Antoine Hubert, la société Aevis Victoria est active autant dans la santé que l’hôtellerie. Qu’ont en commun ces deux secteurs?
Les deux domaines se ressemblent sur beaucoup de points. Seuls la réglementation et les flux financiers diffèrent. Dans l’hôtellerie, vous êtes maître de vos clients. Ils vous paient si vous offrez le meilleur service. Vous pouvez augmenter vos prix, il y a un vrai marché. Contrairement à la santé où les tarifs sont fixes et les clients sont ceux des assurances. La qualité n’est pas récompensée. Au niveau opérationnel, les clients sont les mêmes, seul le motif de séjour change. L’ambition d’Aevis Victoria est d’offrir à notre communauté le plus de services à la personne, «d’investir pour une vie meilleure», dit notre slogan.
Profitez-vous de synergies entre vos deux pôles, santé et hôtellerie?
MRH Switzerland, notre filiale hôtelière, et Swiss Medical Network sont deux entreprises bien distinctes, que ce soit au niveau de la comptabilité, du management ou du chiffre d’affaires. Il n’y a pas de subventionnements croisés. Chaque entité doit fonctionner et s’autofinancer. Nous réalisons peu de synergies au niveau opérationnel finalement, un peu au niveau de la clientèle et peut-être de l’achat groupé de produits d’hôtellerie, d’énergie...
Aevis Victoria en chiffres
11 hôtels
Aevis gère sous la marque «Michel Reybier Hospitality» dix hôtels de luxe en Suisse et un à Londres, soit 1170 chambres. Parmi eux, des adresses mythiques: le Bellevue Palace à Berne, le Victoria-Jungfrau à Interlaken, la Réserve Eden au Lac à Zurich, les hôtels Schweizerhof, Mont Cervin Palace, Monte Rosa et Petit Cervin, à Zermatt, le Crans-Ambassador à Crans-Montana, l'Hotel Adula à Flims et l'AlpenGold à Davos et L'Oscar, à Londres.
170,5 millions
Chiffre d’affaires réalisé en 2023 par MRH Switzerland SA, filiale hôtelière du groupe. Meilleur résultat enregistré, en hausse de 10,3 pour cent.
21 cliniques privées
Portefeuille de Swiss Medical Network, le pôle santé d’Aevis. Aux cliniques s’ajoutent 60 centres médicaux et la marque de better-aging Nescens. Chiffre d’affaires en 2023: 768,7 millions de francs.
57 immeubles
Portefeuille immobilier (infrastructures hôtelières et hospitalières), porté par les sociétés Swiss Hotel Properties et Infracore.
953 millions
Chiffre d’affaires consolidé d’Aevis en 2023 (pôles santé, hôtellerie et immobilier).
Vous venez initialement du domaine de la santé. Pourquoi cet intérêt pour l’hôtellerie, initié en 2014 avec le rachat de la Victoria-Jungfrau Collection (VJC)?
Je me suis associé à l’entrepreneur français Michel Reybier en 2011 pour faire une OPA sur la société Aevis afin d’en devenir les actionnaires majoritaires. Nous détenons aujourd’hui ensemble 76% du capital d’Aevis Victoria. Michel Reybier est actif dans l’hôtellerie depuis les années 2000. Sitôt qu’une opportunité s’est présentée dans ce domaine, nous nous sommes naturellement posé la question si cela pouvait nous intéresser. La présence de Michel Reybier et ses compétences dans l’hôtellerie nous ont poussé dans cette direction.
L’an dernier, votre pôle hôtelier a été plus profitable que celui de la santé, qui a enregistré une baisse du bénéfice brut. Pourriez-vous envisager de délaisser le secteur de la santé pour vous concentrer sur l’hôtellerie et l’immobilier?
La principale différence entre ces deux pôles repose sur leur degré de maturité. L’hôtellerie est une activité encore jeune, que nous avons débutée en 2014 et renforcée avec l’acquisition des hôtels Seiler à Zermatt et l’intégration d’un hôtel de Michel Reybier. Nous allons encore développer l’hôtellerie. Du côté de la santé, l’entreprise est beaucoup plus mature. Nous nous trouvons dans une nouvelle phase de développement qui s’est concrétisée l’an dernier avec l’entrée de Visana dans notre capital et la création du modèle d’assurance de base Viva. L’ouverture à d’autres actionnaires fait partie d’une stratégie, et non d’une volonté de se détourner de la santé. Pour créer une offre globale, telle que nous l’imaginons, nous devons encore intégrer d’autres acteurs du domaine, comme des pharmacies, des maisons de retraite, des centres médicaux.
Que peut apprendre l’hôtellerie de la santé, et inversement?
