L’inimaginable est arrivé. Dans la 42e rue et alentours, les enseignes au néon des théâtres sont éteintes. Plongés dans le noir, le Shubert, le Winter Garden, le Plymouth, le Majestic, le Marquis… Autant de scènes auxquelles reste attaché le légendaire souvenir de Fred Astaire, Judy Garland, Angela Lansbury, Yul Brynner, Bette Davis, Rex Harrison… Broadway ne danse et ne chante plus. A Londres, le West End est également en deuil. Fermés l’Adelphi, le Palladium, l’Haymarket, le Prince Edward… Le coronavirus est parvenu à faire taire tous les porte-voix de ces mélodies du bonheur.
A New York, les producteurs qui avaient mis Broadway en quarantaine le 12 mars dernier ont prolongé le «lockout» jusqu’au 7 juin, puis jusqu’au 6 septembre, jusqu’au 3 janvier 2021 et désormais jusqu’au 30 mai! Du jamais-vu. Jamais vu non plus l’annulation de toute la saison du Metropolitan Opera qui n’ouvrira ses portes que le 27 septembre de l’an prochain. Des dizaines de milliers de chanteurs, danseurs, musiciens, metteurs en scène, costumiers, décorateurs, éclairagistes, techniciens, placeurs, préposés aux vestiaires, serveurs aux bars, etc. se trouvent ainsi mis à pied. Certes, pourrait-on observer, l’industrie du spectacle souffre parce que souffre celle du tourisme. Objection! Broadway n’est pas que le bénéficiaire des spectateurs fournis par les hôtels. Ses théâtres en attirent eux-mêmes une bonne part à New York. Tout comme les grands shows du MGM ou du Caesar’s Palace à Las Vegas, les comédies musicales new-yorkaises sont un des éléments d’attraction de la grande pomme. On n’en trouve pas l’équivalent ailleurs. Selon certaines statistiques, Broadway a rapporté 1,8 milliard de dollars, l’an dernier, avec 15 millions de spectateurs. La fermeture des théâtres new-yorkais n’est pas que la conséquence de la crise du tourisme. Elle l’accroît.
C’est lorsque les spectacles d’exception sont mis en veilleuse que l’on réalise à quel point ils peuvent être un catalyseur touristique. Avignon sans le festival est une ville morte. Et Aix-en-Provence, et Vérone… Cet été, les hôtels, les restaurants et les commerces de Verbier n’ont pas fait – et de loin – le chiffre d’affaires de 2019, en raison de la réduction du festival à quelques concerts seulement. Le constat est imparable. Mais, à l’inverse, n’y aurait-il pas moyen de mieux exploiter touristiquement certains événements culturels? Un exemple parmi d’autres: au printemps prochain, le Béjart Ballet Lausanne va reprendre la Neuvième Symphonie, le chef-d’œuvre de Beethoven (et de Béjart!). Cinq représentations dans la vaste Vaudoise Arena avec une soixantaine de danseurs, un orchestre symphonique, un grand chœur et 4 chanteurs solistes. Du fait des moyens considérables qu’exige cette production, très rares sont les occasions de l’applaudir. L’année prochaine, il faudra choisir entre Lausanne et Tokyo! N’y a-t-il pas là l’opportunité d’une vaste campagne de communication touristique, avec à la clé un «package week-end» incluant nuitée, dégustation vinicole, visite du nouveau Musée vaudois des beaux-arts et/ou de la Collection de l’Art Brut, et naturellement le spectacle?
Il est rare, nous semble-t-il, que, dans notre pays, tourisme et culture chantent d’une seule voix, dansent d’un même pas. Chacun doit partir de l’idée que c’est à l’autre de faire le travail. Ensemble, les deux y trouveraient pourtant leur content.
Journaliste, écrivain, Jean Pierre Pastori est l'ancien directeur du château de Chillon et président de la Fondation Béjart Ballet Lausanne.