Pour voyager sans quitter ses terres et assouvir sa curiosité, sa grand-mère avait ouvert une maison d’hôte dans le couvent Klostergut Paradies, à Schlatt dans le canton de Schaffhouse. Elle y accueillit même Churchill. «Enfant, les couloirs me paraissaient immenses! Il y flottait une odeur de thé noir qui m’a profondément marquée. Ma grand-mère faisait tout à la main. Elle me racontait la provenance de ses hôtes avec qui elle gardait contact avec des cartes postales. Cela me fascinait.» C’est de ses souvenirs d’enfant qu’Anna Neil-Raduner a puisé l’envie d’ouvrir un jour son établissement. Depuis 2012, elle exploite avec son compagnon architecte, Francis Rulence, Le Coq Chantant, dans le charmant village viticole de St-Livres (VD). Un havre paisible de quatre chambres qui balance entre la maison d’hôte haut de gamme et le boutique hôtel classifié Swisslodge.
Pour tous les deux, l’aventure hôtelière rime avec seconde carrière. Anna Neil-Raduner, physiothérapeute devenue thérapeute, continue d’exercer à Bâle et se consacre à l’accueil de ses hôtes en deuxième partie de semaine. «L’hôtellerie est une autre façon de côtoyer des gens: le contact humain sans le but thérapeutique.» Le bien-être se situe cependant au cœur de la démarche. «Nous voulions un lieu qui satisfasse les cinq sens.» Du jardin au choix du mobilier, les propriétaires accordent beaucoup de soin aux matériaux. Ils chinent à la recherche du mobilier rare, original ou réalisé sur mesure. De la porte d’entrée en mélèze ancien venu du Tyrol du Sud aux abat-jour en caoutchouc coloré d’un designer suédois, en passant par l’armoire peinte de 1793 et le poêle en fer forgé. «Tous les objets ont une histoire», assure Anna Neil-Raduner. Elle aime raconter celle des têtes de lit en bois d’arole d’Engadine. «Un matériau connu pour offrir des rêves magnifiques...»
Recours à une étudiante de l'EHL et à un hôtelier expérimenté
Après avoir racheté la bâtisse qui abritait l’ancienne «Croix fédérale» ainsi que la ferme attenante qui deviendra leur domicile, le couple s’attèle au projet de maison d’hôte. L’ancien bâtiment est rasé et refait à neuf en gardant les mêmes proportions. La priorité est donnée à de beaux espaces, de beaux volumes. «J’ai par endroits dû m’adapter au mobilier qu’avait choisi Anna, notamment pour quelques fenêtres... », relève Francis Rulence. Il s’occupe de l’enveloppe, conforme aux standards Minergie, elle d’en faire un intérieur douillet en privilégiant les tons naturels. L’extérieur est confié à un architecte paysagiste. «Le jardin était mort énergétiquement. En le voyant, je me suis dit: ici, il faut créer. Nous ne voulions pas d’un jardin à la française, mais de quelque chose de sensuel, qui ouvre le cœur», raconte Anna Neil-Raduner.
Une fois le nid bâti, la difficulté consistait à le faire connaître. Jamais à court d’idées et de contacts, Anna Neil-Raduner fait appel à une étudiante de l’Ecole hôtelière de Lausanne qui consacre à l'établissement son Student Business Project. Elle recourt ausi au réseau d’experts Adlatus qui la met en contact avec une figure de l'hôtellerie de la Riviera, Bernard Tschopp. Il aide le couple à professionnaliser leur marketing. Leurs chambres atteignant les 40 m² et étant dotées de kitchenettes, il leur propose de les nommer «junior suites» et d’approfondir le côté thématique. Faisant écho au Coq Chantant, elles s’appellent Gréco, Brel, Gainsbourg et Piaf, des grands noms de la chanson française que l’hôte peut écouter en chambre ou découvrir en feuilletant des ouvrages à leur sujet. Leur coach les invite aussi à valoriser leur engagement en faveur de l’environnement, tout comme leur histoire personnelle. Sur Facebook, ils racontent que Le Coq Chantant fait écho à l’auberge que tenaient les grands-parents de Francis Rulence dans le Pas de Calais, avant qu’une bombe ne la détruise durant la deuxième guerre mondiale.
Le couple s’émerveille à l’idée de recevoir des hôtes du monde entier. Mais reconnaît la difficulté du métier d’hôtelier. Le Coq Chantant atteint un taux d’occupation annuel de 50% et de 75 à 80% l'été. Une clientèle autant loisirs que business, à 45% helvétique. Pour étoffer sa fréquentation, Anna Neil-Raduner envisage de développer ses workshops bien-être, tels que cours de cuisine ou yoga. Elle confie avoir accueilli récemment des personnes «avec de hautes fonctions, qui ont apprécié la discrétion du lieu». Petite fierté de la propriétaire qui s’en va chercher le Livre d’or de l’établissement. Il contient la trace de ses hôtes ravis, comme le prolongement de la collection de cartes postales de la grand-maman de Schaffhouse.