Ces dernières années, plusieurs caves emblématiques de la Mémoire des Vins Suisses changent de visages. Les enfants reprennent les rênes du domaine familial. Récemment à Lugano, lors de la dégustation du trésor de la Mémoire, nous leur avons demandé ce que ces vieux millésimes vinifiés avant eux leur racontaient.
«Un guide des bonnes pratiques»
[IMG 4]Henry Grosjean du Château d’Auvernier, à Neuchâtel, va reprendre officiellement le 23 mai la succession de son papa Thierry Grosjean et la destinée d’un patrimoine de plus de 400 ans. Il décrit ainsi son rapport aux Chardonnays, puis aux Pinots Noirs parcellaires à la trame très droite et aux tanins souples, depuis 2016, conservés dans un bunker secret par la Mémoire: «Je considère cela comme un sacré bagage, un guide des bonnes pratiques qui permet de continuer à travailler avec bonheur sur des bases rigoureuses.» Au Château, il dispose d’un espace pour isoler des bouteilles de valeur depuis 2014.
«Vérifier le potentiel de nos parcelles»
[IMG 2]Elodie Kuntzer, qui a succédé à son père Jean-Pierre au domaine Saint-Sébaste, à Saint-Blaise, et qui présente un Chasselas vieille vigne à l’entrée en bouche délicate et au joli final acide, estime que de déguster d’anciens flacons permet «de vérifier le potentiel de chacune de nos parcelles et de les réévaluer. En sortant de Changins, on ne connaît pas bien le vieillissement de nos propres vins. Donc en les faisant et en les redégustant après, on apprend beaucoup. Avec ma famille, nous louons une cave depuis 2006, d’abord pour conserver nos Chardonnays, puis tous nos vins, cela nous permet d’organiser des verticales instructives».
«Déguster les vins des collègues»
Quand Catherine Cruchon, qui vinifie les rouges au domaine Henry Cruchon depuis 2012, goûte d’anciens millésimes, elle remarque surtout une continuité: «Je ne vois pas de grands bouleversements. Je peux m’appuyer sur l’expérience et la pratique de mon père Raoul pour perpétuer un esprit.» Le Raissennaz Grand Cru de la famille Cruchon frappe par sa constante légèreté et son côté floral en bouche. Elle regrette de ne pas assez déguster ses propres vins lors de verticales. Mais Catherine Cruchon confesse que les dégustations des vins vieillis des autres producteurs de la Mémoire lui permettent de découvrir d’autres univers qui peuvent l’influencer dans un deuxième temps: «Avoir la chance de goûter des Petites Arvines aux styles très différents ou des Pinots Noirs de terroirs diversifiés sur le même millésime ouvre les horizons.»
«Suivre une ligne et pas les modes»
[IMG 3]Alexandre Perrochet de la Maison Carrée, qui reprend progressivement le domaine aux côtés de ses parents Jean-Denis et Christine Perrochet et qui présente un Pinot Noir délicat poivré et lent en bouche, éprouve «un véritable sentiment de reconnaissance» en goûtant les vins historiques de la maison: «J’ai envie de continuer cette ligne, suivre ces goûts qui aujourd’hui encore me procurent du plaisir et pas vouloir à tout prix suivre les modes, les trucs du moment.»
«Des marathoniens du vieillissement»
[IMG 5]Basile Monachon, qui travaille aux côtés de son papa Pierre, se réjouit du travail entrepris depuis longtemps au domaine pour conserver de vieux millésimes, Sur 2015, par exemple, le domaine dispose de 300 bouteilles «dans un espace pour nous vital que nous considérons comme la bibliothèque de la cave». Il se réjouit de pouvoir inviter des sommeliers et de déguster 60 bouteilles en une seule fois. A Lavaux, peut-être plus qu’ailleurs en Suisse, les vignerons conservent leurs nectars prudemment, notamment à travers la Baronnie du Dézaley, à travers l’influence d’un autre vigneron emblématique de la Mémoire, Louis-Philippe Bovard et sa Médinette de garde. Pour Basile Monachon, qui élabore des vins à la minéralité élégiaque à n’en pas douter, les Chasselas restent «des marathoniens du vieillissement». Le domaine organise une fois par an un banquet autour de ses vieux millésimes.
L’ensemble de ces jeunes producteurs peut se baser sur le travail solide de leurs aînés et améliorer encore la qualité de leurs vins, par un travail d’orfèvre sur les parcelles ou par une amélioration de certaines techniques de vinification. L’évolution générale vers une viticulture plus biologique permet aussi de remarquer une certaine ouverture des vins à la dégustation. La Mémoire des Vins Suisses, projet unique au monde, au niveau national, permet à l’ensemble de ses soixante membres vignerons, sur les six appellations du pays, d’acquérir une connaissance unique en termes de vins de garde et de leur complexité. Les cartes de restaurants devraient suivre ce mouvement.
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