La question posée en ce premier jour du Hospitality Summit à trois professionnels aguerris de l’hôtellerie et de son design peut donner le vertige: «A quoi pourra bien ressembler la notion d’hospitalité 4.0, à travers quels nouveaux concepts, idées et innovations va-t-elle s’incarner?» Isabelle von Burg, toute jeune quarantenaire à la tête du mythique, urbain et décomplexé Lausanne Palace ose d’emblée une provocation: «L’hôtel du futur ne sera peut-être pas un hôtel…» Mais que veut-elle dire exactement, elle poursuit: «On voit bien l’évolution de nos établissements dans le segment du luxe, nos lobbys se transforment pour devenir des lieux de partage, de réflexion, de vie. Nos hôtes ne se contentent pas d’un bon lit et d’un bon service.» Frank Marrenbach , CEO d’Althoff Hotels, pense qu’en vieillissant, l'humain considère de moins en moins le luxe comme en lien avec le matériel, mais qu’il recherche des expériences de qualité, qui nécessitent de prendre son temps.
Les débats formels évoluent rapidement
Alors il faut, selon Isabelle von Burg, de l’imagination: «Un hôtelier peut proposer son propre vin, comme notre clos du Palace, issu des vignes de l’hôtel entre le garage et la terrasse de notre établissement. Le miel sur les toits des hôtels devient aussi un formidable produit dérivé. Le vin et le miel font partie intégrante de l’expérience.» Daniel Schneider, fondateur de Monoplan, société spécialisée dans l’architecture, le design d’intérieur et le positionnement de marque dans le domaine de l’hospitalité renchérit dans le même sens en proposant d’envisager l’hôtel du futur comme un centre de tests, un laboratoire d’expérimentations: «Si on apprécie son matelas, on peut partir avec, mais il permet aussi d’analyser de nouvelles formes de travail dans de nouveaux espaces avec des communautés différentes.» Frank Marrenbach, CEO d’Althoff Hotels, oriente le débat sur les lignes qui bougent beaucoup depuis 15 ans en termes de formalité, d’étiquette: «On voit de moins en moins d’hommes qui portent des cravates par exemple et nos nouveaux modes de voyage reflètent des pratiques influencées par un mode multiculturel.»
«L’hôtellerie doit engagersa responsabilité sociale»
Daniel Schneider ose questionner avec douceur l’incontournable classification hôtelière: «Le mode de classification avec des étoiles ne va évidemment pas disparaître, mais peut-être que cela deviendra un peu moins pertinent; le goût pour une marque, la notion de devenir fan d’un concept hôtelier devient lui aussi capital», explique-t-il. Isabelle von Burg renchérit: «La surenchère d’étoiles, comme on le voit à Dubaï avec des établissements sept étoiles, ne peut plus suffire. Je ne dois pas vouloir posséder un hôtel, mais bien le découvrir en y vivant quels que soient mes moyens, cela peut durer une journée, une semaine, un mois, mais je dois pouvoir en profiter pleinement.»
Pour Marrenbach, il ne faut pas à tout prix vouloir cultiver une vision romantique de l’hôtellerie: «On peut véritablement se demander qui a encore besoin d’une réception dans un hôtel de ville et réfléchir à libérer des espaces de vie comme dans notre concept Urban Loft.» La journaliste Maria Victoria Haas, qui assure la modération du débat, donne son avis: «Je n’aimerais pas que la réception et la conciergerie disparaissent, j’ai besoin de contact quand j’arrive dans un hôtel…» Isabelle von Burg pense qu’un hôtelier peut s’adapter en fonction du besoin de chacun: «Nos équipes peuvent ressentir si un client business a besoin de trente secondes d’attention ou si, au contraire, il fréquente notre hôtel depuis 30 ans à la recherche d’un service personnel sans faille.»
La surenchère d'étoiles, comme on le voit à Dubaï, ne peut plus suffire
Isabelle von Burg, Directrice de l'emblématique Lausanne Palace
Pour Daniel Schneider, l’hôtel de demain devra aussi s’engager clairement dans sa responsabilité sociale, il insiste sur les moyens que possède l’hôtellerie de luxe pour ne pas uniquement se concentrer sur ses chambres mais investir de l’énergie et consacrer une part de son budget à ces questions de gouvernance. Frank Marrenbach insiste aussi sur l’intégration sociale des clients, qui doit correspondre à celle qu’il propose à ses 2000 collaborateurs: «On doit mettre l’humain au centre de tous nos processus et cela passe aussi par la qualité du restaurant d’entreprise.»
L’hôtel 4.0 ne peut pas seulement se contenter de devenir une bombe de technologie, il doit rester connecté à l’âme des hôtes. Un hôtel humain, trop humain…