La Brévine (NE) planche sur une nouvelle offre touristique visant à valoriser son statut de Sibérie de la Suisse. Son idée: développer un centre sur la thématique du froid extrême, qui permette de renseigner et d'expérimenter cette sensation. Détentrice du record du froid en Suisse avec -41,8 degrés enregistrés en 1987, La Brévine s'est depuis taillée une renommée et attire les curieux des quatre coins de la Suisse. Si les élus souhaitent aller plus loin dans l'exploitation de cette thématique, cette idée ne fait pas l'unanimité au sein du petit village de 600 habitants.
«Le but n'est pas d'augmenter à tout prix le nombre de touristes mais surtout de les canaliser, de les aiguiller vers des activités et de leur faire dépenser un peu plus», partage Muriel Jeanneret, conseillère communale en charge du tourisme. Pour elle, il s'agit de miser sur cet «avantage concurrentiel» qu'est le froid pour valoriser ensuite d'autres aspects et pans de l'économie comme l'agriculture et les produits du terroir. Et faire rayonner ainsi toute la vallée.
«Ce projet nous permettrait de profiter économiquement de cette image de marque. Nous ne faisons pas suffisamment pour accueillir les touristes et les inciter à rester», abonde Luca Bonnet, conseiller général, également président de Vallée de La Brévine. Depuis dix ans, cette association organise la Fête du froid, qui célèbre dans la bonne humeur le froid légendaire de la vallée. Elle a aussi contribué à l'installation d'un thermomètre géant et à l'illumination du temple, qui change de couleur en fonction de la température.
La fraîcheur, un argument marketing, aussi en été
La création d'un centre du froid permettrait de thématiser cette particularité toute l'année. «Au vu de l'évolution climatique, il y a une carte à jouer, aussi en été», estime Vincent Matthey, coordinateur Montagnes au sein de Tourisme neuchâtelois. Située à 1043 mètres d'altitude, La Brévine figure, avec son lac des Taillères, parmi les bons plans fraîcheur relayés par l'office du tourisme. Et pour cause: tandis que la Suisse ployait sous la canicule au mois de juillet, La Brévine enregistrait jusqu'à 0,6 degré au petit matin. «Cette fraîcheur est aussi un gage de qualité de vie. Certaines personnes choisissent de passer l'été à La Brévine pour dormir sereinement», rapporte Luca Bonnet.
«Ce projet nous permettrait de profiter économiquement de cette image de marque»
Luca Bonnet, conseiller général, président de l'association Vallée de La Brévine
Pour dessiner les contours de ce que pourrait devenir ce centre du froid, la commune s'est tournée vers l’agence d’ingénierie culturelle Thematis, bien connue en Suisse romande. «Ce projet se situe dans la continuité du plan directeur de développement élaboré par l'association RUN et remis aux autorités en 2020», explique Luca Bonnet. «Il s'agit à ce stade d'un catalogue d'idées, insiste Muriel Jeanneret. Si le projet va de l'avant, nous créerons un groupe de travail avec les habitants et analyserons la pertinence de chaque proposition.»
Cabane des explorateurs, carnotzet ou spa du froid
Dans la note d'intention remise aux mandataires, Thematis suggère de créer un lieu d’accueil central, à l’Hôtel-de-Ville de La Brévine rénové en 2020. Elle imagine une offre touristique à l'intérieur et à l'extérieur, c'est-à-dire «un espace d’exposition et de découvertes interactives, avec un spectacle audiovisuel et un atelier du froid» ainsi qu'«un ou deux sentiers thématiques du froid, avec une cabane des explorateurs». l'agence suggère aussi de décliner la thématique au sein de l'hôtel, avec par exemple un spa du froid, ainsi que du restaurant avec une «carte et des spécialités glacées» et pourquoi pas «un carnotzet glacial» ou encore des ateliers cuisine ou toute autre activité thématique susceptible de retenir les visiteurs.
«Si nous réalisons la totalité du projet, Thematis estime le coût d'investissement global entre 900'000 et 1,2 million de francs», indique Luca Bonnet. La commune sera dès lors amenée à chercher des dons et des subsides. Muriel Jeanneret se dit confiante. «Une partie de l'argent est assurée, car nous répondons aux exigences de positionnement stratégique donnant droit aux subventions cantonales et fédérales.» Tourisme neuchâtelois a en effet retenu la vallée de La Brévine et le froid comme l'un des quatre pôles de développement de sa stratégie touristique.
Crédit d'étude de 140 000 fr. combattu par référendum
Pour l'heure, ce n'est pas de ce montant dont il est question, mais du crédit d'étude de 140'000 francs, dont la moitié serait subventionnée par le canton par le biais de la Nouvelle politique régionale. Accepté par le conseil communal et le conseil général ce printemps, ce crédit ne fait pas l'unanimité au sein de la population. Il est combattu par un référendum. Contactés, les opposants ne souhaitent pas commenter. Ils craignent un projet «trop ambitieux», doutant de son impact positif pour les commerçants et la vallée, résume Muriel Jeanneret. Pour eux, «le froid ne se vend, ni ne s’achète». Ils estiment qu’on peut valoriser le tourisme sans en faire une priorité. Les touristes sont d'ailleurs déjà présents, rappellent-ils. Les citoyens voteront le 25 septembre prochain.
«La question de fond consiste à savoir si l'on veut ou non développer le tourisme à La Brévine», analyse Luca Bonnet. Muriel Jeanneret évoque une vision d'avenir et une opportunité à saisir: «A long terme, notre surface agricole utile sera amenée à diminuer, tout comme le nombre d'agriculteurs. Ce projet permet de donner de nouvelles perspectives à notre région. Les moyens financiers sont à disposition. Une fois le train parti, le coût du projet ne sera pas supportable pour les communes de la vallée.»
Grono (GR)
Tous à vélo pour thématiser le record de chaleur
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De l'autre côté de la Suisse, Grono dans la partie italophone des Grisons, détient le record de chaleur de la Suisse depuis le 11 août 2003, à raison de 41,5 degrés. Jumelée à La Brévine depuis 2018, la commune de Grono n'aborde pas ce record de la même manière.
«Nous n'avons pas institutionnalisé et thématisé le chaud comme La Brévine l'a fait avec le froid, indique Samuele Censi, syndic de Grono, député et vice-président de l’organisation touristique de la région Moesa. Nous n'avons pas de fête du chaud, pas créé d'association autour de cette thématique. Peut-être pourrions-nous la valoriser davantage. Mais il est vrai qu'en été, les gens recherchent de la fraîcheur dans les montagnes environnantes ou dans les vallées adjacentes.»
A la tête du village grison depuis 2013, Samuele Censi est à l'origine du rapprochement avec La Brévine. Ce diplômé de l'Université de Lausanne en sciences du sport et de géographie est aussi l'instigateur de «Temperature in sella». Ce rendez-vous consiste à relier à vélo Grono à La Brévine (ou l'inverse) en quatre à cinq étapes. Avec l'objectif pour le syndic de véhiculer trois thématiques: le changement climatique, la mobilité douce et la solidarité. Les deux éditions de 2018 et 2021 ont attiré une cinquantaine de participants, issus des deux régions. «A chaque étape, nous avons été reçus par les autorités communales. Notre action a aussi été relayée par la presse, contribuant à faire parler de Grono. Nous ne détiendrons peut-être pas toujours ce record, alors autant en profiter maintenant.»