«Nous avons formé beaucoup d'apprentis, c'était super, mais la dernière volée a été catastrophique. Le Covid a été un accélérateur vers le pire. Il a laissé des traces profondes chez les jeunes», témoigne Xavier Prouvenc, Training et Quality Manager au Fairmont Grand Hotel Geneva et délégué à la formation professionnelle de la Société des hôteliers de Genève.
Attirer le personnel qualifié
La recherche de personnel qualifié dans l'hôtellerie et la gastronomie a augmenté durant la pandémie. Dans une série d'articles, htr hotelrevue éclaire cette problématique et relaie certaines solutions envisagées.
Ce n'est un secret pour personne. L'hôtellerie-restauration est confrontée à un taux élevé de ruptures de contrats d'apprentissage. Près du tiers des apprentis en Suisse ne terminent pas leur formation, toutes professions confondues au sein de la branche (CFC et AFP). Les métiers de spécialiste en restauration CFC et cuisinier CFC caracolent en tête des résiliations. La problématique touche certains cantons encore plus frontalement. «La résiliation est un gros sujet dans la branche de l'hôtellerie-restauration. Dans le canton de Genève, 50% des apprentis rompent leur contrat au cours des trois ans de formation. Autrement dit, au moins un jeune sur deux arrêtera la formation ou changera d'entreprise au cours de son cursus», indique Guillaume Saehr, conseiller en formation à l'Etat de Genève, en charge des métiers de l'hôtellerie-restauration. Il pointe du doigt un problème genevois: «Le contexte reste particulier à Genève, canton frontalier et international où la plupart des managers méconnaissent le système de formation suisse. A ce problème s'ajoute un turn-over important. Les formateurs s'en vont ou changent d'établissement, les jeunes se retrouvent parfois plusieurs mois sans formateur attitré et cela peut fortement les perturber.» Une observation qui se confirme sur le terrain: «Tous les formateurs que nous avions en cuisine avant le Covid sont partis», atteste Xavier Prouvenc.
«Le choix hâtif de l'entreprise et du jeune crée une instabilité»
Guillaume Saehr, Conseiller en formation à l'Etat de Genève
70% des jeunes restent fidèles à la branche
Le choix de l'entreprise, des problèmes relationnels, la désillusion ou encore le manque de motivation figurent parmi les raisons les plus fréquentes de résiliation de contrat. A noter qu'une résiliation peut aussi signifier un changement d'entre-prise ou de formation, par exemple le passage d'un CFC (3 ans) à une AFP (2 ans). Selon les données de l'Office fédéral de la statistique des cinq dernières années, en moyenne 56% des jeunes ayant résilié leur contrat restent dans la même profession, tandis que 14% en moyenne restent dans la branche Horeca, mais choisissent un autre métier.
Afin d'éviter ces changements de voie, l'une des solutions repose sur une meilleure communication. «Il faudrait encore plus sensibiliser les jeunes voulant se diriger dans l'hôtellerie et la restauration au fait que la motivation à satisfaire le client doit être le moteur. Il faut une bonne condition physique et mentale pour ce milieu», estiment Eric Dubuis, directeur d'Hotel & Gastro formation Vaud et Steve Tavolini, commissaire d'apprentissage.
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L'importance de proposer un stage découverte au futur apprenti apparaît comme primordial aux yeux des professionnels. Pourtant ceci n'est pas obligatoire. Ce que regrette Marieluise Randin, en charge de la formation initiale et continue auprès d'HotellerieSuisse, basée en Suisse romande: «Les stages constituent le critère numéro un si l'on veut engager un apprenti. Le jeune doit pou-voir se faire une image réaliste de la profession, il faut lui montrer les vraies facettes du métier.»
Guillaume Saehr remarque par ailleurs une tendance au recrutement tardif, avec une incidence sur la qualité de l'embauche. «En juin, nous n'avions signé qu'une dizaine de contrats, puis plus d'une centaine sont arrivés durant l'été. Le choix hâtif de l'entreprise et du jeune crée une instabilité supplémentaire. Il faut prendre le temps de bien sélectionner son apprenti, proposer systématiquement des stages et commencer sa recherche dès le mois de janvier.»
Répondre aux attentes de la génération Z
L'incompréhension entre les générations est aussi relevée. David Maye, président d'Hotel & Gastro formation Neuchâtel, estime que les employeurs doivent se remettre en question: «Les employeurs ne communiquent pas de la bonne manière auprès de la génération Z. Les jeunes d'aujourd'hui attendent de la transparence, des explications, les choses doivent avoir du sens. Ils souhaitent être davantage responsabilisés.» Hotel & Gastro formation Neuchâtel vient d'ailleurs d'organiser pour la première fois un cours sur ce thème. Le but: démontrer la divergence des attentes entre les 15-16 ans et les 30-60 ans, sur la base d'un sondage réalisé sur le terrain. «Avec 86 participants, nous avons l'impression de répondre à une attente.» Xavier Prouvenc voit lui aussi un défi face à cette nouvelle génération: «En tant que formateur, nous devons apprendre à ‹lire› ces jeunes, à adapter notre communication, il faut être dans l'émo-tionnel, la personnalisation.»
