«Ils nous informent souvent au dernier moment, nous allons les chercher à la gare s’ils arrivent tard le soir. Ils sont crevés après plusieurs jours de voyage. Beaucoup pleurent, c'est dur.» Ukrainienne mariée à un Valaisan, Lyudmyla Rigert travaille comme administratrice à l'Hôtel Seepark de Montilier, près de Morat. Mais en ce moment, sa mission va bien-delà.
Depuis le début de la guerre, l'hôtel 4 étoiles de 34 chambres héberge gratuitement une trentaine de réfugiés ukrainiens en moyenne par jour. Il met toute sa capacité à disposition, selon la volonté du directeur Sergeï Valioulin, d'origine russe «mais opposé à la guerre», précise Lyudmyla Rigert. Le jour de notre entretien, l'hôtel hébergeait 33 migrants et en attendait dix de plus d’ici la fin de la journée. Il s'agit pour la plupart de parents, amis ou connaissances de Lyudmyla Rigert, qui la contactent directement. «Je ne peux pas dire non, partage-t-elle. Ils restent deux, trois, quatre nuits, le temps d’être pris en charge.» Son rôle d'hôtesse outrepasse l'hébergement: elle les accompagne au centre de réfugiés où elle joue les interprètes, elle se propose de laver leur linge, cuisine du bortsch et des varenyky chez elle. «Il s’agit à 95% de mamans avec leurs enfants, âgés entre 6 mois et 17 ans. Nous nous occupons d’eux. Nous avons récolté des jouets et emmené certains à Aquaparc.»
Près de 31'000 lits hôteliers à disposition
Depuis les dernières semaines, les professionnels de l'hôtellerie vivent pleinement le sens du mot accueil. En Suisse, 522 hôtels, dont 98 en Suisse romande, mettent à ce jour des chambres à la disposition des réfugiés d'Ukraine sur la plateforme Campax. «L’appel à la solidarité d’HotellerieSuisse s’est clairement fait ressentir. En 24 heures, le nombre de lits hôteliers proposés a quadruplé», indique Natalie Favre, attachée de presse de Campax. Hier, le nombre de lits hôteliers avoisinait les 31'000 au niveau national, dont plus de 6800 en Romandie. «Toutes les catégories d’hôtels sont représentées. Certains d'entre eux, surtout dans le segment du luxe, souhaitent rester discrets.» Natalie Favre relève aussi la générosité de certains hôteliers, prêts à renoncer à tout dédommagement. «Cela n’est pas donné à tout le monde», convient-elle. En cas d’hébergement de quatre nuits ou moins, les hôtels peuvent être dédommagés à raison de 87,50 fr. par nuit et par personne au maximum. Au-delà de quatre nuits, ce forfait ne doit pas dépasser 70 fr., indique HotellerieSuisse sur son site web.
«Plus que jamais l'humain se situe au cœur de notre métier»
Thibaud Quintin, Neuchâtel City Hôtel
«Plus que jamais l'humain se situe au cœur de notre métier», estime Thibaud Quintin, directeur des opérations du Neuchâtel City Hôtel. L'établissement Swiss Lodge de 104 chambres a déjà accueilli une quinzaine de familles ukrainiennes. Inscrit sur la plateforme Campax, l'hôtel n'a cependant pas encore été contacté par les services compétents. «Ces familles sont plutôt arrivées par les canaux traditionnels, explique le responsable. Nous avons l'avantage d'être ouverts 24h/24 et de figurer parmi les hôtels les moins chers du centre-ville.» L'hôtel octroie un tarif préférentiel pour les hôtes ukrainiens: -30% sur la nuit et le petit déjeuner à 10 fr. au lieu de 15 fr. «Nous aimerions bien faire plus, mais nous sommes tenus par nos réalités économiques». L'Hôtel Seepark qui, pour l'heure offre la nuitée et le petit déjeuner, sait qu'il ne pourra pas continuer longtemps ainsi: «Nous nous sommes fixés jusqu’à la fin mars mais ensuite nous aurons besoin d’aide», partage Lyudmyla Rigert. A Genève-Carouge, l'Hôtel Ibis Styles a été contacté par l'Hospice général. «Il a réservé 30 chambres jusqu'au 18 avril et demandé la pension complète. Nous serons dédommagés», annonce Victoria Magnani, directrice de l'hôtel 3 étoiles de 119 chambres.
Subvenir aux besoins de base mais pas seulement...
La motivation des hôteliers contactés n'est pas pécunière, et l'aspect humain se situe au centre des préoccupations. «Nos réceptionnistes discutent avec eux et les aident dans leur démarche. Nous essayons de leur mettre du baume au cœur et de leur faciliter la vie un maximum s'ils ont besoin d'imprimer un document, de passer un coup de fil», illustre Thibaud Quintin. «Nous les accueillons avec toute l’attention que nous avons l’habitude de donner aux clients, estime Victoria Magnani. Elle ne relève pas de demandes particulières de la part de cette clientèle. «L’Hospice de Genève vient régulièrement les voir, discuter avec eux des démarches à entreprendre pour la suite.»
Au-delà des besoins de base, Erich Dürst, directeur de l'Etablissement vaudois d'accueil des migrants (EVAM), suggère quelques pistes afin de rendre le séjour encore plus adapté et confortable pour ces hôtes, telles que donner la possibilité de faire la lessive, disposer d’un espace de séjour permettant un minimum de vie familiale et d'un lieu pour que les enfants puissent faire leurs devoirs. «L'hôtel peut aussi offrir la possibilité de rencontrer des résidents suisses, qui les accompagnent dans leurs démarches et leur offrent un contact humain.»
Plus d'informations et inscription de chambres d'hôtel sur:
hotelleriesuisse.ch/ukraine
Hôtels sollicités dans un second temps
Au moment de nos recherches, de nombreux hôtels inscrits sur la plateforme Campax n'avaient pas encore été contactés par les services compétents. Natalie Favre explique: «Nos données sont transmises au Secrétariat d'Etat aux migrations SEM, qui les partage avec les cantons. Il se peut que la coordination prenne un peu de temps.»
Dans le canton de Vaud, l'Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) dit avoir pris contact avec une dizaine d'hôtels. «Nous n'avons pour l'heure pas eu besoin de les solliciter, note le directeur Erich Dürst. Il souligne le rôle de l’hôtellerie dans ce défi migratoire. «Le concours des hôtels est précieux face à une situation inédite, pour pallier un besoin immédiat. Pour des séjours plus longs, et notamment pour les familles nombreuses, ce n’est en revanche pas la solution idéale.»
En Valais, Jérôme Favez, chef du Service de l'action sociale, explique se trouver aussi dans une phase de mise en place. «Nous vérifions en priorité les hébergements collectifs et individuels mis à disposition. Nous nous pencherons sur l'offre hôtelière dans un second temps, pour autant qu'elle réponde à nos exigences tarifaires.» Le canton de Fribourg poursuit une stratégie similaire, indique le groupe ORS qui propose des services d’encadrement en matière d’asile: «Il existe cependant des réflexions concrètes sur l'extension des capacités à l'hôtellerie, explique Lutz Hahn, directeur de la communication. Nous sommes en contact avec différents hôtels. Ce type d'hébergement permettrait de soulager les capacités d'hébergement collectif qui se font de plus en plus rares.»