Directeur de l’Ecole professionnelle de Montreux (EPM), Jacques-Frédéric Siegler tient à parler des métiers de bouche «qui sont des métiers de plaisir, ouvrent des portes, permettent de voyager et restent bien ancrés dans la vie». Avec les étudiants de son école, il partage son exemple parti d’un CFC de cuisinier puis d'un diplôme d'études supérieures en restauration de l'Ecole hôtelière de Lausanne, décrit ses diverses expériences dans l’hôtellerie, la restauration collective et les hôpitaux, avant de devenir directeur d’école.
Mais comme d’autres écoles en Suisse romande, l’EPM constate une perte de vitesse de l’intérêt pour les métiers de bouche. Il y a dix ans, pour un CFC d’une durée de trois ans, les effectifs étaient de 871 personnes par année contre 755 aujourd’hui. Alors que les AFP sur deux ans et avec des objectifs scolaires moins élevés augmentent un peu, de 82 à 101 personnes. Pour le directeur de l’école, on peut imputer cela à la pénibilité du métier, mais aussi au modèle de formation. «Avec d’un côté une réduction de la vie sociale, des horaires irréguliers, un environnement assez contraignant. Mais aussi des règles et une hiérarchie symbolisées par l’expression ‹oui, chef!›»
Il propose des pistes de réflexion. Il pense que le modèle de formation duale pourrait évoluer avec une zone tampon. Avec, au début de l’apprentissage, trois à six mois d’école à plein-temps, pour permettre aux jeunes de s’habituer «aux règles d’hygiène et de sécurité, au langage d’une brigade avant d’intégrer son entreprise. Lui amener les codes du métier». Une manière de ne pas se retrouver perdu. «L’apprenti saura ce qu’on appelle un rondeau, un congélateur, une chambre à choc thermique...» Quant aux entreprises, après la crise du Covid, elles peuvent aussi réfléchir à repenser leur organisation de travail, les horaires coupés, notamment en fonctionnant éventuellement avec deux équipes, et pourraient aussi proposer en première année de formation sept semaines de vacances, puis diminuer, contre quatre ou cinq aujourd’hui.
De nombreux partenaires
Pour Jacques-Frédéric Siegler, si la question du tassement des formations se pose surtout en Suisse romande, il constate aussi qu’un grand nombre de chefs de cuisine et d’employés proviennent d’autres pays et qu'ils ne connaissent pas vraiment le système de formation duale en Suisse. Avec ses collègues, il réfléchit à comment faire évoluer la fonction du commissaire d’apprentissage, garant de la qualité de la pratique en entreprise, comment continuer la surveillance et aller plus vers un accompagnement des formateurs, qui permettrait un suivi des cours plus intensif. Il reconnaît que des coups de mains pourraient être donnés au niveau administratif, même si tous les contrats se trouvent en ligne. Il relève aussi que la formation dépend de nombreux partenaires comme les associations professionnelles telles que GastroSuisse ou HotellerieSuisse ou la direction générale de l’enseignement du canton de Vaud. «On pourrait simplifier, pourquoi ne pas imaginer un guichet unique», suggère-t-il.
Concernant les apprentissages en hôtellerie, communication hôtelière et restauration, HotellerieSuisse propose déjà plusieurs services pour les entreprises qui envoient leurs apprentis dans leurs hôtels-écoles: comme une permanence téléphonique, des pages dédiées sur son site web, des visites en entreprises ou encore des rencontres et cours de formation pour formateurs d’apprentis. «Nous voulons étendre cette offre à tous les membres et développer de nouveaux services. Par exemple, l’association est en train de lancer une plateforme de réseautage dédiée aux formateurs en entreprise», précise Jérôme Bühlmann, responsable des produits de formation chez HotellerieSuisse.
«Trop de contraintes»
A l’instar d’autres chefs étoilés, Philippe Chevrier, lui-même passé par un apprentissage au Beau-Rivage à Genève, ne forme plus d’apprentis: «A mon époque, on devait voler le métier, on s’intéressait à tout, on revenait après l’école pour effectuer le service du soir. Aujourd’hui, on nous met trop de contraintes dans la formation, on nous demande de les cajoler et au final, leur formation n’est pas en adéquation avec notre métier de passion qui demande des sacrifices.» Il continue à prendre des stagiaires, des élèves d’écoles hôtelières qui eux restent six mois au service ou en cuisine. Jacques-Frédéric Siegler relève que l’Hôtel de Ville de Crissier forme actuellement un apprenti. Philippe Chevrier souligne le bon niveau global de la formation en Suisse. Ses six restaurants lui permettent de continuer à proposer des débouchés à ses employés.
Attirer le personnel qualifié
La recherche de personnel qualifié dans la branche de l'hôtellerie et de la gastronomie s'est beaucoup aggravée durant la pandémie. Dans une série d'articles, htr hotel revue éclaire cette thématique actuelle, suggère des perspectives différentes et esquisse un certain nombre de solutions envisagées.