Les midinettes aux yeux bleus ne les perdent pas de vue: les cœurs rouges, c’est addictif de 15 à 25 ans. Tout respect conservé bien sûr pour les midinettes, Instagram exerçant aussi sur moi son pouvoir de séduction. Surtout parce que c’est simple et efficace. Comme un concept publicitaire imaginé par Marie Kondo qui aurait tout jeté dans la pub pour ne garder que le strict nécessaire: une image, deux mots et un call to action: «Tag!». Il faut concéder que la plateforme, propriété de Facebook, créée en 2013 redonne un certain panache au concept ringardisé de Paris Match «le poids des mots, le choc des …».

Quelques chiffres qu’il est bon d’avoir à l’esprit pour éviter tout jugement hâtif. Instagram, c’est 1 milliard d’utilisateurs mensuels depuis juin 2018, toujours derrière Facebook... 4,2 milliards de likes par jours. 80% des utilisateurs y suivent une marque. Et à l’heure à laquelle j’écris, le hashtag hotel liste à lui seul 28 073 696 publications. La meilleure revient ce jour à @sennarelax, influenceur helvète, avec 1,1 million de fans pour une photo enneigée de Grindelwald, 4020 habitants, 1000 mètres d’altitude au pied de l’Eiger. Le village compte aussi, dixit son site, 835 vaches laitières, 1126 bœufs, 620 chèvres et 740 moutons.

Bref, on le sait, le potentiel de notoriété, d’image, de génération de trafic pour l’hôtellerie et le tourisme est majeur. L’Observatoire valaisan du tourisme qualifie en 2018 de «balbutiant l’usage des réseaux sociaux dans l’hôtellerie suisse». Pour une fois qu’une enquête suisse venait nous éclairer…

L’impact de la plateforme sur le secteur hôtelier qui a piqué ma curiosité est toutefois tout autre. Un récent séjour dans un insupportable hôtel parisien tendance m’a éclairée. Par insupportable j’entends: réception/lounge à l’étage, esprit grosse moquette et parfum d’ambiance musqué, une heure pour maîtriser la domotique de la chambre, faire taire la musique et tamiser les lumières sous les masques africains. Adapté à un week-end fiesta ou à la fashion week mais pas à un voyage professionnel où chaque seconde doit être optimisée.

Je pensais fermer la parenthèse ici sur l’éternel débat entre design et efficacité jusqu’à ce qu’un énorme cœur en néon rouge, mi-lumière, mi-sculpture, trônant dans le hall d’entrée infléchisse radicalement le cours de mes réflexions. Et me voilà sans y prendre garde, de bon matin, pratiquant le selfie sur fond de cœur et de #good morning Paris.

En un instant sont remis aux oubliettes les panneaux, pancartes, enseignes de tout genre supportés par des équipes trop souriantes. «Moët Moments» ou «Wellness Day» surfant sur la toile comme autant de mouvements publicitaires éphémères. Créer le moment instagramable de l’établissement devient un enjeu majeur du design hôtelier et le gage d’un marketing expérientiel avec effet boule de neige.

Effets spéciaux, lumière LED, néons, peintures murales, pièces d’art, messages philosophiques (love is love is love…) qui ponctuent les espaces sont désormais réfléchis pour générer un maximum d’interactions sur les réseaux sociaux. Le canard surdimensionné s’installe donc comme l’icône du SLS Hotel à South Beach Miami, la peinture murale de Michael Turchin comme celle du Mondrian, les bouées roses comme la signature du Wi-Ki-Woo Hotel à Ibiza. On évite le brun et le beige, et on favorise le rose et le vert menthe fraîche, c’est plus Instagram. On trouve cette tendance trop cool et on note la revue sur TripAdvisor du Cow Hollow Hotel à Manchester: «designed for Instagram, not for sleep.»


Anouck Weiss est vice-présidente Communication de Sommet Education Group et spécialiste en marketing hôtelier.