Comme pour les champignons de Paris, dont elle reste le premier producteur mondial, on n’associe pas la Chine d’emblée à la production de vin. Pourtant, la région du Ningxia, située sur le 38e parallèle nord, zone dorée pour la viticulture, se retrouve aujourd’hui répertoriée dans l’Atlas mondial du vin. Sur les 300 000 hectares de tout le pays, qui est en fait le deuxième vignoble mondial derrière l’Espagne, la région du Ningxia compte désormais 38 000 hectares ce qui la place devant la province du Xinjian, 37 000 hectares, et celle de Bohaiwan, 17 000 hectares. Auparavant, la moitié des vins chinois exportés venaient du nord-est et restaient majoritairement des vins de glace qui figuraient dans les concours à côté des vins canadiens et allemands.
Une image de luxe et
d’exception recherchée
Mais aujourd’hui, la Chine aimerait rendre visible ses rouges. Ce que LVMH, qui produit Ao Yun dans le Yunnan, au pied de l’Himalaya, qualifie de vin d'exception, de luxe et commercialise à plus de 300 francs suisses la bouteille. Dans le Ningxia, on parle de vins fins et on s’inspire des classements bordelais, avec un système à cinq niveaux qui réévalue les vignerons tous les deux ans. Une des principales difficultés liées à l’exploitation des vignes reste leur enterrement sous 50 à 60 centimètres de terre pour les protéger du vent, du froid et des variations de température de 15 degrés entre le jour et la nuit. Les vignes se déterrent à la pelle et doivent se tasser à la main. Pour 2000 hectares, il faut un millier d’employés rendant les coûts de production élevés. Par contre, très peu de maladies se développent dans les vignes, d’où l’emploi extrêmement marginal des pesticides. Le domaine de Long Dai appartenant aux domaines Lafite Rothschild, se situe lui depuis 2009 dans la péninsule humide du Shandong et ne nécessite pas l’enterrement des vignes, ce qui permet la production de plus gros volumes.
Un enjeu diplomatique
et des ambassadeurs
Depuis sa visite dans le Ningxia en 2016, le président chinois Xi Jinping comprend l’importance de la viticulture pour aider cette zone du pays située à côté du désert de Gobi à sortir de la pauvreté. Une région où les sols ne permettent pas de cultiver de céréales et de fruits. Le gouvernement met alors en place une zone pilote de viticulture et d’œnologie avec des aides étatiques en matière de contrat de leasing des terres et pour l’achat de cuves de fermentation. Il s’agit aussi d’un enjeu diplomatique important comme le démontre le domaine franco-chinois de Heibei établi entre les deux pays depuis 1999.
Le gouvernement chinois compte sur le rayonnement de personnalités comme Christelle Chêne. Une Française qui commença à commercialiser des produits d’Aquitaine en Chine. Avant de devenir ambassadrice de la marque Xige Estate, le plus grand producteur de la région sur près de 2000 hectares (1000 sur des vignes ayant plus de 20 ans et 1000 sur des ceps nouvellement plantés) et quelque vingt cépages. Elle présentait les différents vins du Ningxia récemment en Suisse, avec un mandat du gouvernement pour tenter de briser les monopoles canadien et australien. Avec le marché anglais prioritaire, elle indique que son domaine a atteint une croissance de 550% à l’export l’an dernier.
Vidivinum veut
importer en Suisse
En Suisse, Christelle Chêne travaille avec l’entreprise Vidivinum créée près de Zurich par Michel Girod, d’abord fasciné voilà douze ans par la langue chinoise, prenant des cours dans une école. Il se lance aujourd’hui dans ce nouveau business, qui ne comptait pas d’importateurs suisses à ce jour. Michel Girod est associé à Lorin Zhang, une Chinoise ayant travaillé dans le domaine de l’œnotourisme au Portugal, en France et en Espagne. Vidivinum aimerait aussi attirer ce type de tourisme en Chine, un bon nombre d’établissements du Ningxia investissent dans ce secteur, comme Xige Estate avec son Jade Dove Vineyard Boutique Hotel.
Michel Girod aimerait déjà pouvoir construire une marque crédible en Europe pour présenter le vin chinois. Ce qui reste compliqué: au dernier Pro Wein, en Allemagne, personne ne permettait la dégustation des vins, tout le monde étant bloqué au pays par les lois Covid. Michel Girod et Lorin Zhang se sont alors improvisés représentants de leur propre initiative. Vidivinum vise avant tout les restaurants chinois en Suisse comme le Canard Pékinois, à Lausanne.
Mais ces vins, qu’ils souhaitent commercialiser entre 30 et 80 francs, ne convainquent pas largement la haute gastronomie. Nous avons contacté le Tsé Fung de l'hôtel La Réserve, à Genève, seul restaurant chinois étoilé en Suisse. Il ne travaille pas avec du vin chinois sur sa carte. Les vins de Vidivinum se retrouvent dans un seul restaurant étoilé, le Wein & Sein, à Berne.
Du Cabernet Sauvignon
ou plus d'exotisme
La question centrale reste le goût des vins chinois. A quoi peuvent-ils bien ressembler? A ceux de Bordeaux pourrait-on répondre hâtivement, tant la plupart des producteurs comme Zhang Yanzi de Xige Estate y ont étudié et de nombreux consultants viennent de cette région. Le Jade Dove Red 2019 de Xige Estate se compose d’une majorité de Cabernet Sauvignon couplé avec du Merlot. Une bouche classique de pruneau, de cerise, mais un vin qui manque de longueur et frappe par son amertume. Si elle veut proposer des curiosités sur le marché international, la Chine devrait mettre en avant ses curiosités. Comme le cépage Cabernet Gernischt, cultivé dans le pays depuis un siècle, le Single Vineyard 2018 de Xige Estate propose un bouquet complexe avec des arômes de paprika et de poivre.
Le vignoble chinois peut aussi compter sur des œnologues charismatiques comme Emma Gao qui veut pousser son domaine Silver Heights dans la direction «artisanat, nature et harmonie». Son Jia Yuan Marselan (autre cépage fort en Chine) 2019 plaît par sa jolie bouche de cassis et de pétale de rose. Les Chinois produisent très majoritairement des vins rouges, une couleur signifiant la chance. Amusant donc de goûter le Riesling 2021, présenté par Wang Fang, à Lausanne, elle apprécie ce cépage depuis son séjour en Allemagne. Mais les conditions climatiques désertiques du Ningxia y demeurent peu favorables. Elles donnent naissance à un vin peu consistant, malgré ses qualités florales.
La plupart des vins dégustés pèchent encore par des palais poussiéreux et iodés. Ils manquent de souplesse, ce que paradoxalement on trouve dans le nectar le plus classique vinifié dégusté, le Hong Fan Yin Malbec 2019.