Le «Swann»? Un hôtel du VIIIe arrondissement parisien dédié à Marcel Proust, maillon du groupe des «hôtels littéraires». À l’instar du Marcel Aymé dans le XVIIIe, du Gustave Flaubert à Rouen, de l’Alexandre Vialatte à Clermont-Ferrand et du Jules Verne à Biarritz. Ne se bornant pas à se prévaloir d’un nom célèbre, ces établissements à la forte identité documentent écrivains et œuvres en ornant leurs murs de photographies, tableaux et citations s’y rapportant. Ainsi positionnés, ils se distinguent nettement de leurs concurrents anonymes.
On pourrait objecter qu’il y a là quelque chose de factice. Le poète du «Bateau ivre», pour ne citer que lui, n’est jamais descendu dans l’hôtel Arthur Rimbaud, non loin de la gare de l’Est. Il en va tout autrement du Grand Hôtel de Cabourg que Proust a fréquenté de 1907 à 1914. La chambre 414, «sa» chambre, conserve son souvenir, à la grande satisfaction des clients. N’étant pas voué à un seul auteur, l’hôtel du Pont Royal, un 5 étoiles de Saint-Germain-des-Prés, célèbre en photographies aussi bien Malraux que Cocteau, Camus que Gide ou Giono. Dans le bar disparu du sous-sol, on pouvait croiser naguère Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, Antoine Blondin et Romain Gary. Rien d’étonnant à cela, le VIe arrondissement, c’est le quartier des éditeurs, Gallimard en tête.
Serait-ce parce que chez nous on n’aime guère les têtes qui dépassent? Plutôt que d’exploiter ces signatures, nos hôtels ne s’en prévalent que discrètement. À cet égard, le Waldhaus de Sils-Maria fait exception. Du 24 au 29 août, il accueillera même une installation avec réalité augmentée permettant d’assister à une rencontre imaginaire entre Thomas Mann, Prix Nobel de littérature 1929, client régulier, et son fils Klaus, lui aussi écrivain. Mais ailleurs, que d’occasions négligées!
L’Hôtel d’Angleterre, à Ouchy-Lausanne, pourrait tabler sur Lord Byron. Une plaque en façade rappelle certes que c’est ici que fut écrit «Le Prisonnier de Chillon». Mais se placer sous les auspices de cette figure du romantisme serait un atout vis-à-vis des touristes anglo-saxons.
Dans le fond, qu’est-ce qui fait l’identité d’un hôtel? Sa situation, son architecture, la tradition qui lui est attachée quand il y en a une… La personnalité de son directeur, encore qu’avec les tournus actuels…. La qualité de l’accueil, évidemment. Mais un lien étroit avec un illustre artiste représente un plus non négligeable à même de susciter l’intérêt des touristes. A preuve l’attraction qu’exercent les demeures d’écrivains célèbres, telles celles d’Hemingway que l’on visite à La Havane et à Key West ou celle de Goethe à Weimar. A Morges, l’hôtel La Maison d’Igor renvoie au séjour que Stravinski y fit de 1915 à 1917. C’est là que, avec Charles-Ferdinand Ramuz, il composa le ballet chanté «Renard».
Ici comme ailleurs, la référence à l’artiste est à la fois une célébration du lieu et un habile outil de marketing. L’hôtel Modern Times, à Saint-Légier, l’a bien compris, lui qui, avec l’autorisation des ayants droit, est dédié à Charlie Chaplin. A quand un Friedrich Durrenmatt à Neuchâtel, un Patricia Highsmith à Tegna ou un Georges Simenon à Lausanne?
Chronique
Quand les hôteliers ont des lettres
Un lien étroit avec un artiste représente un plus indéniable pour les touristes. La chambre 414 du Grand Hôtel de Cabourg conserve le souvenir de Marcel Proust.
Jean Pierre Pastori
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