L’association Vino Veritas regroupe une quinzaine de vignerons valaisans qui veulent promouvoir une viticulture et des vins qui respectent le vivant, ils viennent de présenter leurs derniers millésimes, à Fully. Plusieurs approches se rencontrent entre francs-tireurs revendiqués et apôtres d’un certain classicisme. Cela permet d’appréhender des vins que l’on ne déguste pas tous les jours.
On commence par l’approche des vins directs, droits et à la franche acidité d’Olivier Pittet, à Fully, connu surtout pour avoir réintroduit en Valais la Grosse Arvine, issue d’un croisement entre la Rèze et un cépage inconnu, probablement disparu et selon l’ampélologue José Vouillamoz petite fille naturelle de l’Arvine. Sa Petite Arvine 2021, qui a fait sa deuxième macération, propose des notes de fruits exotiques et un palais vivace et ample. Alors que son vin, fait à 85% de Grosse Arvine et à 25% d’un cépage autochtone non identifié, impose une bouche herbacée et une longue acidité. Son bref passage en feuillette rajoute de la complexité. Son nectar le plus étonnant reste ce 100% Roussanne 2021, passé par deux vases dames-jeannes. Au nez, on a l’impression d’une grande maturité, les arômes de pêche et de maïs fumé, puis d’agrumes en fin de bouche envoûtent. Son Orange 2020, sur des vignes de 50 ans de Sylvaner, propose d’étonnants arômes amers, du massepain au chinotto.
Autre univers chez Ô Fâya Farm d’Ilona Thétaz qui, après son parcours de caviste chez Provins, se lance dans cette aventure de ferme atypique avec des moutons, des abricotiers et des vignes. Ilona Thétaz produit des vins nature aux étiquettes colorées et le plus souvent encapsulés, dont elle revendique le côté «funky» pour les rouges ou «hyper brut» pour une Petite Arvine, mise en bouteille depuis trois semaines. Le Pinot Gris 2021 peut laisser penser à une infusion hyper souple avec ses notes de verveine et son final en légère amertume. Le Rosé de Gamay 2021 semble agressif puis enveloppe par des notes de cerises confites et de rhubarbe. Une Dôle 2021 en grappes entières, impose un univers assez fumé et safrané. En face d’elle, Reto Müller sourit: «On ne peut pas faire des vins aussi différents que ceux d’Ilona et les miens, mais on apprécie le travail de l’autre.» En effet, lorsqu’on goûte le très classique et soyeux Païen 2021, on comprend ce qu’il veut dire: une parfaite maîtrise du cépage, avec ses effluves de pommes et de pignon de pin grillé, un Savagnin sans gras impeccablement maîtrisé. Avec son bon sens paysan, Reto Müller sait aussi s’aventurer dans des vins plus atypiques, comme ce Diolinoir 2020, non filtré et non collé, qui par ses notes exubérantes de mûres et son puissant équilibre entre acidité et amertume offre une vision tonique de ce cépage résistant.
Les dégustations d’Histoire d’Enfer, du médecin passionné de viticulture Patrick Regamey, exigent une patience et une obstination finalement bien récompensées, tant les univers proposés partent toujours vers des expressions osées, avec pourtant une profonde cohérence dans la trame de l’exécution et quelques coups de cœur. Le Pinot Noir 2018, «L’enfer de la Passion», se distingue un peu des autres Pinots Noirs parcellaires du domaine par la longueur en bouche et ce mélange d’arômes intenses penchant vers les oranges amères. Le «Calcaire absolu» 2018 propose des notes plus poivrées. Le Cornalin «L’enfer du Calcaire» 2018 propose une explosion d’arômes de framboise, alors que la Syrah 2019 «L’enfer de la Patience» propose aussi une bouche méga expressive sur le cassis avec une douce amertume au final et une structure tanique très souple. Sur les blancs, on retiendra un Chardonnay 2021 aux notes florales prononcées, avec une ampleur en bouche de pamplemousse. La Marsanne 21, sur des vignes de 80 ans, impressionne par sa balance entre la dimension épicée et la note finale lactée. Dernier nectar dégusté, qui dit son amour pour les terroirs jurassiens, un Savagnin 2016 resté sept ans en fût, les arômes de noix frappent le palais sans s’excuser, s’accompagnent d’effluves de fruits de la passion, avec un côté rutilant et démonstratif.
