxtent la cour intérieure, tout comme la nouvelle construction aux multiples vocations: de la collection d'art de la Fundaziun Capauliana, au laboratoire des bricoleurs, en passant par l'atelier communautaire Sinnhof. Il existe également des logements pour les familles et des groupes d'habitation pour les personnes souffrant de troubles psychiques. Toutes ces offres proposent une jolie complémentarité.  [IMG 3]
bogentrakt.ch


Deux Hyatt près d’un parc et de l’aéroport

The Circle, à l’aéroport de Zurich propose un espace de 37’000 mètres carrés avec de nombreux magasins, restaurants et bars. La conception de l'architecte Riken Yamamoto en fait un élément qui relie l'aéroport et le parc. Alors que la façade légèrement inclinée qui fait face à l'aéroport reflète les courbes du terminal. Le complexe comprend aussi deux hôtels de la marque Hyatt. Le Hyatt Regency propose 250 chambres, dont une suite exécutive et une suite présidentielle classé en quatre étoiles supérieur. Le Hyatt Place dispose de 300 chambres spacieuses. Ce quatre étoiles est situé sur la place nord avec un accès direct au parc. Ce complexe comprend aussi le Convention Center qui peut accueillir jusqu’à 2’500 personnes. Enfin, le nouvel hôpital universitaire de l'aéroport offre une large gamme de services médicaux. [IMG 4]
thecircle.ch