Les projets de centre d'interprétation du vin à l'architecture complexe se multiplient. Tout comme les celliers improbables garnis d'écrans tactiles. A l'instant où le moindre liquide devient un laboratoire de cépages, pour flatter le palais de critiques dégustant 200 nectars par jour, la Mémoire des Vins Suisses cultive sa singularité. Unique au monde, elle devient un USP envié, beaucoup plus pertinent que ces multiples concours ou labels qui partout prolifèrent.
Une idée toute simple: permettre à des vignerons suisses privilégiant la qualité de garder les vins pour eux dans un bunker secret. Et ce afin de pouvoir les goûter une fois par année dans un événement public, cela ne peut pas passer inaperçu. Cette année, un journaliste et un producteur allemand venaient en espions amicaux observer ce projet qu'ils jugent idéal dans leur pays géant du vin, orphelin de ce type de projet. Pour eux la VDP (Verband Deutscher Prädikats- und Qualitätsweingüter) qui regroupe des producteurs engagés à ne pas produire massivement sur certaines parcelles ne suffit plus. La prise de conscience de la valeur d'un vin passe par sa conservation, son évolution, ses défauts parfois. La Mémoire sait aussi conquérir de nouveaux territoires. Cette année Bâle, ville d'architecture et de culture, accueille l'événement au Rhypark avec une baie vitrée grande ouverte sur le Rhin et l'imposant bâtiment de Novartis au loin. Une ville sans grande culture de la vigne: «A Berne, à Zurich ou en Valais, on se retrouve face à un public de connaisseurs, ici on ne savait pas à quoi s'attendre et finalement se profile une nouvelle génération avec des questions inattendues sur notre travail», racontent plusieurs producteurs.
Petite faiblesse de la Mémoire elle concerne et concentre encore trop des membres producteurs et journalistes. Elle pourrait s'ouvrir davantage aux restaurateurs et aux hôteliers. Evidemment, il reste les pionniers comme le Wirtschaft Neumarkt, à Zurich ou l'Auberge de la Gare, à Lucens. On a remarqué à Bâle l'implication professionnelle et émotionnelle hors norme de la famille Wyniger, de l'Hôtel Teufelhof. Mais de nouveaux visages comme celui du Montheysan Mauro Capelli apparaissent. En goûtant le Traminer du Cru de l'Hôpital dans le Vully, il pense à y associer un jus de légumes printanier herbacé.
Une charte de la Mémoire moins stricte permettrait d'associer par exemple le Neuchâtelois Paulo Perreira Gomes de l'œnothèque du Chauffage Compris, fidèle visiteur de la Mémoire. Elargissement souhaitable à des établissements plus modestes au moment où certains craignent que la Mémoire devienne un simple outil de promotion d'une cave. En prenant le temps de flâner vendredi après-midi avec un vigneron genevois sensible et très occupé, Jean-Pierre Pellegrin, on caresse le rêve de boire un verre de vin de la Mémoire dans le buffet d'une gare suisse.