C'est l'hiver ou quoi?
Jeudi 15 juin à 15h30, en salle plénière, le thème de la table ronde «C’est l’hiver ou quoi?» portera sur l’avenir du tourisme alpin face au changement climatique. Avec Reto Knutti (EPF Zurich), Norbert Patt (CEO TITLIS Bergbahnen) et Laurent Vanat.
Le htr hotelrevue a interviewé Laurent Vanat en amont de l'Hospitality Summit.
Laurent Vanat, le réchauffement climatique bouleverse les écosystèmes. Etes-vous inquiet pour l’avenir du ski alpin en Suisse?
Sans nullement relativiser les effets du réchauffement climatique dans nos montagnes, je pense que les principales stations de ski suisses seront dans les vingt prochaines années relativement épargnées du manque d’enneigement. D’un point de vue purement statistique, on peut fermer 50% des stations de ski suisses, on aura toujours 95% de la fréquentation globale des skieurs dans notre pays. Il y a en Suisse une centaine de stations de ski qui ne comptent qu’à la marge pour l’économie touristique.
Le modèle économique du tourisme alpin d’hiver sera selon vous valable à l’horizon 2040?
Oui, même s’il est très difficile de faire des prévisions à cette échelle, je pense que cela fait du sens pour les grandes stations de ski suisses d’investir dans les remontées mécaniques.
Pourriez-vous définir ce qu’on appelle la durabilité du tourisme alpin?
C’est une bonne question. Une grande partie des émissions carbone du tourisme est liée à la mobilité des touristes eux-mêmes. Au niveau des émissions des stations, on se focalise sur les remontées mécaniques et l’exploitation du ski. La principale source de pollution sur les pistes sont les dameuses, mais on fait déjà des efforts en changeant les carburants qui réduisent de 80 à 90% les émissions de CO₂. Le chauffage des bâtiments est un grand poste d’émissions carbone, mais celui-ci concerne tout le monde. Si l’on arrivait à réduire les émissions de CO₂ liées au chauffage dans les stations de ski et à orienter la mobilité des clients vers le train, on aurait un bilan carbone du tourisme d’hiver assez satisfaisant.
Les études montrent en effet que plus de 50% de l’impact carbone en montagne provient du trafic automobile. Ne faudrait-il pas privilégier massivement les transports publics?
En effet, nous avons de la chance en Suisse: sur les 20 plus grandes stations de ski, 16 sont accessibles en train. Soit la gare est située directement dans la station, soit les remontées mécaniques relient la gare à la station de ski. Malheureusement, le train est très peu utilisé. Je dirais presque qu’il est scandaleux de disposer d’infrastructures si bonnes et de les utiliser si peu. Une station comme Verbier propose certes des forfaits incluant un trajet direct en train reliant Genève Aéroport et Le Châble, mais on pourrait faire beaucoup plus. On a un problème de mentalité des touristes, suisses ou étrangers. Et bien sûr un problème de coût et de logistique: pour une famille de 4 personnes, prendre le train est plus cher et plus compliqué que de prendre la voiture.
Les ascenseurs valléens pour décarboner la montagne, est-ce encore un sujet de réflexion?
C’est une approche qui hélas a souvent été enterrée. On parle actuellement de débloquer 9,5 milliards de francs pour construire une troisième voie sur des tronçons de l'autoroute A1, alors qu’on a tous les éléments matériels pour dire que la mobilité individuelle n’est pas pérenne. A côté de cela, quelques centaines de millions de francs permettraient de connecter la plupart des villages valaisans en montagne aux vallées, sans émettre de carbone. Mais c’est une utopie, pour des raisons inexplicables. Heureusement que certains de ces projets ont vu le jour il y a une cinquante d’années, les gens étaient plus visionnaires qu’aujourd’hui. Il suffit de penser à la région d'Aletsch, avec connexion télécabine-téléphérique de Riederalp, Bettmeralp et Fiesch, Crans-Montana avec le funiculaire ou encore Mürren avec 2 téléphériques.
On parle beaucoup de durabilité, mais les changements sont très lents.
C’est assez paradoxal, d'autant que construire un ascenseur valléen ne laisserait pas de grande empreinte CO₂. Il suffit de trouver quelques endroits pour planter les pylônes, la technologie des remontées mécaniques est aujourd'hui super performante. Il faut oser sortir du cadre.
Que faire de l'aspect paysager?
On n’est pas choqué par le viaduc construit au-dessus du château de Chillon, qui me semble beaucoup plus problématique du point de vue paysager que d'installer des télécabines ou des téléphériques.
Nos politiques et nos administrations manquent-elles de courage?
On est devenu très timoré. Les gens qui ont réalisé les grands projets suisses il y a un siècle dans les Alpes, comme le Jungfraujoch ou même les Rochers-de-Naye, seraient qualifiés aujourd’hui de complètement fous. Le gouvernement valaisan pourrait très bien investir 500 millions ou même 1 milliard de francs pour raccorder les villages d’une certaine taille à des gares de plaine grâce à des remontées mécaniques. Comparées aux 9,5 milliards budgétés pour un bout d'autoroute, ces sommes représentent un investissement qui me semble beaucoup plus durable. Ce ne serait pas difficile de le mettre en œuvre, mais on ne fait rien. Cela me laisse très dubitatif.
A quoi pourrait ressembler le tourisme alpin dans une quinzaine d’années?
Je vois, malgré tout, la poursuite du ski en hiver et davantage de tourisme en été. Certaines stations parviendront peut-être à doubler leur fréquentation estivale d’ici à 2040, avec environ 40% du volume des clients en été et 60% en hiver. Le ski n’est pas mort en Suisse. Mais parallèlement, on observera une augmentation de l’attractivité de la montagne en été, car il y a un besoin de fraîcheur avec le réchauffement climatique. Pour le moment, cet atout important de la montagne en été ne se traduit pas encore de façon significative sur le plan économique.
On n’a pas encore trouvé le moyen d’amener les jeunes générations urbaines à l’apprentissage du ski...
Effectivement, surtout que cette génération voit aussi le ski comme une activité non-durable. Mais on a tellement fait de ski-bashing que cette réaction n'est pas étonnante. Alors que c'est un sport merveilleux et qu'il a été un extraordinaire créateur de richesses pour les régions. Mais son potentiel n'est pas épuisé et sur le plan touristique, il y a encore beaucoup à faire pour améliorer la qualité de l’expérience-client, surtout pour les débutants.
La crise du Covid a-t-elle changé la donne pour le tourisme estival?
Le Covid a incité les gens à regarder de nouveau dans leur pays, ce qui est sans doute bénéfique. On voit qu'on s’interroge un peu plus qu’avant sur l’opportunité de partir loin à cette époque de l'année. Il faut espérer que cette tendance s’inscrira dans la durée.
Portrait
Economiste de l'industrie du ski
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Laurent Vanat, né en 1961 à Genève, est consultant indépendant spécialisé en gestion d'entreprise. Expert international de l’économie des stations de ski, il publie chaque année, depuis 2005, un rapport annuel sur l’économie du ski en Suisse, et depuis 2009 pour son rapport international. Aujourd'hui, le rapport international sur le tourisme de neige et de montagne est reconnu dans le monde entier comme la référence pour les chiffres de l'industrie du ski.