Alain-Xavier Wurst

Après deux années d’exercice déficitaire, l’Hôtel des Patients semble devenir enfin rentable. Une bonne nouvelle pour les comptes publics vaudois et pour le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) qui, associé à la société exploitante Reliva, a ouvert à Lausanne en 2016 cet établissement 3 étoiles supérieur de 115 chambres au concept novateur, venu de Scandinavie.

L’hôtel accueille à la fois des touristes classiques et des malades autonomes en séjour ambulatoire, dont les soins ne requièrent plus une prise en charge à l’hôpital, permettant ainsi au CHUV de libérer une soixantaine de lits en soins aigus pour d’autres patients plus lourds.

Cette formule, une première en Suisse, répondait à la fois à des préoccupations logistiques et financières pour le CHUV, qui a commencé à la planifier dès 2010. Préoccupations logistiques d’abord: les importants travaux engagés par le CHUV, avec entre autres la modernisation complète du bloc opératoire central et la construction de l’Hôpital des Enfants qui devrait s’achever en 2023, ont amené l’hôpital à prévoir la réduction d’un certain nombre de lits, rendant ainsi nécessaire une structure alternative pour continuer d’accueillir les patients. Préoccupations financières ensuite, puisque le coût d’exploitation moyen d’un lit au CHUV s’élève à 600 francs par jour, contre 300 francs pour un lit à l’hôtel (chiffres 2018).

Fort de ces considérations, le CHUV a mis en place le projet de l’Hôtel des Patients, dont il a réservé un contingent de 70% des capacités d’accueil. Le modèle d’affaire a cependant soulevé quelques questions, s’invitant même lors des débats du Grand Conseil vaudois sur la gouvernance du CHUV. En effet, le contrat de partenariat public-privé signé pour 20 ans entre le CHUV et Reliva prévoit que si l’hôpital ne remplit pas 70% des lits qui lui sont dévolus, il doit verser 200 francs par lit vide et par jour à l’exploitant. Or jusqu’à présent, le taux d’occupation est resté inférieur à ce taux plancher, avec 28 lits occupés par jour par les ­patients du CHUV en 2018 et 32 au premier trimestre 2019. Avec 62% au 2ème trimestre 2019, la direction générale du CHUV se montre néanmoins confiante pour atteindre les 70% d’ici la fin de l’année.

«Un projet neutre, voire rentable pour l'Etat depuis l'automne 2018»
«Même si nous payons pour les capacités non-utilisées, ce schéma nous permet de réaliser des économies, car une nuit à l’Hôtel des Patients coûte moins cher que dans le bâtiment hospitalier», souligne Oliver Peters, directeur général adjoint du CHUV. «Par ailleurs, le CHUV perçoit un loyer et une participation au bénéfice de Reliva. Sur la période 2016-2018, le CHUV a payé 7,4 millions de francs et économisé en retour 6,3 millions. Le déficit de l’opération a donc été de 1,1 million pour le lancement de ce projet qui peut être considéré comme neutre, voir rentable pour l’Etat depuis l’automne 2018.»

Zeynep Ersan Berdoz, directrice communication du groupe Swiss Medical Network, qui gère plusieurs cliniques privées en Suisse réagit ainsi au projet de l'Hôtel des patients: «C’est une manière de libérer des places dans la structure hospitalière. Si l’objectif est louable, dans les faits les patients qui nécessitent des soins doivent se déplacer, ce qui n’est ni pratique ni confortable.»

Cinq chambres à la disposition des bénéficiaires de l'aide sociale
A en croire les notations laissées sur différents sites de réservation, les clients semblent jusqu’à présent satisfaits des prestations et du confort de l’établissement. Un sentiment que partage la conseillère d’Etat vaudoise Rebecca Ruiz, qui s’est dite «très impressionnée par les chambres et la qualité de l’accueil». La cheffe du Département de la santé et de l’action sociale (DSAS), dont dépend le CHUV, soutient le concept décidé par son prédécesseur Pierre-Yves Maillard. «Nous avons fait le choix de l’Hôtel des Patients afin de ­désengorger les lits du CHUV et d’avoir une réserve, en particulier pendant les travaux», a-t-elle déclaré, insistant aussi sur le facteur humain. «Je pense que le fait que des personnes malades soient amenées à côtoyer quotidiennement des personnes valides contribue à normaliser leur situation et leur donne une certaine motivation.»

La direction du CHUV a l’intention d’accroître le nombre de lits à l’Hôtel des Patients dédiés aux femmes admises à la Maternité, qui devrait être de 30 en 2020 contre 18 cette année. Les six lits du Centre du sommeil ont été transférés à l’Hôtel des Patients. L’unité spécialisée pour le traitement multimodal de la douleur a quatre lits depuis fin 2018, et une extension est prévue. Cinq chambres doivent être par ailleurs mises à disposition pour accueillir des bénéficiaires de l’aide sociale en difficulté de logement, en priorité des femmes seules ou avec enfants.


Anne Cheseaux
Anne Cheseaux Bild: ldd
Bild: ldd
«Une vraie carte à jouer à Lausanne»
Anne Cheseaux, consultante experte en hôtellerie de santé

Comment analysez-vous le partenariat entre le CHUV et l’Hôtel des Patients?
Il existe de nombreux exemples de collaborations entre hôpitaux et hôtels environnants, où ces derniers mettent un certain nombre de leurs chambres à disposition pour la clientèle de l’hôpital, avec éventuellement des prix préférentiels. En revanche, le partenariat entre CHUV et l’Hôtel des Patients, avec ce degré d’intégration entre les deux établissements, est une nouveauté intéressante.
 

Comment se positionne l’Hôtel des Patients par rapport à l’offre hôtelière à Lausanne?
Comme son nom l’indique, cet établissement est d’abord dévolu aux patients et à leurs accompagnants. Le touriste classique est un complément au modèle d’affaire principal. Mais il arrive souvent qu’en semaine, les hôtels de Lausanne soient bien remplis. L’Hôtel des Patients a donc vraiment une carte à jouer, surtout qu’il est très bien situé, offre de grandes chambres et jouit d’une très belle vue.
 

A propos du modèle d’affaire liant le CHUV et Reliva, celui-ci vous semble-t-il équitable?
Ce modèle repose sur le besoin, pour le CHUV, de libérer rapidement des lits de patients autonomes, les journées en lit d’hôpital revenant beaucoup plus chers que l’exploitation des lits d’hôtel. Je pense qu’il est donc légitime qu’il y ait une forme d’engagement sur un taux d’occupation minimal de l’hôtel et qu’a contrario, il y ait une compensation financière si ce taux n’est pas atteint.

Quel rôle doivent jouer les médecins comme relais d’information auprès des patients?
Cela a déjà été dit, mais le succès de cette formule implique en particulier que les médecins dirigent dès que possible les patients qui n’ont plus besoin de rester à l’hôpital vers l’hôtel. C’est peut-être quelque chose qui prend un peu de temps à se mettre
en place. Il faut vraiment utiliser le potentiel de l’hôtel comme annexe du CHUV et la communication interne est certainement un facteur de succès.  (axw)Alain-Xavier Wurst