Jessica Stampfli, apprentie de 3e année en tant que spécialiste en communication hôtelière (Speco) au sein du Novotel et Ibis Budget à Genève, confirme apprécier «une forme d'indépendance». «Au début, j'ai été très bien cadrée, puis on m'a laissée de plus en plus autonome.»
«Nous devons apprendre à ‹lire› ces jeunes, à adapter notre communication»
Xavier Prouvenc, Training et Quality Manager Fairmont Grand Hotel Geneva
La présence et la disponibilité du formateur semblent jouer un rôle fondamental pour le bon déroulement de la formation. «Un formateur doit comprendre dans quoi il s'engage», relève Guillaume Saehr. Cette tâche devrait représenter idéalement 10% du temps de travail par semaine, nécessaire pour fixer les objectifs, assurer un suivi, remplir le dossier de formation, soutenir et motiver son apprenti. Un rafraîchissement régulier des cours pour les formateurs permet d'«améliorer le suivi de l'apprenti et la compréhension entre générations», recommandent Eric Dubuis et Steve Tavolini.
L'importance de bien former les formateurs
«J'ai la chance d'avoir un très bon formateur, qui m'aide et m'épaule, témoigne Jessica Stampfli. Il est accessible et disponible. Lorsque je dois rédiger mes rapports de stage, il m'aide à trouver des idées. Si je me retrouve seule durant la pause de mes collègues, il s'assure que tout est clair pour moi.» Jessica Stampfli dit apprécier le cadre que son formateur lui impose: «Si je fais des erreurs, il me le dit et je trouve cela bénéfique. Il me témoigne aussi sa reconnaissance et me dit qu'il est fier de moi.»
Pour David Maye, les formateurs doivent montrer l'exemple. Hotel & Gastro formation Neu-châtel travaille à l'élaboration de nouveaux outils afin d'effectuer une bonne sélection et d'améliorer le suivi du jeune. «Nous avons de bons et de moins bons forma-teurs. A l'avenir nous voulons de bons formateurs, avec une écoute, une philosophie. Il faudra du temps, de l'engagement.»
Une démarche similaire est sur le point de voir le jour dans le canton de Genève. Elle vise une meilleure sensibilisation à l'égard des entreprises. «La plupart des contrats que nous recevons sont incomplets», observe Guillaume Saehr. Pour y remédier, des ateliers pratiques seront organisés ces prochains mois. «Nous avons un devoir de communiquer régulièrement, de simplifier les démarches administratives et de continuer à véhiculer la culture de l'apprentissage au sein du canton.»
Conseils de pro
Comment éviter la rupture de contrat d'apprentissage
Florence Quattropani, conseillère aux apprentis pour l'Etat de Vaud et Crista Eulélia Rumo, conseillère aux apprentis pour les hôtels-écoles d'HotellerieSuisse recommandent entre autres:
Suivi régulier et constructif
● réaliser à tout prix le bilan après les trois mois d'essai
● puis des rapports tous les six mois au minimum; tous les 2-3 mois idéalement
● durant ces points avec l'apprenti, il est important de valoriser aussi ce qui va bien tout en fixant des axes d'amélioration et des objectifs
Maintenir la motivation
● l'apprenti doit se sentir respecté, entendu et formé
● intégrer l'apprenti dans la réflexion, prendre en considération ses idées, ses inputs
● donner le planning à l'avance afin que l'apprenti puisse organiser sa vie sociale et rattraper les éventuelles heures supplémentaires dans un délai donné et rapproché
● pas d'insultes ni d'humour déplacé
Chercher le dialogue et demander de l'aide
● il est souhaitable que le formateur s'adresse à l'apprenti, car celui-ci est souvent intimidé et n'ose pas se con-fier; éviter le «tu» accusateur et opter pour des formules du type: «J'ai observé que...»
● il est déconseillé de poser des questions sur la vie privée
● si l'apprenti est mineur, soigner le contact avec les parents
● ne pas hésiter à s'adresser aux conseillers en formation aux apprentis, dont la fonction consiste à assumer le rôle de médiateurs
Solutions possibles
● prolonger le temps d'essai, de maximum 3 mois supplémentaires, en fixant des objectifs
● proposer de réaliser des stages dans d'autres hôtels pour réduire la tension
● faire un an de pause, donc résilier le contrat et signer à nouveau un an plus tard
● changer d'entreprise, moyennant toutefois une rupture de contrat.