De l’opulence, de lavérité, du théâtre. Lapremière prestationgenevoise du chefMarc Veyrat lors d’un déjeuner depresse au Mandarin Orientaldonne le ton. Sa semaine gastronomiquedu 28 octobre au 2 novembredevrait ressembler à cela.Tel un parchemin vous déroulez,sur un bout de bois posé en guisede set de table, la longue liste depropositions qui va défiler pendantun spectacle de plus de troisheures. Où l’on peut passer sanstransition d’un plat de grand-mère:un tendron de veau ayant mijotédouze heures, à un galet àl’azote qui délivre la saveur de laforêt.

Cela commence par un petitpot de yaourt fermier, mais quirenferme «un foie gras virtuel àl’oxalis». Le récipient se refermeavec une hostie de myrrhe odorantequ’on peut briser doucementà la petite cuillère. Tout desuite une saveur acide envahit lespapilles. Arrive un oeuf évidemmentbiologique et élevé en pleinair avec une émulsion de maïset dans une seringue un coulisd’ache de montagne et tout celaaccompagné d’un biscuit, un petitboudoir à la farine de brisured’oeufs. Marc Veyrat assure quetout a changé, depuis qu’il travaillele lait de vache et les oeufsde sa ferme. Sa cuisine se diffuseaujourd’hui sans beurre, ni crème,qu'avec du bouillon de légumeset de l’amidon de manioc.

Des écrevisses du Léman dansun jus de fromage très rare
Autre élément paysan, de grospains ronds que l’hôte peut couperlui-même avec des couteauxOpinel. Là arrive le chef en sallearmé de son grand chapeau et deson gilet en cuir, une femme siffleentre ses dents: «Quel mariage degoûts». Il répond du tac au tac:«En parlant de mariage, on vientd’organiser un beau mariage gitanà la Maison des Bois, à Manigord,des personnes à la cultureexceptionnelle.» Vont s’enchaîneralors deux plats du lac Léman:une truite et des écrevisses dansun jus du Bleu de Termignon,fromage en voie de disparition.La truite du lac arrive dans unevaste enveloppe d’écorce d’épicéa,elle a cuit dans le bois au jusde serpolet. Alors évidemment lacuisson ne ressemble pas à celled’un poisson translucide. Le chefexplique qu’il travaille habituellementavec une merveille de petitfour à bois: «Ici, il faut une échellepour rentrer dans le four.»

Le plus beau moment de ce repasdéstabilisant reste l’improvisationtotale. Quand le chef cassele menu pour amener «un feuilletétout simple», au chénopodebon-henri, de l’épinard sauvageau goût de pamplemousse. C’estmerveilleux de simplicité. MarcVeyrat: «Je voulais de l’astringence,en voilà.» Alors que le moinsconvaincant sera une purée deratte aux truffes, chocolat noir etblanc. Mais on note aussi unmagnifique accord mets vins, une«Mondeuse» du Prieuré Saint-Christophe, 2009 de Savoie avecle tendron de veau.

On s’achemine vers le dénouementet là arrive le soda Veyrat,une boisson jaune servie dans unrécipient qui rappelle les cours dechimie et qui déborde d’azote.Mais le soda transpire les herbesde montages: la berce, le serpolet,la tanaisie.

Après la fiole magique pénètreen majesté l’«ercheu» des fromages,ce chariot de bois quipoursuit Veyrat à travers ses tableset qui présente un gigantesqueBeaufort ou une tomme debrebis crayeuse. Mais surtout unReblochon biologique d’anthologie,conçu sous le col de la Colombière,en Savoie. Enfin lesdesserts, une avalanche désordonnéede saveurs, là aussi crèmeà la fête de tonka se dispute avecdu chocolat empli de fumée desbois. L’estomac se plaint un peude ce charivari permanent, maisl’âme d’enfant, elle, en a pris pleinles mirettes. Et le chef en truculentbateleur de foire peut se frotterles pognes.

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