Ils se présentent ainsi: «Jeunes, sauvages, libérés, créant des vins pour eux et pour vous.» Devant un parterre de professionnels du vin habitué à des formes de dégustation plus techniques et formelles, les jeunes vignerons de Suisse réunis en association viennent de se dévoiler sur scène et en quatre actes théâtraux. Mais écrits à partir de leurs émotions, de leurs réalités ou dit par eux: «Nos rêves, nos visions, nos pistes sur le cycle de la vie.» Sous l’impulsion scénaristique de leur nouvelle présidente la Biennoise Anne-Claire Schott et de l'œnologue Helena Hebing, des phrases recueillies auprès des 28 membres, tout cela accompagné d’un élégant cahier de dégustation plus proche d’un catalogue d’exposition que des habituels formulaires liés à l’étude sensorielle du vin. Autant de légères secousses dans le monde du vin suisse dominé par leurs aînés. «Nous sommes parfaitement formés, avons moins de 40 ans et partageons nos connaissances et notre expérience les uns avec les autres. Nous ne sommes pas un label de qualité, mais prônons la diversité et l'altérité», disent-ils. Rentrons dans le vif du sujet et efforçons-nous comme dégustateurs à rafraîchir nos notes, sortir des sentiers battus, prendre des risques.

Acte I 
«Quelques rêves enfantins. Ils peuvent être naïfs, ils inspirent», exprimés par les jeunes vignerons: «Si je pouvais faire de la magie, je transformerais toute l'agriculture en agriculture biodynamique»; «ce que j’apprends des enfants? La spontanéité, la simplicité. Ils ne se soucient pas de ce que pensent les autres»; «si je pouvais exercer la magie, je changerais les lois du marché. J’arrêterais la compétition totale. Et je me fabriquerais du temps».

Vin coup de cœur: Keramos, Kerling et Sauvignon Blanc, 2019 Ueli Kilchsperberger, AOC Zurich, fûts en céramique avec baies entières, 28 francs 
L’enfance consiste peut-être à planquer son acidité démiurgique derrière un parfum mutin de fleur blanche, de se la jouer infiniment discret alors qu’on bouillonne intérieurement. Ce vin insolite, agile et pas hâbleur pour un sou rappelle pourtant certaines fragilités, comme mon impossible apprentissage du violon qui me laisse des traces au bout des doigts. A l’inverse, le Sauvignon Blanc 2020 de Robin Haug, dans la même AOC, offrait une approche très démonstrative et bagarreuse en bouche qui cor-
respondra à d’autres enfances que la mienne.

Acte II 
«Des convictions qui brûlent en eux à leur endroit préféré», disent-ils à travers des moyens électroniques. «La vie est trop courte pour boire de mauvais vins»; «je suis territoiriste»; «la tradition manuelle et les idées créatives donnent de la person-
nalité au vin»; «louée sois-tu notre mère la terre qui nous gouverne et produit des fruits avec des fleurs».

Vin coup de cœur: Petite Arvine Saillon, 2018 Nicolas 
Cheseaux, AOC Valais Grand Cru, en cuves sur lies, 26 francs

Une Arvine à la couleur cuivrée pour donner un autre refrain à un cépage devenu emblématique du Valais. Un vigneron qui revendique la tradition dans un petit village remporte la palme de la rébellion. Avec un nez animal, puis d’intenses arômes de pêches blanches et ce final salin intact, il pousse les Arvines traditionnelles ailleurs avec son air de ne pas y toucher et sa belle écoute de ceux qui osent encore plus que lui. Un rebelle qui ne fait pas de bruit. Toute autre approche de semeur de troubles chez Thomas Lampert, dans les Grisons, avec un Chardonnay 2019 riche aux parfums de kaki, excessif en tout, même en bois, mais qui dérange le palais bien comme il faut.

Acte III 
«On arrive en plein milieu de la vie. C’est le moment de se demander pourquoi on se lève chaque matin entre motivation et peurs», voilà ce que laissent infuser les encaveurs. «Pour déjeuner avec ma famille»; «pour la richesse de mon quotidien»; «de passer à côté de l’essentiel»; «la standardisation de la pensée des gens».

Vin coup de cœur: aime terre Pinot Noir sans sulfite ajouté, 2018 Etienne Javet, AOC Vully, 12 mois en fûts, 40 francs 
Des arômes de myrtilles, des tanins très souples, une fraîcheur immédiate puis une pointe de balsamique au final. Un Pinot équilibré et mature mais qui ne cache pas ses envies d’échappées belles. Une admiration pour les grands nectars parsemés de riffs de guitares puissants. Le Pinot Gris Orange 2019 d’Anne-Claire Schott prend la parole franchement puis offre un bouquet de fleurs pour interroger les vinifications du passé revues à l’avenir.

Acte IV 
«Nous plongeons dans les jours plus calmes de nos vignerons. Ces sont les jours de réflexion», confessent-ils. «Le travail quotidien avec le vin, la vigne, les familles; les clients ouvrent des perspectives parfois invisibles.» «Les évènements climatiques sont violents»; «on refait connaissance avec chaque vendange»; «on veut être pour la nature».

Vin coup de cœur: Cabernet Franc, 2018 Christian Steimer, AOC Aarau, 12 mois en barriques vieillies, 31 francs 
Un vin qui enveloppe, qui tourne autour des pensées avec sa structure souple et ses arômes affirmés de pignons de pin toastés, de réglisse et une pulsion finale de framboise. On pourrait le laisser infuser au centre de «Il pleut en amour» de Richard Brautigan. Oser un cépage pas si fréquent en Suisse et savoir raison garder sur sa puissance. Le Merlot Monta-
gna Magica 2018, lui, nous emmène dans une dimension pâtissière avec de douces effluves de rhubarbe.

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