Yong Chen, quelles peuvent être les conséquences du coronavirus sur le tourisme chinois à travers le monde?
Je pense que l’impact du coronavirus sur le tourisme et l’économie en général est grave. Après une décennie de boom du tourisme extérieur chinois depuis 2008, le phénomène va décélérer ces prochaines années. Les Chinois vont devoir attendre sur les marchés intérieurs et extérieurs avant de récupérer leur pouvoir de consommation, et tout dépendra de la façon dont l’épidémie pourra être contrôlée par le gouvernement chinois et la communauté internationale. Mais malgré cela, on peut rester optimiste à propos de la confiance des consommateurs. Pour le tourisme chinois domestique et extérieur, la situation peut devenir dévastatrice, car son développement est devenu de moins en moins attractif, avant même l’épidémie. Les touristes et les voyageurs d'affaires pourraient privilégier d’autres destinations en Asie-Pacifique.
 

Et sur le tourisme hôtelier en Suisse en particulier…
A mon avis, l’épidémie concernera moins l’industrie hôtelière suisse que les destinations qui dépendent essentiellement du tourisme. Le tourisme donne qu’une petite contribution économique au PIB suisse. Le nombre de touristes chinois reste peu important, bien qu’il ait considérablement augmenté ces dernières années. Le tourisme n’est pas le pilier économique de la Suisse, son économie reste très diversifiée. Toutefois, cela peut frapper fortement les  hôteliers travaillant avec des acteurs chinois. Si la situation autour du virus se détériore, l’économie suisse et même l’économie globale pourraient souffrir de ce que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) considère comme un problème sanitaire majeur.

En tant que professeur chinois, comment percevez-vous le sujet du coronavirus dans son traitement par les médias chinois et occidentaux. Est-ce que vous pensez que le point de vue occidental diffère de la vision asiatique en matière de santé?
Je m’informe à travers la BBC et CNN, qui rapportent les faits vus dans les médias chinois. On trouve toujours des préjugés dans les médias internationaux mainstream quand l’information vient de Chine ou de tout autre pays avec un système politique différent. L’essentiel est de traiter le virus comme un ennemi de la communauté internationale. Même si l’origine du virus se situe dans la province du Wuhan, labelliser le virus comme chinois, cela peut enflammer l’antagonisme entre les peuples, non seulement à l’égard de la Chine, mais aussi entre la Chine et les autres pays très touchés par la maladie. Le tourisme peut favoriser la compréhension mutuelle entre les peuples. Je ne pense pas qu’il y ait une différence fondamentale entre les perceptions orientales et occidentales de la santé.

Evoquez-vous ce sujet dans vos cours avec vos étudiants?
Nous sommes en vacances d’hiver en ce moment. Mais ce virus ne me semble pas différent des autres épidémies dans l’histoire de l’humanité, dont il faut considérer les effets sur un long terme.

Pourriez-vous conseiller des hôteliers suisses sur l’accueil des hôtes chinois?
Un tel changement de la demande ne peut pas être contrôlé par une profession. Le meilleur moyen pour eux est de suivre les recommandations de l’Office fédéral de la santé publique et de l’OMS pour savoir comment accueillir les hôtes sans laisser le virus se répandre. L’industrie hôtelière doit être bien préparée à accueillir des personnes qui, même si elles n’ont eu aucun contact avec des touristes chinois, peuvent avoir voyagé en Chine ou dans d’autres pays où les cas sont confirmés. Je ne pense pas qu’il y ait des touristes de loisirs chinois en ce moment, parce que toutes les villes et environ préviennent les gens de ne pas sortir du pays pour des voyages internationaux. Mais les voyages d’affaires ne peuvent pas être arrêtés.

Spécialiste de l’économie du tourisme
Depuis janvier 2014, Yong Chen est professeur assistant à l’Ecole hôtelière de Lausanne. Il enseigne le marketing et l’économie du tourisme et des métiers de l’accueil. Il a publié des articles dans «Tourism Management», «Journal of Travel Research» et «International Journal of Contemporary Hospitality Management». Titulaire d’un doctorat en Hospitality et Tourism Management de l’Université de Hong Kong, il analyse le comportement touristique.   

En général, quels sont les principaux changements que vous observez dans le tourisme chinois?
Depuis que la demande touristique dégringole, il peut y avoir une série de banqueroutes dans le monde de l’hôtellerie et de la restauration en Chine. Des incompréhensions gouvernementales conduisant à payer des salariés qui restent à la maison pourraient exacerber la situation.

Pourquoi la Suisse reste très attractive pour le touriste chinois?
Je pense que l’Europe a toujours tenté les Chinois pour sa culture diversifiée, son histoire et sa prospérité. Dans ma génération, née dans les années 80 et plus tard, nous ne sommes pas étrangers à la tradition européenne, parce que nous restons fascinés par les écrivains, scientifiques, philosophes et évènements historiques bien relatés dans nos livres. Ces expériences de lecture traversent nos esprits et nous motivent à voyager en Europe, si nous en avons l’opportunité. La Suisse reste une des économies les plus développées d’Europe. Très connue pour ses paysages, son apport à travers les sciences et les technologies comme son savoir dans la manufacture et les services. L’image de la Suisse en Chine reste très positive et attirante. Les Chinois ne viennent pas en Suisse comme touristes mais pour apprendre de leurs hôtes.

Comment pourrait-on  rendre l'expérience du voyage dans notre pays plus accessible aux touristes chinois?
Je pense qu’il reste important de donner des informations en mandarin ce qui change considérablement le comportement des hôtes. D’un autre côté, il faudrait que les différents partenaires comme les hôtels, les transporteurs et les prestataires de loisirs se coordonnent à travers des forfaits à coûts réduits. Voyager en Suisse reste cher.

Que pensez-vous de la politique de Suisse Tourisme en Chine? Vous semble-t-elle justifiée?
J’ai une petite connaissance de la promotion touristique suisse en Chine, mais je pense qu’il ne faudrait pas se focaliser sur le nombre. Le tourisme de masse ne peut pas devenir une option pour la Suisse. Il serait intéressant d’attirer des touristes sur toute l’année et pas seulement sur des pics saisonniers. L’attention devrait être attirée vers de nouveaux cantons comme le Tessin, pas encore très populaire en Chine. L’ensemble de l’expérience se diversifie et l’offre peut se réguler.

Autre article en lien avec le coronavirus: «Le scénario du pire devrait pouvoir être évité», paru le 6 février 2020.