«See you upstairs», indique une enseigne lumineuse dans une devanture du passage Malbuisson, au cœur de la Genève marchande. Sur la gauche, une pile de valises patinées et colorées confirme que la destination s'approche. Le nouvel hôtel Ruby joue la carte de la confidentialité. Il faut monter au 7e étage pour atteindre la réception, accolée au bar.
«Nos clients doivent effectivement un peu nous chercher. Si certains y voient un petit côté speakeasy, nous travaillons à améliorer la signalétique», partage Nicolas Sabatier, directeur de l'hôtel. Ouvert depuis la mi-avril, il abrite 221 chambres, réparties en cinq catégories en fonction de leur taille (entre 14 et 28 m²). [IMG 3]
Le groupe allemand Ruby (15 hôtels en Europe) fait partie des références en matière d'hôtellerie lifestyle. Un segment encore peu représenté à Genève, si ce n'est notamment par la chaîne néerlandaise CitizenM (28 hôtels à l'international) qui exploite 144 chambres depuis septembre 2020, également sur la rive gauche. Ruby annonce un taux d'occupation moyen de 70% depuis l'ouverture et CitizenM de 90% durant l'été.
Une vision «décomplexée» de l'hôtellerie
[IMG 2] «Nous défendons une vision similaire de l'hôtellerie, que l'on peut qualifier de décomplexée, explique Nicolas Sabatier. Nous avons notre propre philosophie et misons sur un accueil chaleureux où le client se situe au centre. Je dis toujours à mes collaborateurs: accueillez-le comme si c'était l'un de vos proches.» Son confrère Filippo Del Ponte, directeur du CitizenM, renchérit: «C'est une façon de faire plus moderne, plus dynamique et avec un esprit jeune, mais pas que pour les jeunes. Les codes du luxe changent et les besoins des clients évoluent. L'hôtellerie lifestyle tente d'y répondre en réduisant certains services de réception, de conciergerie, mais en se focalisant sur d'autres aspects comme la situation centrale et le contact humain.»
«Nous recrutons davantage à la personnalité qu'en fonction des diplômes»
Nicolas Sabatier, directeur Ruby Hotel, Genève
D'ailleurs, les deux enseignes ont fait du «luxe abordable» leur credo et leur slogan. Elles ont renoncé aux étoiles et privilégié la classification Swiss Lodge. Le check-in/out y est automatisé, et le staff, polyvalent. Les employés naviguent entre la réception, le service, le bar et la cuisine. Les deux établissements servent un petit-déjeuner et une restauration simple. Tous deux misent sur un vaste lieu de vie central, au décor personnalisé et à l'affectation polyvalente. Ils sous-traitent le housekeeping et emploient 20 collaborateurs pour Ruby et 22 pour CitizenM.
Tatoos offerts et semaine de 35 heures pour le même salaire
Les deux entités défendent une culture d'entreprise progressiste, plaçant l'employé au centre. «Nous recrutons davantage à la personnalité et au feeling qu'en fonction des diplômes, indique Nicolas Sabatier. Nous leur disons: venez comme vous êtes, montrez-nous vos tatouages et vos piercings.» Le groupe Ruby a d'ailleurs fait le buzz cet été sur les réseaux sociaux avec sa campagne de recrutement intitulée «Ready for a new tatoo?» Le groupe est prêt à octroyer, pour chaque nouveau collaborateur après six mois d'activité, jusqu'à 500 euros pour un tatouage, un piercing ou une nouvelle coiffure. «Il est important que nos collaborateurs se sentent à l'aise. Nous n'imposons pas d'uniforme. Nous demandons juste de porter du noir», illustre Nicolas Sabatier. Il estime entre 20 et 30% la part de son personnel n'ayant pas d'expérience dans l'hôtellerie-restauration. «J'ai pris beaucoup de plaisir au recrutement et n'ai eu aucun mal à occuper les postes», poursuit-il. Le directeur avoue recevoir encore beaucoup de CV. «Je n'ai pas perdu de membres de l'équipe depuis le début, se réjouit-il, alors qu'en général le turn-over est souvent élevé lors d'une ouverture.»
Autre action forte: le groupe accordera dès le 1er octobre la semaine de 35 heures à tous ses employés, pour le même salaire. Pour Nicolas Sabatier, cela signifiera engager des personnes supplémentaires. Les modalités de la mise en œuvre au sein de l'hôtel ouvert 24 h/24 doivent encore être définies. Le groupe propose en outre divers avantages pour ses employés, tels que la participation à un abonnement de fitness, des tarifs préférentiels dans ses hôtels, et, dès 2023, une participation aux bénéfices de l'entreprise pour tous les employés. Un effet d'annonce qui se ressent déjà positivement. «Nous recevons nettement plus de candidatures, avec de super profils», confirme Michael Struck, CEO et fondateur de Ruby Hotels. Il s’agit pour ce dernier de renforcer l’identification de ses employés à Ruby: «Si nos collaborateurs sont impliqués avec amour et passion, nos clients le ressentent et viendront encore plus souvent et plus volontiers chez nous. Un investissement payant à long terme», estime-t-il.
