Le Mérite culinaire suisse doit chaque année trouver une balance entre les jeunes talents, les genres, les chefs accomplis, la modernité et la tradition, les régions linguistiques. Afin de fournir un palmarès qui donne une image cohérente de la gastronomie suisse. Nouveauté de cette quatrième édition: l’arrivée d’une catégorie consacrée aux pâtissiers-confiseurs.
Josef Zisyadis, directeur de la Fondation pour la promotion du goût et cheville ouvrière du Mérite culinaire suisse explique que cette nouvelle catégorie vient de l’entreprise de chocolats Villars, qui a suggéré cet élargissement: «Nous avons répondu que dès le début, nous nous concentrions sur les cuisiniers, la profession la plus porteuse médiatiquement et au niveau international. Le chocolatier a décidé de nous soutenir; ainsi nous pouvons faire passer notre jury de 11 à 15 membres avec des spécialistes de ces disciplines. Et nommer chaque année, en toute liberté, quatre chefs de cuisine, deux pâtissiers et un Mérite d’honneur comme Gérard Rabaey lundi.» Le budget total du Mérite s’élève à 40 000 francs. Cofondateur du Mérite culinaire suisse avec Josef Zisyadis et Michel Rochat, Philippe Gobet estime que «comme les Meilleurs ouvriers de France, les Mérites peuvent récompenser de très nombreux métiers, en devenant un des lieux de la reconnaissance des métiers manuels par la Confédération». Celui qui est aussi ambassadeur d'excellence de l'EHL ajoute: «On a vu, il y a quelques années, l'importance de cette distinction gouvernementale même pour un chef aussi reconnu que Frédy Girardet. On a senti sa fierté.»
Des liens uniques entre les métiers de bouche
Cette nouvelle catégorie met en avant de nouveaux produits comme le chocolat pour l’artisan de Sierre David Pasquiet ou le panettone et sa Coupe du monde pour le Tessinois Giuseppe Piffaretti. «Elle donne aussi de nouveaux visages aux métiers de bouche», explique Josef Zisyadis. Et voilà donc un cuisinier de formation, David Pasquiet, qui reçoit le Mérite culinaire suisse comme pâtissier. Cela montre les liens uniques entre tous les métiers de bouche et leur union à travers le goût par un langage commun: «J’ai travaillé longtemps dans l’hôtellerie, dont dix ans dans les cuisines du Crans Ambassador. A la naissance de ma fille, on a repris cette ancienne nougaterie pour nous installer dans une vie plus régulière», raconte David Pasquiet. Lundi, avec Franck Reynaud, le chef de l’Hostellerie du Pas de l’Ours, lui aussi lauréat, leur conversation s’engage sur leur utilisation commune d’une petite pousse aromatique. «Les producteurs vont plus facilement au contact des chefs pour leur expliquer leurs nouvelles démarches», estime le pâtissier.
Quand David Pasquiet leur rend visite dans leur cuisine ou au restaurant, il se rend toujours compte de leur chance de travailler des produits frais qu’ils peuvent proposer chauds, froids, cuisinés ou cuits dans les deux heures. Alors que pour la consommation du chocolat, il faut tenir compte de sa conservation, jusqu’à dix jours, et donc y ajouter des produits frais, comme des fruits, se révèle difficile. Par contre, il pense que les pâtissiers peuvent dégager une énergie plus zen en anticipant des pièces à Pâques ou à Noël pour ensuite arriver à quelque chose «de propre et de net sur le montage».
Pour David Pasquiet qui connaît très bien le monde des concours pour avoir remporté les Swiss Chocolate Masters et avoir figuré dans le top 10 des meilleurs chocolatiers du monde en 2013, «le concours valorise des gestes répétés pendant onze heures, alors qu’un Mérite se décerne sur le long terme; il souligne une carrière de dix-sept ans, comme si le concours se répétait chaque jour».
David Pasquiet trouve réconfortant de se retrouver honoré par un jury qui comprend la cheffe Irma Dütsch ou la journaliste France Massy. David Pasquiet pense qu’à travers lui, on honore aussi le chocolat suisse qui contribue à construire la mythologie suisse à l’étranger. «On parle souvent du prestige du chocolat suisse, mais on connaît peu ceux qui le réalisent», constate Josef Zisyadis. Le jury parle à propos de David Pasquiet «d’éthique, de cœur et de talent». Lui continue à évoquer un travail artisanal malgré ses vingt-cinq employés et ses quatre boutiques: «On travaille avec plus de matériel et de façon plus moderne, mais on prépare tous nos fruits nous-mêmes, il ne faut jamais tomber dans le piège des produits préfabriqués.»
Une identité axée sur une couleur peu comestible
Depuis 2017, il travaille avec son propre chocolat fabriqué au nord du Pérou à partir de fèves de Piura Porcelana: «Nous sommes restés une semaine parmi les planteurs pour comprendre cette fève et établir un prix qui soit plus élevé que le marché habituel.» Il pense que l’identité d’un confiseur passe par sa matière première, en l’occurrence bio et sans aucun ajout. Il fabrique un chocolat noir à 69% et un chocolat au lait à 42%. L’entreprise Felchlin exécute la transformation en chocolat et confectionne la couverture.
Le confiseur produit 30 tonnes de chocolat fini par année. David Pasquiet se distingue aussi par son identité visuelle axée sur le bleu: «Simplement parce que j’avais les yeux bleus, mais aussi par défi parce qu’il ne s’agit pas d’une couleur qu’on nous encourage à utiliser dans l’alimentaire. Alors on a commencé par le design des emballages puis en trouvant cette couleur à appliquer sur le chocolat avec des éléments de colorations synthétiques et des poudres de fruits déshydratés. David Pasquiet aime aussi parler de ses ganaches de chocolat aux abricots et aux framboises du Valais et aux pistaches de Sicile. Mais s’il devait évoquer un seul produit, il se concentrerait sur sa tablette de noisettes, avec son propre fournisseur de noisettes dans le Piémont et une torréfaction qui rend le tout «explosif en bouche».
Au Mérite, David Pasquiet ne portait pas un tour de cou bleu, mais bien rouge comme tous ses autres collègues lauréats, ce symbole distinctif conçu par l'Ecole cantonale d'art de Lausanne. Philippe Gobet trouve particulièrement émouvant ce foulard qui permet d'identifier une nation parmi une foule de veste blanche: «Ils se voient de loin.»