Le Théâtre du Jura, à Delémont, a officiellement ouvert sa première saison le 22 octobre dernier. Ainsi se concrétisent six années de réflexion, d’étude et de construction. A observer l’affluence enregistrée lors des récentes journées portes ouvertes, on mesure ce qu’un tel lieu représente pour le jeune canton. Un espace de représentations – les spectacles – et de représentation – au sens symbolique. Les théâtres, à plus forte raison les «grands théâtres», comme le Grand-Théâtre de Genève, le Grand-Théâtre de Bordeaux, autrement dit les opéras municipaux, accèdent souvent au rang d’emblème d’une ville, voire d’une région.
Le 7 décembre prochain, à l’occasion de la Saint-Ambroise, la Scala, à Milan, inaugurera sa saison 2021-2022: la première de Dominique Meyer, ex-directeur de l’Opéra de Lausanne et du Wiener Staatsoper. Comme à chaque fois, cette brillante soirée réunira le ban et l’arrière ban de la société milanaise. Dominique Meyer ne sera pas dépaysé: le bal de l’Opéra de Vienne réunit toutes les personnalités en vue de la capitale autrichienne, président fédéral inclus. Plus généralement, les maisons d’opéra bénéficiant d’une longue tradition sont des lieux de prestige. C’est à l’Opéra de Paris, en 1957, que le président Coty reçoit la jeune reine Elisabeth II. Et c’est à l’Opéra royal de Versailles, en 1982, que François Mitterand convie les membres du G7, parmi lesquels Margaret Thatcher, Ronald Reagan et Helmut Schmidt. Quant au Bolchoï, c’est un passage obligé pour tous les hôtes de marque du Kremlin. C’est ainsi que la ballerina assoluta Maïa Plissetskaïa danse aussi bien devant le maréchal Tito et le président Mao que devant le pandit Nehru et le shah d’Iran.
Tradition et architecture sont les deux éléments constitutifs du rayonnement d’une maison d’opéra. La tradition se forme au fil du temps… Il faut savoir faire preuve de patience! L’architecture, elle, se conjugue au présent. L’Opéra de Sydney dont les «voiles» s’ouvrent sur la baie est emblématique de Sydney. Cinq millions de visiteurs s’y pressent chaque année! Que ce soit Canton avec les deux «galets» de pierre, verre et acier de Zaha Hadid ou Rome (Parco della musica) avec les scarabées de Renzo Piano ou encore Valence avec le coquillage renversé du zurichois Santiago Calatrava Valls, les «gestes architecturaux» sont autant de cartes de visite urbaines. Plutôt salle de concert qu’opéra, l’Elbphilarmonie, œuvre des bâlois Herzog et de Meuron, tel un voilier posé sur un cube de briques, est devenu le nouveau visage de Hambourg. Des plus patrimoniales aux plus avant-gardistes, les maisons d’opéra sont d’indéniables atouts touristiques.
Les mélomanes se déplacent volontiers pour assister à telle nouvelle production, à telle éclatante distribution, à telle prise de rôle. Tourisme de niche. Évidemment, le prix des places n’est pas nécessairement à la portée de chacun. Et chacun n’est pas disposé non plus à subir les quatre heures de la version intégrale du Guillaume Tell de Rossini. N’importe! On fait la queue pour visiter qui le Bolchoï, qui la Scala, qui le Palais Garnier. A Paris, des guides-conférenciers racontent le lac souterrain sur lequel s’élève l’édifice et emmènent les visiteurs à la découverte de l’escalier d’honneur à double révolution, du plafond de Marc Chagall, du lustre de sept tonnes et du grand foyer étincelant de ses miroirs et de ses chandeliers. Une visite qui fait tourner la tête.
De quoi rester coi.
Jean Pierre Pastori, journaliste et écrivain, est l'ancien directeur du château de Chillon et président de la Fondation Béjart Ballet Lausanne.