S'il manque encore à la Suisse 3 millions de nuitées de touristes étrangers au premier semestre 2022, par rapport à la même période en 2019, le marché des pays du Golfe (GCC) est l’un de ceux qui a le mieux résisté à la crise du Covid. Comme en témoignent les chiffres fournis par Suisse Tourisme lors de sa récente conférence de presse, le niveau des nuitées GCC était au premier semestre 2022 inférieur de 22,8% par rapport à celui de 2019, alors que la moyenne pour l'ensemble des marchés étrangers atteint -32%.

Historiquement très important pour les villes de Genève et de Zurich, le marché GCC occupe essentiellement le segment des 5 étoiles, même si l’on observe depuis une dizaine d’années une clientèle «middle-class» plus jeune fréquentant les 4 ou 3 étoiles. Les différents hôtels 5 étoiles contactés le confirment, les touristes du Moyen-Orient ont été parmi les premiers à revenir dès l’ouverture des frontières en juin 2021, et certains établissements aujourd’hui enregistrent même des taux records.

Des touristes à  fort pouvoir d'achat et les plus dépensiers
«C’est le meilleur été depuis que j’ai ouvert il y a 12 ans, surtout grâce au marché GCC. Il représente 40% des nuitées alors qu’il se situe normalement à cette époque entre 10 et 15%», dit Nati Felli. Propriétaire et directrice du Guarda Golf Hôtel & Résidences de Crans-Montana, elle se rend régulièrement dans cette région et confie avoir ciblé ce marché «depuis toujours». Elle a ainsi fait construire sept suites de 300 m² spécifiquement pour cette clientèle, dont profitent également les clientèles brésilienne et russe. «Les prestations offertes par l’hôtellerie à Abu Dhabi ou Dubaï sont très élevées. Ce sont donc des clients extrêmement exigeants. La rapidité et la disponibilité sont essentielles. De mon point de vue, c’est une question d’adaptation, d’ouverture d’esprit, il faut vouloir travailler avec ce marché», explique Nati Felli, dont les clients orientaux restent au minimum une semaine, certains jusqu’à un mois.

«Pour réussir, il faut vouloir travailler avec ce marché»
Nati Felli, propriétaire et directrice du Guarda Golf Hôtel & Résidences à Crans-Montana

Selon les chiffres de Lucerne Tourisme, les clients du Golfe sont ceux qui dépensent le plus par jour, et de loin: 430 francs en moyenne, contre 330 francs pour un Chinois, 220 pour un Américain, 160 pour un Suisse et 150 pour un Européen. Lucerne fait partie depuis une vingtaine d’années des destinations préférées des touristes GCC. Pour autant, en dépit de son fort pouvoir d’achat, la clientèle moyen-orientale ne séduit pas tous les hôteliers. Ainsi, cette manager d’un 4 étoiles d’une quarantaine de chambres, dans le canton de Lucerne, qui reconnaît «ne pas vouloir investir sur ce segment», évoquant des problèmes culturels et de comportement dans les chambres compromettant le bon fonctionnement de son hôtel.

Une clientèle prioritaire pour le marché genevois 
Les palaces de la rade de Genève sont une destination incontournable en été pour la clientèle GCC, qui constitue ainsi un tiers des touristes du Four Seasons Hôtel des Bergues, le plus prestigieux des établissements genevois. «Nous avons mis en place un accueil personnalisé, comme nous le faisons pour l’ensemble de nos clients. Sur demande, nous leur mettons à disposition un Coran et un tapis de prière, et privilégions l’attribution de chambres avec bidet. Toutes ces attentions leur permettent de se sentir comme chez eux», explique Pedro Nora, directeur marketing du palace, qui constate un quasi-rattrapage des nuitées GCC par rapport à l’été 2019. «On observe la fréquentation d’une clientèle plus jeune, qui a souvent étudié dans les pays anglo-saxons et ressemble un peu plus aux voyageurs européens», relève de son côté Marc-Antoine Nissille, directeur du 5 étoiles Les Armures à Genève.

Si le repositionnement «resort» engagé par Genève Tourisme depuis la pandémie s’adresse surtout aux marchés de proximité, il a également un effet positif avec la clientèle GCC, «en convainquant ces touristes de rester quelques jours de plus, ce qui profite à toute l’économie régionale», explique Franck Romanet, responsable du marché GCC à Genève Tourisme. «Cette région est prioritaire pour nous, l’une de celles où nous investissons le plus», ajoute Jonathan Robin, directeur du département Markets de l’organisme genevois. Avec environ 8% de toutes les nuitées de Genève en 2019, le marché GCC est 5e.

En Suisse alémanique, les régions d’Interlaken et de Grindelwald sont également très prisées. «Nous accueillons beaucoup de familles. On sent qu’elles veulent rattraper le temps perdu», dit Mario Resch, directeur marketing du 5 étoiles Schweizerhof à Grindelwald, soulignant l’importance des activités pour les enfants, «toujours au centre de l'attention». Autre fait notable, le nombre croissant de ces touristes venant désormais l’hiver.


Petit entretien avec Lars E. Güggi, directeur de l'Hôtel Monopol à Lucerne (4 étoiles) 

Quelle part de marché occupe la clientèle GCC dans votre hôtel?
Environ 5 à 10% des nuitées, très majoritairement en été. Nous sommes pratiquement revenus au niveau de 2019 pour ce marché. Ce sont essentiellement des jeunes couples et des familles.  [IMG 2] 

Quelles expériences recherche ces clients en particulier?
Ils aiment profiter de la nature. Venant de Lucerne, ils peuvent facilement rejoindre le Rigi, le Pilatus ou encore Engelberg. Et la ville de Lucerne est aussi très prisée pour le shopping. Ce sont des clients qui disposent généralement d’un budget élevé.

On dit que cette clientèle est difficile. Qu’en pensez-vous?
En tant qu'hôtelier, il faut aussi savoir s’adapter aux différences culturelles. Même si elle réserve par exemple souvent une chambre sans inclure les enfants, les choses se sont un peu améliorées ces dernières années. Beaucoup se sont entre-temps familiarisés avec le marché européen.

Les chambres doivent-elles comporter des équipements spécifiques?
La climatisation ou encore le bidet sont très importants pour ces clients. Mais ils savent que peu d’hôtels en disposent et amènent en conséquence leurs équipements.

Comment voyez-vous les années à venir?
Je pense que ce marché va encore grandir. Notre région autour de Lucerne a un gros potentiel, nous avons beaucoup d’activités et de loisirs à proposer, et Lucerne Tourisme travaille très bien pour promouvoir la ville.