Le dimanche 27 novembre et le lundi 28 novembre, la Mémoire des vins suisses retrouvait après une année d’absence d’évènements le Kongresshaus juste rénové de Zurich pour deux journées d’exception, avec un nombre d’inscrits record de 1300 personnes et plus de 140 producteurs présents sur deux jours. «Un remarquable succès 
populaire et un enthousiasme nou­veau est à souligner de la part de la jeune génération», se réjouit la vigneronne valaisanne Madeleine Mercier, présidente de l’association de la Mémoire.

La garde des vins suisses reste encore un sujet mal thématisé, et peu de sommeliers parviennent à les imposer sur les tables des plus beaux restaurants du pays, Bordeaux et Bourgogne continuant à conserver le presque monopole des ventes de millésimes mythiques, mais l’association de la Mémoire prouve chaque année la qualité des millésimes de garde avec sa dégustation ouverte au public de trois millésimes entre 2012 et 2017 issus de 48 producteurs. Pour l’instant, il existe un Swiss Vintage Award récompensant des vins de 10 ans d’âge, un concours organisé par le spécialiste en dégustation sensorielle Hans Bättig. Il relève la bonne tenue des 100 vins du millé­sime 2011 produits par 76 domaines, considérés par trois spécialistes à l'aveugle, mais en tenant compte des cépages et de la situation géogra­phique. 

Le jury distingue 70 vins dont 38 obtiennent des notes à partir de 17 points, qualifiés de très bons, dont 8 culminent à 18 points, excellents. Hans Bättig se dit surpris par l’évolution qualitative de cette dégustation et pense que l’on pourra un jour dans ce pays organiser le même exercice sur des vins de 20 ans d’âge.


Dégustation

I Grande émotion
Maurice Zuffrey, Petite Arvine les Grand’Rayes 2013, Valais AOC
Le nez animal frappe, mais tout de suite aussi apparaissent des jolies notes de pignon de pin grillé et un arôme envoûtant d’abricot. L’accord entre légère sucrosité, acidité affirmée et final salin comble le palais. Un grand vin produit sur des sols calcaires qui propose des notes de maturité inédite tout en maintenant sa structure intacte. Les millésimes 2015 et 2017 confirment son potentiel de garde remarquable. La discrétion et la sensibilité du très expérimenté Maurice Zuffrey font le reste: «A mon sens, le seul secret pour produire: un raisin de grande qualité. Un raisin qui nous permettra ensuite d'élaborer des vins typés, racés, sans artifices, des vins équilibrés aux délicats profils aromatiques», explique-t-il.
Domaine Monachon, Chasselas, Saint-Saphorin Les Manchettes 2015, Lavaux AOC
On ne cessera de le répéter: le Chasselas reste un roi de la garde. Pierre et Basile Monachon le prouvent encore une fois avec ce grand 2015, un vin rigoureux, tendu, complexe, avec une dimension citronnée et pâtissière unique. «Il faudra le regoûter dans dix ans», sourit Pierre Monachon, qui ne nourrissait aucun doute sur cet excellent millé­sime. L’humble et souriant producteur se réjouit encore plus de la belle garde de son millésime 2013, dont il n’attendait pas grand-chose: «Un millésime tardif avec une 
floraison en juillet et des grains tout petits.» Et pourtant: «Je suis étonné, il tient bien la route.» Un vin un peu moins facile à comprendre que le 2015, plus puissant, étincelant d’amer­tume, avec une aromatique rappelant le bourgeon de sapin. Un accord avec un délicat brochet du Léman nous semblerait adéquat. 

Zündel Azienda Agricola, Chardonnay, Beride Dosso 2013, Ticino DOC, Tessin DOC
Les Chardonnays d’altitude et de fraîcheur de Christian et sa fille Myra Zündel restent totalement atypiques,  vivaces et tortueux comme des bouquets d’herbes fraîches. Très axés sur la minéralité dans les jeunes millé­simes, ils se complexifient en vieillissant. En 2013, on y retrouve une ­t­o­uche iodée, puis un étonnant effluve qui rappelle le pop-corn, avec une acidité très longue au final.

II Quelques découvertes
Cave du Rhodan, Pinot Noir, Grand Cru Salgesch Hommage 2013, Valais AOC

On apprécie particulièrement les tanins souples, l’élégance de la structure du vin, proche de certains crus bourguignons. Paradoxalement, le 2014 vendangé plus tôt reste plus marqué par son vieillissement et ses notes de pruneaux compotés.

Christian Hermann Weinbau, Chardonnay, Fläscher 2017, Graubünden AOC
Comme une infusion de fruits à noyaux avec cette trame acide intacte. L’élevage de 11 mois dans 60% de barriques neuves peut donner des vins plus charnus en 2013.

Kopp von der Crone Visini, Merlot, Balin, 2017, IGT della Svizzera Italiana
La dimension fumée et florale ­frappe au nez, puis la tension de ce vin qui reste en équilibre permanent en bouche. Un élevage pas trop marqué de 18 mois dont 50% de bois neuf sert ce Merlot.

III Un vin contemplatif
Domaine Grand’Cour, Cabernet Franc, Cabernet Sauvignon, Grand’Cour 2015, Genève AOC

Un assemblage de 70% de Cabernet Franc et 30% de Cabernet Sauvignon à la manière de Cheval Blanc, à Saint-Emilion. De la rose au nez puis une belle amertume. Sa longueur en bouche donne envie de fuir la foule. La plénitude des arômes de griottes exige de la lenteur.

IV Mention spéciale 
Les Syrahs Fully Quintesse de Be­noît Dorsaz marquent par leur profondeur, leur sauvagerie et la cohé­rence que l’on retrouve sur les trois millésimes. Même impression pour les Pinots Noirs neuchâtelois de la Maison Carrée, mélange de souplesse et d’électricité.