Pour son exposition inaugurale, le Musée cantonal des Beaux-Arts (MCBA) consacre les cimaises de son nouveau bâtiment, à deux pas de la gare de Lausanne, aux œuvres entrées dans sa collection par don, legs ou dépôt. De quoi prendre la mesure de la générosité des collectionneurs: de l’arbre géant de Penone, offert par la galeriste Alice Pauli, installé dans le hall d’entrée, aux sept superbes Dubuffet, donation de Mireille et James Lévy, du second étage. Le musée vaudois n’est évidemment pas seul à bénéficier des largesses des particuliers. Le Musée d’art et d’histoire de Genève n’est pas en reste avec les Van Gogh et les Monet réunis par Ernst et Lucie Schmidheiny, ainsi qu’avec les Courbet et les Cézanne acquis par Jean-Louis Prevost. Entre autres. Quant au Kunsthaus de Zurich, il est particulièrement gâté par les collectionneurs de la Goldküste, à commencer par la famille Bührle.
Mais les dons, legs et dépôts de tableaux ne sont pas les seules expressions des largesses privées. Certes, le plus grand mécène de Suisse romande reste la Loterie du même nom. Bon an mal an, elle distribue plus de 200 millions de francs à l’utilité publique (culture, santé, social, patrimoine, tourisme, sport…). Mais de nombreuses fondations dotées par des individus ou des familles jouent un rôle essentiel dans le soutien à la culture. Comment ne pas être reconnaissant au couple Antoine et Rosy Leenaards, qui a créé la fondation éponyme avec un capital d’environ 300 millions? A Hans Wilsdorf qui a légué toutes ses actions de Rolex à une fondation largement philanthropique? Sans oublier les familles Landolt (Sandoz) et Hoffmann qui se montrent d’une immense générosité.
La Suisse a le privilège de voir sa vie culturelle dopée par les contributions désintéressées des mécènes. Rien de nouveau, d’ailleurs. En 1918, la création de «L’Histoire du soldat», de Stravinski et Ramuz, au Théâtre municipal de Lausanne, a été rendue possible grâce au soutien du Zurichois Werner Reinhart. Et combien d’écrivains, de Ramuz à Roud, doivent à l’industriel, éditeur et mécène Henri-Louis Mermod non seulement d’avoir pu publier leurs œuvres, mais aussi d’en avoir tiré un revenu! Toutes ces contributions, subsidiaires aux subventions étatiques qui sont loin de suffire, expliquent l’intense vie culturelle romande. Dans ce domaine, la théorie du ruissellement chère au président Macron trouve sa pleine justification. Qu’il s’agisse de spectacles, de concerts, d’expositions, d’édition, les moyens mis à disposition par la Loterie romande, les fondations et les mécènes complètent – et parfois remplacent – le soutien communal ou cantonal. Ils permettent aux artistes d’œuvrer dans leurs registres respectifs tout en fournissant du travail à une multitude de «sous-traitants», des transporteurs aux encadreurs, des graphistes aux imprimeurs. Pour ne pas parler des restaurants et des hôtels, car l’activité culturelle constitue un aimant touristique. On venait de Suisse allemande à Avenches pour assister au festival d’opéras; on viendra de France voisine pour applaudir la Neuvième Symphonie de Beethoven (et de Maurice Béjart) en juin prochain à la nouvelle Vaudoise aréna.
Indépendamment de l’aspect économique du mécénat – à ne pas confondre avec le sponsoring –, son caractère désintéressé doit être loué. Ces dons n’appellent rien en retour. Il n’est d’ailleurs pas rare que les donateurs souhaitent rester anonymes. Parce que leur geste relève du plus pur altruisme. Mais aussi parce que pour être heureux, il est préférable de vivre caché… A peine le nom d’une mécène de notre connaissance avait-il été mentionné dans un journal en lien avec le nouveau musée cantonal vaudois qu’elle recevait un appel d’un quidam lui demandant si elle voulait bien lui offrir… un cheval!
Jean Pierre Pastori est journaliste et écrivain. Ancien directeur du Château de Chillon et président de la Fondation Béjart Ballet Lausanne.