L’approche rigoureuse de Steve Bettschen avec ses propres productions Phusis, à Conthey, en Valais, et ses collaborations MetaPhusis font de lui une figure singulière des terroirs helvétiques. Quand on questionne un des Rookies de l'année de GaultMilllau sur sa liberté, il dit: «J’ai la chance de ne pas avoir hérité d’un domaine et de pouvoir travailler avec les gens que j’aime, comme Jean-Daniel Giauque, à La Neuveville sur le lac de Bienne, ou d’élever un vin à partir du Brez, une des plus belles parcelles de Raymond Paccot, à Féchy.» Tout comme ses bouteilles défendues par quelques sommeliers audacieux comme Mathieu Quetglas, à l’Hôtel Valrose chez Benoît Carcenat, on reconnaît Phusis et MetaPhusis à leurs étiquettes qui mélangeant une double figure géométrique et un oiseau. Intéressant de goûter ses quatre Petites Arvines, la première Sur Falaise, 2020, avec son nez de pêche blanche et une belle acidité, puis Vieille Vignes Sur Falaise, 2020, des vignes de 60 ans, 18 mois de fût dont 50% de bois neuf, une trame très souple et une forte présence d’abord de fruits à noyau puis d’agrumes, de la clémentine. Puis son Arvine MetaPhusis 2018, élevée à Chamoson, il en fait un brut nature pas dosé, avec un surprenant nez anisé, puis une bouche large de pamplemousse et de coing. Et le même vin dans son millésime 2005, élevé sur lattes sans prise de mousse, on y retrouve ses arômes de coing encore plus ardent et un étonnant final rappelant un melon mûr. On finit la visite par une vendange tardive, entre le 18 et le 19 novembre, de Pinot Gris sur schistes, 2015, sur la commune de Saillon, immédiatement mis en feuillette puis laissé à l’élevage pendant sept ans. Le vigneron recommande de boire ce nectar en fin de repas pour favoriser la discussion. Un vin très puissant et riche, à l’aromatique mentholée, maltée, fluide et élégiaque.
Guillaume Bodin, cinéaste et vigneron, présente ses toutes premiers vins à l’enseigne de Biodynamie & Cie sur 1500 mètres de vignes à Chamoson, où il produit 1300 bouteilles. Son Pinot Gris en macération, reste discret et élégant aves des arômes de pommes et de framboises. Son Pinot Noir, en bouteille depuis 16 jours, va rechercher de la fraîcheur comme en Bourgogne et garantit de nobles amertumes. Une aventure à suivre.
A Ollon, Alex Stauffer présente, depuis 2018, avec les vins de l’A une vision artisanale et ne craint pas de montrer sur son site des grappes écrasées dans la paume qu’il frotte à la poésie du vin des amants de Charles Baudelaire. Son Heida 21 fait voyager avec son côté iodé et sa présence très souple en bouche. Sa Marsanne sur trois millésimes et trois modes de vinification renoue avec les arômes d’alcool de framboise, avant d’imposer sa dimension herbacée et son amertume finale. Il présente encore une Dôle tradition, 50% Gamay, 50% Pinot, en grappes entières, une expression franche et directe pour un vin floral et léger.
Au final, Vino Veritas propose de nouvelles visions des terroirs valaisans moins centrées sur la tradition, avec de la spontanéité et parfois une once de provocation, mais pour une gastronomie plus osée, cela permet aussi d’aller rechercher des saveurs inhabituelles.