Comment la haute gastronomie travaille-t-elle en accords avec des champagnes hors du commun? La question reste récurrente et la récente arrivée de Philippe Chevrier (2 étoiles Michelin et 19 points GaultMillau) à Châteauvieux, Satigny, parmi les ambassadeurs de la marque Krug permettait de voir de quelle façon certains grands crus s’associent à des plats.
Ce repas s’accompagnait d’un des champagnes les plus rares et les plus côtés du monde: un Clos du Mesnil en son millésime 2006. Le critique italien Antonio Galloni parle de sa dégustation d’une verticale intégrale de ces vins comme l’un des plus grands moments de sa carrière. Il n’a pas hésité à donner 100 points au millésime 1988 et 1996. Quant à lui, le critique genevois Alain Giroud, grand spécialiste de champagne, venait aussi spécialement à Châteauvieux pour retrouver ce vin dont il se souvenait avec émotion de sa découverte d’un millésime 1985. Le millésime 2006 reste cultivé sur une une parcelle fortifiée de 1,84 hectares au cœur de l’un des plus célèbres villages producteurs de Chardonnay, produit que sur certains millésimes et jamais à plus de 15'000 flacons.
Un coussinet de saveurs
Malgré sa relative jeunesse, la dégustation de ce Blanc de Blanc produit un grand plaisir en bouche. La complexité des arômes frais citronnés frappe avec cette dominante de pignons de pin toastés, une dimension légèrement poivrée, torréfiée et cette agréable amertume. Le chef genevois Philippe Chevrier l’accorde avec un cannelloni de saumon mariné au crabe, une gelée de pamplemousse et une grosse louche de caviar. Le plat intrigue par son montage horizontal et les saveurs d’agrumes très présentes. Mais l’accord avec Clos du Mesnil nous semble plus juste encore avec la proposition suivante. Un filet nacré et une mousse de rouget des roches noires, pain soufflé et ce travail délicat pour retrouver le goût floral du navet déglacé, juste surmonté d’oursin et en flanc moelleux. Comme un coussinet de saveurs idéal pour ce champagne forestier allant chercher une longueur à l’arrière de la langue.
Une dimension électrique
Le riz est l'ingrédient sélectionné cette année par Krug pour son programme proposé aux ambassadeurs du monde entier. Philippe Chevrier a proposé une création avec le Rosé 25ème édition, conçu autour du millésime 2013, un assemblage avec une dominante de Pinot Noir, du Chardonnay et du Pinot Meunier. Un vin pensé pour jouer le rôle du vin rouge dans un repas avec ses arômes de groseille, de fruits séchés et sa dimension épicée. Le chef de Châteauvieux semble plutôt vouloir retrouver son versant électrique en proposant un homard bleu de Bretagne nacré à cœur, snacké à la plancha, un risotto carnaroli cuit pendant 14 minutes et recouvert d’une couche généreuse de truffe noire du Vaucluse. Ici le croquant du plat rentre en contraste avec l’onctuosité du jus de carapace affiné avec le Rosé. En salle, le jeune maître d’hôtel Axel Meffre sait répondre à toutes les questions sur les cuissons en détails et ne manque jamais un sourire complice qui réconforte.
Synthèse avec la cuvée 161
La cuisine de Philippe Chevrier sait jouer entre un parfait respect de la tradition, qui surprend les journalistes alémaniques habitués à des plats conceptuels, et met aussi en avant le produit. Mais tout à coup accélère sans prévenir sur la puissance d’une saveur. Comme avec le dessert du pâtissier Nicolas Turin, on s’attarde d’abord sur la structure croquante et les feuilles millimétrés du mille-feuille avant de recevoir dans la bouche ces rasades intensives de vanille Tahaa torréfiée, puis le froid exotique apporté par la fève de Tonka.
Tout se termine sur une note classique de crème anglaise revivifiée par une rasade de Krug grande cuvée 161 édition en jéroboam sabrée par le sommelier Maxime Cullet. Ce vin conçu autour du millésime 2005, conserve une structure acide parfaite et propose des notes un peu fumées et d’amusantes effluves de maïs grillés. Il offre peut-être à l’heure actuelle la meilleure synthèse entre tous les champagnes dégustés avec cette rondeur en bouche et cette vivacité combinée. Malgré cette déferlante de plats luxueux, on se souviendra aussi du goût unique d’une laitue impeccablement braisée.
Le Domaine de Châteauvieux rejoint les ambassadeurs Krug de Suisse: le Grand Bellevue à Gstaad, le Dolder Grand Hotel à Zurich, le Badrutt’s Palace à Saint-Moritz et le Lausanne Palace.