L’Auberge du Pont-de-Collonges, fondée par le chef Paul Bocuse, détenait depuis 1965 sans discontinuer trois étoiles au Guide Michelin. Le guide rouge va le rétrograder dans son édition 2020 apprenaît-on vendredi dernier, alors que l'ensemble du palmarès sera dévoilé le 27 janvier. L'histoire de Bocuse, dans le sillage l'an dernier de la même mésaventure subie par Marc Häberlin, Pascal Barbot et Marc Veyrat, fait réagir la presse française. Critiques et chefs donnent des avis étayés, mais contrastés. Voici notre revue de presse.
Franck Pinay Rabaroust sur le site Atabula défend les trois étoiles de Bocuse en 2020, en exprimant quelques nuances: «Aujourd’hui, la vérité est aussi simple que limpide. Il y a quelques années, le restaurant Paul Bocuse aurait mérité de perdre une, voire deux étoiles. Les inspecteurs du guide le savaient et ont longtemps noté, sur leurs essais de table, la table en deçà de ses trois étoiles. La disparition du maître des lieux et l’arrivée du «nettoyeur» Gwendal Poullennec à la tête du Michelin ouvrent une nouvelle ère dans la vie de ce restaurant: celle du doute sur la pérennité du Graal. Or il ne faudrait surtout pas que le Michelin lave plus blanc que blanc. Car le travail engagé par toutes les équipes du restaurant Paul Bocuse, et avant tout la magnifique évolution des assiettes, a remis la table séculaire dans les bons rails. Oui, en 2019, le restaurant Paul Bocuse mérite pleinement ses trois étoiles au guide Michelin.»
Le spécialiste gastronomie de France Inter, François-Régis Gaudry répondait ainsi à la question de savoir si on mangeait encore bien chez Bocuse: «Je pense que le guide Michelin n'a jamais osé lui enlever une étoile. C'était une façon, finalement, de le gratifier ou de le remercier pour l'ensemble de sa carrière, pour ses plats signature et l'énergie qu'il a insufflé dans la gastronomie française. Mais tout le monde sait qu'aller déjeuner ou dîner chez Paul Bocuse, c'est pas forcément le grand frisson que l'on attend d'une adresse trois étoiles. On y va comme un pèlerinage dans cette grande cuisine glorieuse des années 60 et 70, ces grands plats qui ont d'ailleurs marqué la cuisine française. Sa soupe Valery Giscard d’Estaing par exemple, inventée en 1975, n'a pas bougé depuis. Elle est toujours servie au gramme près selon la même recette. Donc on peut évidemment s'interroger sur la capacité d'un restaurant à se mettre en danger, à se renouveler, à mettre en place de nouveaux plats, à se lancer dans un nouvel élan gastronomique.»
Dans Libération», Bruno Verjus, le chef de La Table, 1 étoile Michelin analyse ainsi la situation: «En réalité, ça fait presque un an et demi qu’on en parle. La question qu’on peut se poser, c’est: est-ce que trois étoiles continuent de récompenser des lieux de mémoire où on fait perdurer les vieilles recettes de la cuisine française, plus que des lieux vivants ? Le restaurant de Bocuse perpétue un souvenir et il n’a pas besoin de promotion culinaire. C’est un lieu de pèlerinage. On peut s’interroger sur le système des étoiles. Peut-être que ce que le guide veut dire, c’est qu’elles sont en rapport avec la dynamique du restaurant. Sans que ça n’enlève rien à Bocuse, il est peut-être plus intéressant de redéployer, de récupérer une étoile pour la distribuer à quelqu’un qui va apporter, comme Bocuse à son époque, quelque chose à la haute cuisine française. C’est une gestion des étoiles plutôt intelligente. Les gens continueront d’y aller quand même: ce qui vaut le voyage, c’est de retrouver un lieu, une époque. C’est comme pour un vieux film: on ne va pas lui donner un césar ou un oscar alors qu’il les a déjà eus à son époque, on va le donner à des gens dynamiques, contemporains, en devenir.»
Dans «Lyon Capitale» le chef Régis Marcon, trois étoiles Michelin réagit ainsi: «Ce n'est pas Monsieur Paul qui perd sa troisième étoile, c'est toute l'Institution. Je suis forcément attristé par cette nouvelle. Quand on voit les efforts de l'équipe pour moderniser la cuisine, tout en restant fidèle à l'esprit de Bocuse, je ne peux être que déçu. ( …) Je ne ferai pas de catastrophisme, même si ça me fait beaucoup de peine. Ça va donner à l'équipe une énergie nouvelle. Moi, ce qui me motive le matin, c'est de donner le meilleur pour faire plaisir aux clients, on n'est pas obligé d'aller vers des codes. Ce qui m'apaise, car on a la pression des étoiles quand-même, c'est le travail bien fait en lui-même et la satisfaction du client. Je suis très impliqué dans la formation des jeunes: systématiquement je leur dis que les étoiles ne sont pas un gage de réussite. Pour Bocuse, ces étoiles sont importantes car derrière, il y a un groupe, une institution, une fondation, une école... Mais la meilleure réponse c'est de se dire: «Waouh! On encaisse mais on ne va pas se lamenter et on va retrouver cette troisième étoile.»»
Par ailleurs, en Suisse le guide annoncera son verdict seulement le 24 février. Pour l’instant, aucun chef trois étoiles n’a été inquiété. aca