Marc-Olivier Wahler, vous dirigez le Musée d’art et d’histoire de Genève. Et vous proposez le 30 mars en ce temps de crise une conférence baptisée «Quel musée pour demain?» Je vous pose aussi la question…
J’ai repris en 2019 la direction du MAH et le projet de rénovation, d’extension et de réflexion de ce musée genevois à dimension internationale. Le Conseil international des musées a dernièrement essayé de changer la définition du musée pour en finir avec l’image de temple du savoir. Mais ses efforts se sont heurtés à l’impossibilité d’une définition consensuelle. Nous devons apprendre à aborder les objets avec des perspectives multiples et non subir les discours perpétués par des générations de disciples. Les dix prochaines années vont être cruciales pour casser ces visions.
Comme celles très critiquées du musée du quai Branly en 2006 avec un manque de mise en discours des objets…
Une tendance à tout esthétiser… On a fonctionné pendant presqu’un siècle avec des idées très précises sur l’emplacement de la billetterie, de la boutique, du restaurant. Il faut réussir à remettre tous les standards à zéro.
Vous avez un exemple concret?
Pendant la rénovation de notre bâtiment, on va utiliser le musée Rath comme un laboratoire dédié aux visites en réalité augmentée et à des expériences virtuelles. On pourra aborder des expériences de musées comme dispositif organique en collaboration avec des instituts de physique, de biologie.
Vous voulez entrer en rupture avec l’image poussiéreuse du musée pour proposer des récits partageables. Expliquez-nous...
Le musée ne doit pas être une autorité qui définit un scénario. Il faut casser ce côté intimidant pour devenir un moteur de ressources, une sorte de logiciel en open source. On peut s'inspirer de certaines œuvres d'art qui multiplient les arcs narratifs comme des expérience des visiteurs et des conservateurs. J’aime quand Marcel Duchamp dit que les regardeurs font les œuvres.
Mais le nom de Marcel Duchamp peut faire peur à certains…
Je pense que l’on peut remettre tout cela sur un plan scientifique et universitaire. J’ai toujours affirmé que l’on pouvait skater, draguer et manger dans un musée et dans un même temps proposer des expositions radicales, sans concession, mais où le grand public se sent accueilli. On peut rester populaire sans véhiculer un discours lénifiant.
Votre exposition actuelle «Marcher sur l’eau» au MAH va dans ce sens…
Oui, on montre les tensions et les liens entre une œuvre majeure de Konrad Witz de 1444 où le Christ marche sur l’eau dans la rade de Genève et «Smoke on the Water» de Deep Purple où le groupe de rock décrit le casino de Montreux qui prend feu sous ses yeux.
Et vous montrez ainsi que l’on peut attirer le grand public autrement…
Oui, on cartonne avec plusieurs milliers de visiteurs le week-end, tout en étant fier de notre collection. En arrivant ici, j’ai voulu arrêter les expositions blockbuster, car Genève ne réunit pas les conditions muséales nécessaires pour les accueillir. D’un point de vue économique et écologique, je trouve aberrant de faire venir par avion des centaines d’œuvres d’art et de fabriquer des forêts de cimaises.
Comment percevez-vous le monde du tourisme?
Il m’intéresse par sa narration. Quand je dirigeais le Swiss Institute à New York, je me suis rendu compte que Swiss était un adjectif: le Swiss Institute aurait très bien pu être un Beauty Institute. Cet adjectif, c’est une sorte de label qualité qui fait rêver. Un énorme cliché. J’ai organisé un concours de yodle, et le vainqueur gagnait une semaine d’exposition au Swiss Institute… La promotion touristique suisse pourrait bonifier son image avec humour, en ne se prenant pas trop au sérieux.
Parcours
De Neuchâtel
à New York
Marc-Olivier Wahler dirige le Musée d'art et d'histoire de Genève (MAH) depuis novembre 2019. Ce conservateur de musée et curateur de près de 400 expositions internationales a cofondé le Centre d’art Neuchâtel (CAN) en 1995, puis dirigé le Swiss Institute de New York de 2000 à 2006. Entre 2006 et 2012, il initie et conduit la rénovation et la restructuration du palais de Tokyo à Paris. aca