A part la désinfection des chambres, l’hôtellerie n’a pas grand-chose à apprendre de la santé. On assiste à une médicalisation des spas avec des médecins qui viennent consulter pour des conseils non seulement esthétiques, mais aussi d’hygiène de vie. L’hôtellerie peut s’inspirer de la santé en devenant plus saine, en proposant une nourriture plus équilibrée avec moins de graisse, de sucre, etc. A l’inverse, nous faisons en sorte que nos cliniques ressemblent de moins en moins à des hôpitaux. L’attention portée au client est fortement inspirée de l’hôtellerie.
Mieux vaut servir des cappuccinos correctement que de vouloir médicaliser son offre.
Fait-il partie de votre stratégie de rendre vos hôtels plus «médicalisés»?
Ce n’est pas du tout notre volonté, à l’exception des spas de notre marque Nescens, spécialisée dans le traitement anti-âge. Il y a en effet une vraie demande du client pour des spas et des soins plus scientifiques. Trop d’hôteliers pensent, à tort, qu’il suffit de poser une pancarte «spa médical» pour remplir leur établissement. C’est totalement utopique. Pour réussir dans l’hôtellerie, mieux vaut apprendre à servir des cappuccinos correctement, plutôt que de vouloir médicaliser son offre. Il est indispensable de se recentrer sur la qualité du produit et de l’accueil, vu la forte concurrence des destinations internationales.
Vous êtes le premier groupe hôtelier à Zermatt avec 300 chambres. Quelles sont vos ambitions dans cette destination?
Nous restons ouverts à toute opportunité bien sûr. En termes d’hôtellerie et de surfaces commerciales, nous souhaitons d’abord développer qualitativement l’offre existante. L’acquisition de restaurants d’altitude, sur les pistes, nous intéresse. Cela permet de garder notre client et de l’accompagner. Nous allons aussi développer des résidences hôtelières qui profiteront du service qualitatif de nos hôtels.
En 2023, les deux hôtels que vous avez rénovés – La Réserve Eden au Lac, à Zurich, et le Victoria-Jungfrau Grand Hotel & Spa, à Interlaken – ont enregistré le meilleur résultat de leur histoire. Comment ces succès se comparent-ils?
La Réserve Eden au Lac est un produit totalement renouvelé. Nous l’avons fermé, entièrement rénové avec Philippe Starck, puis rouvert sous l’enseigne «La Réserve». Ainsi notre chiffre d'affaires est passé de 7 à 20 millions de francs. A Interlaken, nous avons gardé la même base de clientèle mais amélioré la qualité des prestations, rendant l’hôtel plus attrayant pour la clientèle individuelle. Il est devenu plus «family friendly» et «resort» afin d’inciter nos clients à rester plus longtemps. C’est un vrai défi pour Interlaken, destination de passage par excellence. Nous avons donc retravaillé l’offre F&B pour attirer la clientèle locale, rénové toutes les chambres, ajouté une piscine extérieure, un kids club. Notre chiffre d’affaires est passé de 30 à 46 millions de francs.
Aevis Victoria détient 11 hôtels, dont un à Londres. Quels sont vos projets hôteliers?
Nous visons un déploiement ciblé à l’international en partenariat avec Michel Reybier Hospitality, notamment sous la marque La Réserve. L’internationalisation est importante pour garder et faire évoluer les collaborateurs. Toutefois, nous n’avons pas du tout l’intention de créer un groupe de 100 ou 200 hôtels. Le but est d’avoir une quinzaine d’hôtels de qualité, dans des destinations innovantes. Nous pensons par exemple au Japon, peut-être à l’Afrique, aux pays du Nord de l'Europe et des grandes capitales comme New York, Miami. Finalement, partout où la communauté de Michel Reybier Hospitality aime aller.
Self-made man, des cliniques privées à l’hôtellerie de luxe
Antoine Hubert est fondateur et actionnaire majoritaire avec Michel Reybier de la société de participations Aevis Victoria, cotée en bourse. Ils détiennent à eux deux 76 % du capital. Titulaire d’un CFC de monteur électricien, le Valaisan se lance dans l’entrepreneuriat dès l’âge de 22 ans. Il cumule les expériences, investit dans l’immobilier puis rachète en 2002 la Clinique de Genolier (VD).
Il fonde en 2006 la société Aevis. En 2011, il s’associe à l’entrepreneur français Michel Reybier. La diversification dans l’hôtellerie intervient dès 2014 avec le rachat de Victoria-Jungfrau Collection. Fabrice Zumbrunnen, ancien directeur général de Migros, est le nouveau CEO d’Aevis Victoria depuis le 1er mai. Antoine Hubert, actuellement administrateur délégué, sera candidat à la présidence du conseil d’administration pour 2025. [IMG 2]
Antoine Hubert s’exprimera sur les innovations dans le domaine de la santé et de l’hôtellerie de luxe lors de l’Hospitality Summit, le 12 juin à 14h15.
hospitality-summit.ch