Repas d’ouverture du Concours mondial de Bruxelles, mercredi soir, à Leysin. Une table haute, un panorama alpin à couper le souffle, des élèves de la Swiss Hotel Management School préparant avec ravissement ici une choucroute, là une glace au pop-corn. Autour de ce buffet volant: un américain vivant à Hong Kong, un Italien, un Géorgien. Un peu comme dans une blague de cour d’école. Chacun raconte son rapport au vin, les querelles sur l’origine du breuvage, les dimensions techniques, les anecdotes. Un Pinot Noir «Les Calames» de la famille Porret, à Cortaillod (NE) séduit la tablée par sa fraîcheur, son immédiateté fruitée. Ils rigolent de l’exotisme rare du vin suisse. Les mots Petite Arvine, Chasselas frémissent dans les conversations, certains semblent plus attiré par la technique, les chauffes, la tonnellerie, les degrés d’alcool, comme cette journaliste américaine qui dit pouvoir en parler toute la nuit. D’autres s’arrêtent sur la salinité, le punch, la longueur en bouche. Le «Secret de la chapelle» Pinot Noir de Cormondrèche (NE) ne pouvait pas mieux porter son nom que ce soir-là. L’autre inattendue vedette de la soirée Charlie Chaplin: plusieurs dégustateurs se sont arrêtés au Chaplin’s World l’après-midi même. Ils semblent envoûtés par le cinéaste qu’ils redécouvrent. Une étudiante grimée en Charlot fait son apparition, sa présence androgyne en jette, elle fait virevolter sa canne. La petite tribu se disloque un peu. Certaines timidités se fissurent dans la nuit. Le lendemain, retrouvailles auprès d’un train à crémaillère, il faut redescendre, à Aigle. Un monsieur raconte ses stages hôteliers à Leysin, voilà 20 ans. Un dégustateur italien parle de levure, de pain et discerne quelques biches apeurées dans le bois.
Trois jours après, à peine le temps de récupérer, nuit des auteurs au Salon du Livre de Genève. Cela commence là où l’autre nuit se termine. Quelques corps partent de la villa Sarasin où les vins de la Cave de Genève irriguaient les corps et le karaoké dissolvait les voix dans du Bowie d’outre-tombe, loin de l’androgynie. Le groupe emmené par quelques caricaturistes de presse cherche le Starling Hotel pour l’After et se perd dans les bois. Comme le Petit Poucet, des exemplaires de Vigousse, ils sèment. Finalement arrivés dans le hall immense de l’hôtel, devant toute une série de réceptionnistes attentionnés et surpris par l’aéropage fraîchement constitué, le groupe slalome. Danse entre les tables de bois et le cube fumoir en verre, l’un d’eux prévient: aller aux toilettes devient une expédition. Il faut prendre le tapis roulant en pente qui s’enclenche en cas de présence humaine. On lève les yeux vers de grands cylindres décoratifs, pour enfin en bout de chemin aborder une porte rouge avec un hublot. Là dans la plus stricte intimité se terre un fantasque auteur français qui invente des oreilles rouges et des hérissons. Certaines timidités se fissurent la nuit. Le lendemain, petit-déjeuner tardif au restaurant Le Chef face à une piste d’aéroport en lisant «Un jeune homme chic» d’Alain Pacadis, chroniques de fêtes parisiennes dans les années septante.
Les mondanités autour du vin ou des lettres cachent un micro-univers de sensibilité qui bruisse et suggère.