De son côté, CitizenM offre à ses employés des bonus mensuels basés sur «la croissance personnelle et la motivation» ainsi que la gratuité dans tous ses hôtels. L'hôtel fonctionne selon une planification dynamique des horaires, où trois jours de travail sont imposés et le reste des heures peuvent être définies librement. Filippo Del Ponte se montre plus modéré quant à l'impact de ce type d'avantages sur le turn-over: «Au final, on travaille toujours les week-ends, à Noël et Pâques. En revanche, je pense qu'un employé se sentant soutenu et encouragé par son employeur travaillera de façon naturelle, ce qui aura une incidence positive sur l'expérience client.» [IMG 4]
Partageant une même vision de l'hospitalité, Nicolas Sabatier et Filippo Del Ponte échangent régulièrement et discutent opérationnel. Loin d'eux cependant l'idée de faire bande à part et de s'exclure de l'hôtellerie genevoise. «Notre concept est juste différent, estime Filippo Del Ponte. Il comporte des avantages et des inconvénients. Nos produits sont complémentaires. Chacun a sa place et ses raisons d'exister.»
Petit entretien avec Gilles Rangon, président de la Société des hôteliers de Genève et directeur de l'Hôtel Eden (3 étoiles sup.)
[IMG 5]
Quel est l’apport de l'hôtellerie lifestyle pour Genève?
Quelle que soit la marque, tout nouvel acteur hôtelier amène une dynamique à Genève et génère une clientèle différente. Cela prouve l’attractivité de la destination pour les investisseurs et les grandes marques. Chaque groupe amène son marketing, sa technique, son savoir-faire et contribue à la valorisation de la destination.
Le Ruby Hotel va introduire la semaine de 35 heures. Cette mesure peut-elle inspirer d'autres hôtels?
Ce choix incombe à l'hôtel et n'oblige pas les acteurs de la place à faire pareil. Il y a différentes manières de valoriser la profession, par exemple en offrant la place de parking et/ou la nourriture, en limitant les horaires coupés, beaucoup pensent aussi à la semaine de 4 jours. Chaque hôtel fait en sorte d'offrir les conditions les plus correctes et cohérentes à ses employés.
Le nombre d'hôtels à Genève continue d’augmenter. Cette évolution préoccupe-t-elle les acteurs en présence?
Fin 2022, nous atteindrons 11'000 chambres disponibles sur Genève, contre 9500 auparavant. On peut voir cette croissance de deux manières: soit dubitativement, en pensant que l’occupation se diluera sur les établissements, soit positivement en y voyant un effet stimulant. En renforçant notre nombre de chambres, nous rendons possible l’accueil de gros événements. Pourquoi pas une COP?
L'augmentation du nombre de chambres se ressent-elle déjà sur l’occupation?
Le gâteau est plus grand mais plus de gens viennent aussi en manger. Dans le contexte post-Covid, nous ressentons ce besoin de «revenge travel» et bénéficions d’une reprise dynamique. Mon hôtel par exemple connaît un taux de remplissage important. Je suis en revanche inquiet pour cet hiver avec tous les défis qui s’annoncent: l’inflation, le franc fort, l’employabilité et la crise énergétique. lg
Genève attire les investisseurs
Le parc hôtelier genevois continue de s'étoffer et de s'internationaliser. Dans le nouveau quartier de l'Etang, à Vernier, trois hôtels ouvriront à la mi-janvier 2023, avec les enseignes: Intercity Hotel (3 étoiles, 270 chambres), B&B Hotel (2 étoiles, 288 chambres) et Adina Appart-Hotel (140 chambres). Initialement annoncée pour le printemps 2023, l'ouverture du Stay Kooook de SV Group est désormais prévue pour début 2024. Situé à la rue de la Servette, il apportera 84 studios à la destination. Le groupe construit également le premier Residence Innby Marriott de Suisse dans le quartier du Petit-Saconnex (100 studios). L'ouverture est prévue pour 2024. «L'offre de Serviced Apartments est encore limitée à Genève, nos deux maisons arrivent sur le marché au moment idéal», relève Beat Kuhn, directeur de SV Hotel. Une autre ouverture dont on parle beaucoup à Genève, même si l'hôtel se trouve à Founex (VD): le Yotel Geneva Lake et ses 237 chambres. L'ouverture est annoncée pour début 2023.